À Lyon, lors du 80ᵉ Congrès de l’Ordre des experts-comptables, un constat s’est imposé : la transformation numérique du secteur dépasse désormais la seule facture électronique. Dans un écosystème saturé d’outils, la valeur revient à ceux qui savent encore accompagner. Après la course à la simplification, place au retour du lien.
Comptabilité : le numérique recentre la valeur sur la relation

« Science, Conscience, Indépendance » : une devise qui retrouve du sens
Entre refonte des modèles, essor de l’intelligence artificielle et nouvelles attentes des entreprises, c’est tout l’écosystème du conseil et de l’expertise-comptable qui s’interroge sur ses équilibres. Dans les allées d’Eurexpo du 17 au 19 septembre 2025, les échanges entre les 10 000 participants revenaient souvent à l’essentiel : comment préserver la pédagogie, la confiance et la relation humaine, ces “soft skills” qui font la solidité d’un cabinet.
Dans un Congrès qui a réussi à mobiliser 8 000 experts-comptables, soit un praticien sur trois, et 310 exposants, deux records historiques, les débats ont confirmé ce que beaucoup d’entreprises expérimentent déjà : la digitalisation n’efface pas le besoin d’accompagnement, elle le déplace. Pour les dirigeants de petites structures, souvent sans service financier étoffé, la transition numérique devient un exercice d’équilibriste : choisir les bons outils, assurer l’interopérabilité, sécuriser la donnée, former les équipes. Autant de chantiers qui dépassent la seule facture électronique.
Un logiciel n’a de valeur pour un dirigeant d’entreprise que s’il s’accompagne d’un interlocuteur, l’expert-comptable, capable d’en traduire la norme en pratique, d’anticiper les contraintes et d’assurer sa cohérence dans la durée. Autrement dit, la technologie ne vaut que par la relation qu’elle entretient.
Le maillage territorial, clef de voûte d’une transformation durable
Sur le terrain, un autre enseignement ressort : la proximité reste un argument décisif. Derrière les innovations technologiques, les éditeurs rappelaient que le modèle historique, adossé à un réseau de partenaires régionaux, garde toute sa pertinence. Les intégrateurs et SS2I, comme Absys Cyborg, Koesio ou Hardis Group, forment avec les cabinets d’expertise un maillage dense qui couvre l’ensemble du territoire.
Ce tissu, patiemment structuré par les éditeurs comme SAGE ou CEGID assure un accompagnement de terrain : paramétrage, interfaçage, formation, conformité sectorielle. Autant d’appuis concrets qui renforcent la relation de confiance entre entreprises et prestataires. Comme le partageait un interlocuteur entre deux couloirs, « quand les outils se ressemblent, c’est la relation qui fait la différence », car ce qui est recherché n’est pas seulement une solution « clé en main », mais un partenaire capable de comprendre leurs réalités et de les accompagner au quotidien.
Du côté des acteurs SaaS, tels Pennylane, Tiime et Yooz le ton évolue aussi. Après avoir bâti leur croissance sur la promesse d’une simplicité immédiate et d’un « tout en un » pour se démarquer, parfois avec une stratégie d'acquisition agressive, beaucoup cherchent désormais à se rapprocher du terrain : renforcer leur ancrage local, développer des offres sectorielles, s’entourer de partenaires. Une inflexion révélatrice : le marché bascule vers l’expertise territoriale par partenariats plutôt que la centralisation. Une implantation territoriale qui prendra du temps, plus que celui qu’il a fallu à Pennylane pour imprimer des t-shirts vantant leur connaissance des territoires, chaque collaborateur sur leur stand arborant fièrement leur connaissance fine des enjeux locaux à travers leur flocage au dos « votre expert + insérez votre région ».
Les éditeurs historiques, eux, n’ont pas eu à opérer ce virage : leur modèle, fondé sur la complémentarité entre éditeurs, intégrateurs et experts-comptables, repose déjà sur cette logique de maillage. Ironie du moment, ceux que les nouveaux venus se plaisaient à dire dépassés apparaissent aujourd’hui comme les mieux armés pour répondre à la demande d’accompagnement personnalisé.
Dans un secteur longtemps séduit par l’instantané, ce retour à la continuité marque un vrai changement d’époque. Ce que confirme un éditeur « le lien, la compréhension mutuelle, la stabilité redeviennent des atouts compétitifs ». Avantage, donc, à ceux qui avaient fait ce choix dès le départ.
Des défis partagés pour un écosystème en reconstruction
La mutation en cours n’épargne personne. La profession comptable entre dans une phase dense : généralisation de la facture électronique, montée en puissance de l’IA, recomposition du marché, tensions sur les compétences. Ce « big bang » n’affecte pas seulement les cabinets : il rebat aussi les cartes pour les éditeurs, les intégrateurs et les prestataires techniques.
Dans les couloirs du congrès, on l’entendait souvent : la réussite du virage de la conformité numérique tiendra moins à la performance individuelle qu’à la coordination collective. Les éditeurs apportent la structure technologique, les intégrateurs assurent le déploiement, les experts-comptables traduisent ces outils dans la pratique quotidienne. Ce partage des fonctions crée une interdépendance que les réformes mettent aujourd’hui en pleine lumière.
À terme, la solidité de l’écosystème dépendra moins des innovations spectaculaires que de la continuité du service, du logiciel jusqu’à l’accompagnement. Après les années de course à la nouveauté, l’heure est à la proximité.