Pourquoi les gadins boursiers se multiplient ?

Worldline, Alstom, Atos, ou encore Sanofi sont des entreprises françaises avec au moins un point en commun : un cours de bourse qui a chuté massivement après des résultats décevants. Des baisses de 20% à 60% dans une journée sont des ordres de grandeur très inhabituels.

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Par Laurent Chaudeurge Publié le 8 novembre 2023 à 4h30
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85%En 2005, la gestion active représentait 85% de la valeur des actions cotées

On peut essayer de « rationnaliser » ces mouvements violents sur la base des fondamentaux. A chaque fois, les profits et le cash-flow sont fortement revus en baisse, les perspectives de croissance sont assombries, le bilan est parfois plus tendu et la confiance des investisseurs est ébranlée. Toutes ces variables affectent réellement et durablement la valeur de ces trois sociétés.

Mais l’effondrement du cours de bourse reflète aussi l’évolution de la structure même des marchés financiers. Sur les 20 dernières années, une grande tendance a profondément modifié leur fonctionnement : la croissance exponentielle de la gestion passive. En 2005, la gestion active représentait 85% de la valeur des actions cotées, contre 15% pour la gestion passive. 18 ans plus tard la gestion active ne représente plus que 49% contre 51% pour la gestion passive. Ce changement de structure remet en cause et fragilise la raison d’être des marchés financiers, à savoir déterminer le juste prix d’un actif en agrégeant les intérêts acheteurs et vendeurs des différents investisseurs.

La gestion active représente des intervenants qui peuvent avoir des intérêts divergents en fonction de leur analyse fondamentale d’un actif, de leurs contraintes de gestion, de leur appétit pour le risque ou encore de leur horizon d’investissement. C’est grâce à cette diversité des opinions que la détermination du prix d’un actif est efficiente. A l’inverse, la gestion passive n’analyse pas et ne réagit pas aux nouvelles informations sur les entreprises, elle n’achète pas ni ne vend pas. Comme son nom l’indique, elle est passive. La moitié du capital des entreprises, qui est détenue par la gestion passive, est une moitié qui n’a pas d’avis sur la valeur des entreprises, une moitié qui n’initiera pas une nouvelle position ou ne « moyennera » pas quand le titre baisse. Une gestion active qui veut céder ses titres rapidement a donc beaucoup moins d’acheteurs potentiels qu’il y a 20 ans.

Prenons l’exemple d’un marché composé de 100 investisseurs. En 2005, 85 d’entre eux étaient des investisseurs actifs, 15 étaient des investisseurs passifs. Le processus d’achat/vente en fonction des fondamentaux des entreprises se déroulait donc parmi 85 investisseurs. Si 35 d’entre eux souhaitaient vendre, ils avaient 50 acheteurs potentiels. Même si les 50 n’étaient pas tous acheteurs, ils étaient assez nombreux, en proportion des vendeurs, pour espérer trouver un compromis raisonnable sur le prix de transaction. Aujourd’hui ces 35 vendeurs n’ont plus que 14 acheteurs potentiels, 70% de moins. Le ratio offre / demande est tellement déséquilibré, que le prix de l’actif doit très fortement baisser pour trouver un niveau auquel il y aura autant d’acheteurs que de vendeurs. Toutes choses égales par ailleurs, la gestion passive augmente le risque de variations extrêmes.

Les introductions en bourse sont une autre illustration de ses effets pervers. Au-delà d’assurer la liquidité quotidienne des actifs, les marchés actions ont une autre fonction essentielle, fournir des capitaux aux entreprises privées. En se cotant en bourse, les sociétés financent leurs plans de développement, offrent une liquidité bienvenue à leurs fondateurs ou à leurs investisseurs historiques, se dotent d’un mécanisme de rémunération pour leurs employés et disposent d’une monnaie d’échange lors d’opérations de fusions ou d’acquisitions. Ce rouage indispensable de l’économie nécessite des pourvoyeurs de capitaux qui sont capables d’analyser les entreprises et d’investir, c’est la raison d’être la gestion active. La gestion passive n’achète que les titres qui sont dans des indices, donc par nature elle ne financera aucune introduction en bourse. En conséquence, plus son poids est important, moins les acheteurs seront nombreux et plus les introductions seront compliquées voire annulées.

La gestion passive a des atouts : ses frais sont faibles et elle profite du fait que la gestion active, dans sa majorité, peine à battre les indices. Son rôle est donc légitime pour un investisseur qui souhaite une exposition efficace et bon marché aux évolutions des marchés. Mais en devenant un acteur majeur des marchés financiers elle a modifié leur fonctionnement. Il faut s’attendre à ce que la liquidité disparaisse dans les moments de crise et que moins de capitaux soient disponibles pour financer les entreprises en croissance. C’est regrettable à un moment où les Etats ont besoin de la gestion active pour flécher le capital intelligemment et accélérer la transition énergétique dont nous avons tant besoin. C’est inquiétant car les évolutions réglementaires comme la « Value for Money » auront pour conséquence de favoriser la gestion passive. Il est temps de réfléchir aux types de marchés de capitaux que nous souhaitons à long terme.

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Responsable de l’ESG chez BDL Capital

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1 commentaire on «Pourquoi les gadins boursiers se multiplient ?»

  • Il n’y a pas de gadins boursiers, il y a simplement la gadin des mensonges boursiers, dont le plus gros mensonge est de faire croire que le cours de fermeture des marchés peut être une référence financière des actions ou une référence de valorisation comptable des copropriétés fonds communs de placement. Sans mensonge la Bourse ne monte et ne baisse pas. La Bourse ouvre et ferme sur des échanges de volumes de titres à un prix négocié par volume de titres échangés. Quant aux indices dits boursiers tel le cac 40 qui ne sont calculés que sur des cours de fermeture…dont le seul enseignement est qu’il n’y avait plus d’acheteur ou vendeur à ce cours. Les indices boursiers tel le Cac 40 sont des indices de logique comptable et non financière. Les gadins mentionnés sont des gadins issus d’une désinformation et d’une certaine « crétinisation » du monde commercial financier. Souvenez-vous : Michel Prada, ex-Président de COB, dans « La Tribune » daté du 6 décembre 2010 en page 37 : Article intitulé : Refonder l’évaluation financière pour restaurer la confiance « Les problèmes de valorisation sont au cœur des crises. Le sujet de l’évaluation financière échappe aujourd’hui à l’écran radar de la plupart des acteurs et des observateurs des marchés financiers.

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