Alors que la réforme de l’assurance-chômage voulue par François Bayrou ressurgit dans le débat public, une fronde inédite unit syndicats et organisations patronales contre un projet jugé « dangereux » pour le chômage et l’équilibre du régime d’allocations. Malgré les ajustements annoncés depuis l’arrivée de Sébastien Lecornu à Matignon, la pression ne faiblit pas et la demande de suppression pure et simple s’impose désormais au cœur du dialogue social.
Assurance-chômage : tout le monde demande la fin de la réforme (sauf le Medef)

Le 14 novembre 2025, la bataille autour de la réforme de l’assurance-chômage a franchi un nouveau cap lorsque sept organisations représentatives ont réclamé l’abandon du texte initial conçu sous le gouvernement Bayrou. Alors que le chômage reste un marqueur sensible de l’état du marché de l’emploi, cette mobilisation vise à empêcher une refonte considérée comme trop brutale pour les demandeurs d’allocations. Les partenaires sociaux dénoncent à la quasi-unanimité une réforme aux objectifs essentiellement budgétaires, alors que les tensions économiques persistent.
Une réforme aux objectifs massifs d’économies qui ravive la contestation
Une architecture budgétaire jugée incompatible avec la conjoncture du chômage
Dès son origine, la réforme portée par François Bayrou visait à transformer en profondeur les règles du chômage, notamment en durcissant l’accès aux allocations et en modulant les droits selon la conjoncture. Selon Le Monde, le gouvernement cherchait à réaliser « entre 2 milliards et 2,5 milliards d’euros d’économies par an » sur la période 2026-2029. Ces montants, calculés pour contenir la dépense publique, devaient ensuite atteindre 4 milliards d’euros annuels en régime de croisière à partir de 2030.
Cependant, cette orientation budgétaire s’est heurtée à la réalité économique. Les syndicats estiment qu’un tel effort compromettrait l’accès à des droits essentiels, alors que le chômage demeure une préoccupation centrale pour des centaines de milliers de demandeurs et qu’en plus il recommence à augmenter en France en 2025. Les partenaires sociaux dénoncent une logique financière incompatible avec la philosophie solidaire du régime. En raison de ces objectifs massifs, ils estiment que le texte provoquerait une hausse mécanique des non-recours aux allocations, ce qui fragiliserait les trajectoires professionnelles.
La question sensible des ruptures conventionnelles au cœur des critiques
La réforme prévoyait aussi de revisiter le traitement des ruptures conventionnelles, un dispositif en constante expansion. Les données publiées par L’Express montrent que 515 000 ruptures ont été signées en 2024, soit une hausse de 17 % en cinq ans. Or ce flux massif pèse lourdement sur les finances du chômage : les allocations liées à ces ruptures atteignent 9,4 milliards d’euros par an.
Ces chiffres expliquent pourquoi les projets gouvernementaux envisageaient la création d’un régime d’allocation spécifique, potentiellement moins favorable, pour les salariés quittant leur entreprise par rupture conventionnelle. Une telle mesure aurait eu un impact direct sur les droits et la durée d’indemnisation, renforçant la dimension punitive perçue par les syndicats. Pour ces derniers, il s’agissait d’une manière détournée de limiter l’accès aux protections essentielles pour des salariés en transition.
Une alliance inédite entre syndicats et patronat contre la réforme
Fait exceptionnel, la fronde dépasse les frontières habituelles du dialogue social. Le 14 novembre 2025, cinq syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) ainsi que deux organisations patronales (CPME et U2P) ont signé une lettre commune demandant « solennellement » au Premier ministre Sébastien Lecornu de retirer non seulement la réforme, mais aussi la lettre de cadrage envoyée le 8 août 2025 par François Bayrou. Seul le Medef conserve donc sa position de durcissement du chômage… et confirmant une déconnexion de plus en plus importante entre le syndicat des grands patrons et la réalité économique de la France et des salariés.
Denis Gravouil, représentant de la CGT, résume l’état d’esprit général : « On n’a pas arrêté de demander au gouvernement de renoncer à la lettre de cadrage et on continue à leur demander de l’abandonner explicitement par un écrit, sinon ce sera une épée de Damoclès »
Une exigence de suppression encouragée par un soutien syndical ferme
La prise de position commune s’est accompagnée d’un ton particulièrement déterminé de la part des syndicats. Le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot, l’a exprimé avec fermeté : « J’ai bon espoir que notre vœu soit exaucé », relaye Le Monde. Cette phrase témoigne non seulement de sa confiance dans la capacité du gouvernement Lecornu à rompre avec la ligne imposée par François Bayrou, mais aussi de la mobilisation organisée autour de la suppression formelle de la réforme.
Les organisations patronales CPME et U2P ont également dénoncé une réforme inadaptée aux réalités des petites entreprises, en particulier en matière de gestion des ruptures conventionnelles. Selon les partenaires sociaux, une révision trop brutale pourrait rigidifier le marché du travail et accentuer les risques de chômage dans les secteurs déjà fragiles.
Pourquoi la demande de suppression pure et simple s’impose aujourd’hui
Une partie des tensions provient du sentiment que la réforme fragiliserait le paritarisme qui régit l’assurance-chômage depuis sa création. Les organisations sociales voient dans cette réforme une menace directe pour leur rôle décisionnel. Elles redoutent que le gouvernement n’impose un pilotage budgétaire centralisé, réduisant la capacité des partenaires sociaux à adapter les règles du chômage aux réalités du marché de l’emploi.
Ce déplacement du pouvoir décisionnel explique pourquoi les sept signataires ont demandé simultanément l’abandon du texte et la suppression de la lettre de cadrage. Pour eux, maintenir ce document constituerait une « épée de Damoclès » sur l’avenir des négociations, comme l’a rappelé Denis Gravouil. En outre, cette réforme aurait pu réduire l’autonomie financière du régime en imposant des économies massives sans consultation préalable.
Les critiques portent également sur l’impact immédiat sur les demandeurs d’emploi. Les pistes évoquées — notamment un durcissement de l’accès aux droits, une réduction potentielle de la durée d’indemnisation et un traitement différencié des ruptures conventionnelles — renforcent les inquiétudes des syndicats sur la capacité des chômeurs à se maintenir dans un parcours d’insertion cohérent.
Les mesures envisagées concernaient une révision des jours travaillés nécessaires pour ouvrir des droits, une orientation perçue comme trop restrictive. Avec un chômage encore incertain, les partenaires sociaux estiment que ce type de réforme risque d’exclure de nombreux travailleurs précaires, au moment où les transitions professionnelles deviennent de plus en plus fréquentes.
