La Cour des comptes relance le débat sur le pacte Dutreil. Elle juge son coût « abyssal », dépassant 5,5 milliards d’euros en 2024 selon son rapport du 18 novembre 2025, et réclame une refonte profonde de ce dispositif clé de la transmission d’entreprises. Ce mécanisme, vital pour des milliers de dirigeants qui cherchent à préserver l’œuvre d’une vie, est aujourd’hui accusé de bénéficier surtout aux plus grands patrimoines. Le gouvernement, lui, plaide pour de simples ajustements, tandis que les organisations patronales défendent un outil jugé indispensable.
Pacte Dutreil : l’offensive de la Cour des comptes secoue les entreprises

Le 18 novembre 2025, la Cour des comptes a publié un rapport explosif sur le pacte Dutreil, un mécanisme fiscal destiné à faciliter la transmission d’une entreprise familiale. Le sujet revient avec acuité dans le débat public, car la Cour estime que ce dispositif pèse de plus en plus lourd sur les finances publiques. Pourtant, il reste considéré par nombre de dirigeants comme un pilier stratégique pour transmettre une société bâtie parfois sur plusieurs décennies de sacrifices personnels.
Un pacte Dutreil devenu trop coûteux selon la Cour des comptes
La Cour des comptes juge que la dépense fiscale liée au pacte Dutreil a explosé et s’éloigne de sa vocation initiale. Selon elle, le dispositif représente désormais plus de 3,3 milliards d’euros en 2023 et plus de 5,5 milliards d’euros en 2024 d’après son rapport du 18 novembre 2025. Ce montant « abyssal » pour les finances publiques nourrit ses appels à une réforme profonde, d’autant que les effets économiques attendus, en matière d’emploi ou d’investissement, « ne sont pas observés de manière significative », affirme la Cour dans son document officiel publié le même jour.
L’institution souligne également une forte concentration des avantages. Les 110 donataires les plus fortunés ont capté 65 % de l’ensemble de la dépense fiscale en 2024, ce qui nourrit les critiques sur l’équité du dispositif. Cette concentration est loin de l’image du petit patron transmettant son entreprise familiale, rappelle le rapport, qui insiste sur l’écart entre les objectifs initiaux et la réalité actuelle. Ce constat, jugé alarmant par les magistrats financiers, alimente la volonté d’un ciblage beaucoup plus strict du mécanisme. Pierre Moscovici, premier président de la Cour, a d’ailleurs appelé les parlementaires à se saisir du sujet dès ce « débat budgétaire en cours ».
Ce que propose la Cour des comptes pour revoir le mécanisme
Pour réduire l’ampleur de la dépense, la Cour des comptes recommande plusieurs pistes : réexaminer l’abattement de 75 %, restreindre les conditions d’éligibilité ou revoir certains engagements de conservation des titres. L’objectif serait de concentrer l’effort fiscal sur les transmissions réellement fragiles tout en évitant les effets d’aubaine. Selon la Cour, mieux cibler le pacte Dutreil est la seule manière de maintenir le mécanisme tout en maîtrisant son coût.
La Cour rappelle que les entreprises transmises sous pacte Dutreil employaient en moyenne 523 000 salariés entre 2018 et 2024 et produisaient 45 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Ces résultats illustrent l’importance économique des structures concernées, mais ne permettent pas, pour les magistrats financiers, de justifier une dépense fiscale croissante sans garanties plus solides. Le gouvernement, de son côté, estime qu’il faut préserver cette architecture. « Sans le pacte Dutreil, la plupart des transmissions n’auraient pas été faites dans le giron de la France », a déclaré Bercy. L’exécutif privilégie donc de simples ajustements plutôt qu’une remise à plat complète.
Le pacte Dutreil, un levier vital pour la transmission d’une œuvre entrepreneuriale
Le pacte Dutreil permet aujourd’hui un abattement de 75 % sur la valeur d’une entreprise transmise, sous réserve d’un engagement collectif et individuel de conservation des titres et, dans certains cas, de l’exercice d’une fonction de direction. Ce mécanisme a été conçu pour éviter qu’une entreprise familiale ne soit vendue ou démantelée au moment de sa transmission. Sa logique repose sur une réalité simple : la cession est souvent le résultat d’une vie de travail, marquée par des renoncements personnels et familiaux, et non un simple arbitrage patrimonial.
Pour les dirigeants, remettre en cause ce cadre revient à fragiliser la transmission des entreprises de taille intermédiaire et des PME patrimoniales. « Ce dispositif n’est pas une niche fiscale », défendent le METI et le Medef, qui rappellent que la transmission reste plus coûteuse en France que dans beaucoup d’autres pays européens. Selon eux, les engagements imposés par la loi — parfois sur plusieurs années — constituent déjà une garantie suffisante pour éviter les abus, ce qui justifie le maintien du taux d’abattement actuel.
Un dispositif au cœur d’une bataille économique et politique
Le débat dépasse largement le cadre technique de la fiscalité. Pour de nombreux chefs d’entreprise, toucher au pacte Dutreil revient à fragiliser l’ancrage national de sociétés familiales qui font vivre des territoires entiers. Beaucoup estiment que la transmission peut déjà être un moment très complexe, matériellement comme émotionnellement, car elle s’accompagne d’une pression financière et d’un risque de rupture de continuité si les héritiers doivent vendre pour payer les droits. Dans ce contexte, un abattement moindre pourrait accroître les ventes forcées et réduire la stabilité économique locale.
À l’inverse, la Cour des comptes rappelle que le dispositif n’a pas prouvé son efficacité macroéconomique. Les magistrats estiment que les transmissions sous pacte Dutreil devraient démontrer plus clairement leur impact sur l’investissement, l’emploi ou l’innovation. Cette approche technocratique s’oppose à la vision entrepreneuriale, qui privilégie la continuité et la préservation des savoir-faire. Le gouvernement tente d’apparaître comme un médiateur entre ces deux camps : réformer sans casser, ajuster sans déstabiliser, préserver la transmission tout en allégeant la charge pour l’État.
