Tricentenaire de la naissance d’Adam Smith

Diane Coyle, professeur de politiques publiques à l’Université de Cambridge.

*Diane Coyle*, *Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule **Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be* *(Princeton University Press, 2021
Par Diane Coyle Publié le 29 juin 2023 à 5h00
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1%Les Etats-Unis devraient connaître une croissance de 1% en 2023.

Nous fêtons cette année le tricentenaire de la naissance d'Adam Smith, le père fondateur de l'économie moderne. Cet anniversaire arrive à un moment où l'économie mondiale fait face à plusieurs défis considérables. Les taux d'inflation sont au plus haut depuis la fin des années 1970. La croissance de la productivité en Occident reste lente ou stagnante. Les pays à revenu faible et intermédiaire sont au bord d'une crise de la dette. Les tensions commerciales augmentent. En outre, la concentration du marché a augmenté parmi les pays de l'OCDE.

Adam Smith : des idées toujours d'actualité

Dans ce contexte, le tricentenaire d'Adam Smith est une occasion de réfléchir à ses idées très pertinentes sur la dynamique de la croissance économique et de déterminer si elles peuvent nous aider à comprendre l'époque actuelle.

La spécialisation encouragée par la division du travail est au cœur de la théorie de la croissance économique de Smith, présentée dans le premier chapitre de son œuvre fondamentale La Richesse des nations. En décomposant la production en tâches plus petites – un processus illustré par l'exemple fameux de la manufacture d'épingles de Smith – l'industrialisation a permis d'énormes gains de productivité.

Mais ce processus ne se limite pas aux entreprises individuelles. Selon Smith, comme la division du travail est « limitée par la taille du marché », le marché dans son ensemble doit se développer par le biais des échanges. Après tout, stimuler la production quotidienne de bidules de 100 à 10 000 est inutile si personne ne veut acheter des bidules. Ainsi la division du travail est un processus collectif qui implique un processus continu de changement économique structurel. Lorsqu'il y a un plus grand nombre de bidules à un prix abordable, les secteurs de l'économie qui utilisent des bidules peuvent augmenter la production et faire baisser les prix. Pendant ce temps, la taille accrue du marché peut permettre aux fournisseurs en amont de matériaux nécessaires à la production de bidules de réorganiser la production en tâches plus spécialisées.

Comme l'a fait remarquer l'économiste américain Allyn Young en 1928, il s'agit d'une histoire dynamique de rendements croissants. Le processus de croissance est un cercle vertueux de changements structurels qui commence lentement puis s'accélère, comme une avalanche. La Révolution industrielle et la croissance rapide des économies Quatre Dragons en Extrême-Orient dans les années 1980 et 1990 sont de parfaits exemples du processus mentionné par Smith. Pourtant, la stagnation qui a frappé les économies développées au cours de la dernière décennie pose la question de savoir si les progrès mondiaux vers ce qu'il a décrit par le terme « opulence universelle » sont au point mort.

L'intelligence artificielle : la nouvelle inquiétude

Bien que la division du travail en tâches spécialisées ait souvent amélioré les compétences et l'expertise des travailleurs, cela n'a pas été le cas pour tout le monde. L'émergence de modèles génératifs d'intelligence artificielle suscite la crainte que les employeurs n'utilisent ces technologies pour réduire la main-d'œuvre humaine et les coûts, ce qui suscite des appels à des interventions réglementaires pour s'assurer que l'IA augmente, plutôt qu'elle ne remplace les capacités humaines.

En outre, alors que la croissance économique depuis le début de la Révolution industrielle a conduit à des progrès étonnants en matière de santé et de bien-être, il est important de reconnaître que les cadres institutionnels et les choix politiques qui ont permis ce progrès ont été le résultat de luttes sociales intenses.

Une autre préoccupation souvent négligée provient de la taille du marché. Smith aurait probablement été choqué par l'ampleur de la spécialisation dans l'économie du XXIe siècle (et probablement heureux d'avoir su aussi bien prédire l'avenir). Aujourd'hui, le secteur secondaire repose largement sur des réseaux de production mondiaux complexes. Des produits finis comme les automobiles et les smartphones comprennent des milliers de composants fabriqués dans plusieurs pays. La plupart des maillons intermédiaires de ces chaînes d'approvisionnement sont extraordinairement spécialisés. La société néerlandaise ASML, par exemple, est le seul producteur de machines de lithographie ultraviolette nécessaires à la production de puces avancéesdont la plupart sont fabriquées par Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC).

Mais la nature répandue de ce phénomène suggère que le marché mondial de nombreux produits ne peut faire fonctionner que quelques entreprises capables de réaliser des économies d'échelle. C'est le cas depuis longtemps pour de grands industriels dans des secteurs tels que l'aérospatiale, mais cela s'applique de plus en plus aux marchés plus réduits des composants intermédiaires.

Le déclin de la concurrence

Par conséquent, l'autre condition de la croissance économique de Smith – la présence de la concurrence – n'est pas remplie. La concurrence contribue à garantir que la croissance économique est socialement bénéfique, car elle empêche les propriétaires d'entreprises de monopoliser les avantages de la spécialisation et de la multiplication des échanges. Comme le dit Smith dans La Richesse des nations, « en général, si une branche du commerce ou une division du travail est avantageuse pour le public, plus la concurrence est libre et générale, plus cette tendance va augmenter à l'avenir ».

Bien que le déclin de la concurrence ait été une préoccupation croissante dans les économies occidentales au cours des dernières années, le débat a porté essentiellement sur les secteurs les plus importants au sein des marchés nationaux, comme les grandes entreprises technologiques. Les responsables politiques sur les deux rives de l'Atlantique ont réagi à la concentration dans l'industrie de la technologie par de nouvelles lois, comme le Règlement sur les marchés numériques de l'Union européenne et une application plus stricte des lois antitrust existantes, comme la décision récente de la Federal Trade Commission américaine de bloquer la prise de contrôle d'Activision par Microsoft.

La question politique plus profonde est toutefois de savoir si le niveau de spécialisation sur certains marchés a atteint un point de non-retour où se situe un compromis entre les deux conditions préalables à la croissance selon Smith. La division du travail a-t-elle atteint ses limites – et le besoin de renforcer la concurrence est-il donc une autre raison de diversifier les chaînes d'approvisionnement et de développer de nouvelles lignes de production ?

© Project Syndicate 1995–2023

*Diane Coyle*, *Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule **Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be* *(Princeton University Press, 2021

Diane Coyle, Professeure de politique publique à l’Université de Cambridge. Son dernier livre s’intitule "Cogs and Monsters: What Economics Is, and What It Should Be" https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691210599/cogs-and-monsters (Princeton University Press, 2021)

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