Prévisions médiatisées versus réformes structurelles

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Par Jacques Bichot Modifié le 5 octobre 2018 à 12h30
Boule Cristal

La transformation du CICE en baisses de charges sociales va-t-elle ou non stimuler l’activité économique et la création d’emplois ?

La politique économique ne devrait pas se donner en spectacle

Selon Les Echos du 24 septembre, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la Direction du Trésor auraient toutes deux prévu que cette réforme n’aurait guère d’effets en la matière. Mais voilà que le même quotidien, 9 jours plus tard, répercute un autre son de cloches : « La bascule du CICE en baisse de charges créerait 100 000 emplois en trois ans, selon Bercy », titre cette gazette.

Pris entre deux feux, le « Comité d’évaluation » ad hoc a immédiatement modifié son rapport dans un sens plus optimiste. Quant aux citoyens, qui n’ont pas accès à toutes ces études, que peuvent-ils bien penser, si ce n’est qu’en haut lieu ça cafouille aussi bien pour les mesures destinées à revigorer notre économie que pour les gardes du corps de l’hôte de l’Elysée et pour ses rapports avec certains ministres (Hulot puis Collomb) ?

Beaucoup d’organismes, les uns publics, les autres privés, s’efforcent de prévoir l’effet des lois, décrets et autres décisions envisagées par nos gouvernants. Aucun d’entre eux n’ayant les données, les compétences et les outils requis pour effectuer correctement ce travail d’orfèvre, ils produisent davantage de colifichets à cent sous que de bijoux dignes des vitrines de la place Vendôme. Les journalistes se ruent cependant sur ces travaux, dont ils restituent quelques éléments à des lecteurs qui sont pour la plupart pressés et blasés. Ce n’est pas de l’information économique fiable, mais du spectacle – un spectacle dont la qualité laisse à désirer, comme celle de la majorité des séries télévisées qui s’efforcent de retenir notre attention suffisamment pour que nous visionnions dans la foulée une douzaine de publicités débiles.

Eloge des « idées simples »

Malheureusement, cette politique spectacle contribue à déboussoler nos contemporains, auxquels font cruellement défaut ces quelques « idées simples » dont Charles de Gaulle avait bien compris la nécessité lorsqu’il écrivait dans ses Mémoires de guerre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. » Comment M. Dupont et Mme Durand comprendraient-ils ce qui a rapport au CICE et aux cotisations sociales alors que nos lois elles-mêmes ont embrouillé à plaisir le financement de la sécurité sociale ?

L’idée simple dont nous avons besoin est tout bonnement celle d’assurances sociales : une garantie dont nous assumons le coût en cotisant. Le vers s’est introduit dans le fruit, avant même la création des assurances sociales de 1930, grâce à l’instauration de cotisations dites « patronales ». Ce n’est pas l’entreprise qui cotise pour la couverture maladie et les pensions de retraites, c’est le travailleur, et lui seul, mais la division absurde des cotisations en une part salariale et une autre dite abusivement « patronale » a provoqué une incompréhension profonde de ce qu’est la sécurité sociale. Va-t-on, avec la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, prétendre que c’est l’employeur qui paie cet impôt, et que cela pèse sur la compétitivité des entreprises françaises ?

Eloge des institutions simples

Le CICE a été greffé sur un corpus d’institutions sociales fonctionnant sans idée directrice claire et nette ; il a accentué le mélange malheureux des finances de la sécurité sociale et de l’Etat. Son remplacement par la réduction de certains taux de cotisation est une péripétie sans grande importance, un mouvement brownien législatif parmi quantité de mouvements browniens législatifs et réglementaires qui brouillent les cartes et produisent, à la manière du divertissement pascalien, une dissimulation de ce qui est important par une accumulation de fanfreluches institutionnelles.

Commencer par des subventions sous forme de crédits d’impôt puis les remplacer par des diminutions de charges patronales permet de réaliser deux opérations au lieu d’une seule, et donc d’occuper les services, les cabinets ministériels, le gouvernement et le Parlement et d’avoir des « nouvelles » à distiller aux médias. Une gouvernance affairée donne l’air de perpétuellement travailler au bien public, alors même que l’on se contente, faute d’idée directrice juste et claire, de réaliser des changements qui sont - au mieux - inutiles.

Il faudrait bien plutôt concevoir et réaliser une réforme de grande envergure de notre sécurité sociale, incorporant la réforme des retraites en cours – une réforme qui traîne, alors même qu’elle est loin d’être suffisante, puisqu’elle sanctuarise le principe économiquement stupide selon lequel ce sont les cotisations versées au profit des vieux qui ouvrent des droits à ponctionner les futurs actifs. Cette reconstruction des assurances sociales devrait aussi en finir définitivement avec les cotisations patronales, qui compliquent tout, brouillent les idées, et font croire aux travailleurs que la « sécu » ne leur coûte pas très cher.

Le Président Hollande disait en substance, pour défendre une nouvelle dépense : « ça ne vous coûtera rien, c’est l’Etat qui paiera ». Pour faire croire à pareilles balivernes, il faut être très fort, ou bénéficier d’une sorte de « foi du charbonnier » imprégnant la population. Ce n’a pas été le cas. En revanche, les organisations patronales et syndicales et les pouvoirs publics parviennent à maintenir le mythe séculaire des cotisations patronales : seule une simplification radicale, un basculement sur les cotisations salariales de toutes les cotisations patronales (sauf celles qui constituent des primes d’assurance responsabilité civile de l’entreprise, comme l’assurance maladies et accidents du travail), permettra d’y voir clair. Alors il sera possible d’avancer rapidement, sans se heurter à des obstacles que les lunettes noires dont nous sommes affublés – les cotisations soi-disant patronales – nous empêchent de percevoir correctement.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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