Les effets du mouvement du 10 septembre “Bloquons tout” sur la consommation en ligne
« Bloquons tout » : l’indifférence des e-consommateurs

Le mouvement social du 10 septembre, placé sous le mot d’ordre “Bloquons tout”, a mobilisé environ 175 000 participants et donné lieu à 262 actions de blocage sur le territoire. Si la diversité des cibles visées était notable (axes routiers, zones logistiques, dépôts), les commerces et grandes surfaces figuraient parmi les symboles économiques explicitement désignés. À Lille, plusieurs supermarchés ont dû fermer leurs portes en début d’après-midi, tandis qu’à Marseille et Lyon des galeries commerciales ont connu des perturbations significatives. Selon les recensements réalisés, près d’un quart des blocages ont touché, directement ou indirectement, l’accès aux zones de chalandise des grandes enseignes.
Dans ce contexte, l’hypothèse initiale était que les consommateurs, face aux risques de fermeture ou de tensions aux abords des commerces physiques, se reporteraient massivement vers les achats en ligne. Les plateformes de e-commerce paraissaient constituer une alternative naturelle, sécurisée et immédiatement disponible, notamment pour les produits de consommation courante. L’essor observé lors d’épisodes de grèves de transport ou de manifestations urbaines par le passé semblait conforter ce postulat.
Pourtant, l’exploitation des données du Webloyalty Panel², qui agrège les comportements de consommation sur un large échantillon de sites de e-commerce, montre un faible effet du mouvement du 10 septembre sur la consommation en ligne :
• Le niveau de ventes observé est en légère hausse par rapport à celui des mercredis précédents (+6% par rapport à la moyenne des mercredis de 2025), s’expliquant par la fermeture de nombreux magasins physiques.
• Les volumes d’achats sont également assez similaires sur les chiffres de la même semaine en 2024, ce qui exclut un éventuel biais lié à la saisonnalité (-6% par rapport au même mercredi de l’année dernière).
• Les enseignes Click&Mortar n’ont pas enregistré de hausse de fréquentation online, alors même qu’ils pouvaient apparaître comme une solution de repli intermédiaire entre consommation numérique et achat physique (+1% par rapport au même mercredi de l’année dernière).
L’analyse quantitative révèle donc que le mouvement n’a pas provoqué le moindre report significatif vers le e-commerce. Ces variations, négligeables, démontrent qu’il n’y a aucune corrélation entre la mobilisation du 10 septembre et la consommation des Français. En d’autres termes, la consommation n’a pas été affectée, ni en termes de ralentissement, ni en termes de transformation des habitudes. Les consommateurs sont restés fidèles à leurs pratiques ordinaires, sans chercher à anticiper ou contourner les blocages par des achats en ligne.
Un mouvement éloigné des enjeux de consommation et de pouvoir d’achat L’absence d’effet sur la consommation peut également s’expliquer par le profil sociologique des manifestants. D’après les analyses de la Fondation Jean Jaurès1, les participants au mouvement “Bloquons tout” sont très majoritairement issus de la gauche radicale (près de 70 % avaient voté Jean-Luc Mélenchon en 2022), plutôt jeunes, éduqués, urbains et appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures. Ce profil est éloigné de celui des consommateurs qui fréquentent massivement les commerces physiques, mais aussi des acheteurs en ligne dont les comportements reflètent davantage les préoccupations quotidiennes liées au pouvoir d’achat et à la praticité. Contrairement aux “gilets jaunes”, composés de classes populaires hyper-précarisées et directement concernées par le coût de la vie, les militants du 10 septembre plaçaient au coeur de leurs revendications des thématiques idéologiques (justice sociale, environnement, inégalités) plus que matérielles. Cette distance sociale et culturelle avec les paradigmes de la consommation contribue à expliquer pourquoi le mouvement n’a pas généré de crainte ou de changement d’habitudes dans l’acte d’achat, que ce soit en magasin ou en ligne.
Cette indifférence des comportements traduit probablement une banalisation des mouvements sociaux et de leurs conséquences économiques perçues. Loin d’alimenter une inquiétude sur l’accès aux biens de consommation, le 10 septembre a laissé les ménages dans une relative sérénité.
Les chiffres montrent clairement que le mouvement ‘Bloquons tout’ n’a eu aucun impact mesurable sur le commerce en ligne. Les consommateurs n’ont pas modifié leurs habitudes, ce qui illustre à quel point ce type d’actions est perçu comme une bulle médiatique, sans effet durable sur le quotidien.
Cette conclusion s’impose avec force : malgré son intensité militante et ses visées symboliques, le 10 septembre n’a pas réussi à infléchir la consommation. L’économie domestique est restée indifférente à l’appel au blocage.
Afin de consolider ces résultats, Webloyalty reproduira l’exercice d’analyse lors de la journée du 18 septembre, cette fois organisée par les principales organisations syndicales. Les enseignements croisés de ces deux mobilisations permettront de mesurer si la nature des acteurs à l’initiative des mouvements influe différemment sur la perception et le comportement des consommateurs.
1 https://www.jean-jaures.org/publication/bloquons-tout-tentative-de-portrait-robot-dun-mouvementnebuleux/
² Webloyalty Panel : indice mesurant l’évolution des ventes en ligne en France, constitué de 37 sites e-commerce réalisant chacun plus de 100 000 transactions par an.
