Loïk Le Floch-Prigent : « Qui se met l’argent de l’électricité dans les poches ? »

Loïk Le Floch-Prigent, ingénieur et dirigeant d’entreprise français, revient sur la situation énergétique française. Il a été le PDG d’Elf Aquitaine, l’une des plus grandes compagnies pétrolières françaises, de 1989 à 1993. Avant cela, il a dirigé la compagnie nationale d’électricité, Électricité de France (EDF), de 1987 à 1989. Il a également été à la tête de Gaz de France (GDF) de 1986 à 1987. En plus de ces postes, Loïk Le Floch-Prigent a été impliqué dans divers autres rôles dans le secteur de l’énergie et a souvent été consulté en tant qu’expert sur les questions énergétiques, notamment en tant qu’ancien directeur de cabinet du ministère de l’Industrie. Il critique le manque d’action et de compréhension des dirigeants français concernant le coût et le prix de l’électricité.

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 12 juin 2023 à 9h55
Loïk Le Floch Prigent électricité

Loïk Le Floch-Prigent, a-t-on retenu la leçon de la crise énergétique de cet hiver 2023 ? Avec les menaces de coupures d'électricité, de pénurie de gaz... Ou est-ce qu'on n'a rien compris ni rien vu ?

« On n'a rien compris et on continue à ne rien faire. Alors on parle beaucoup, on ne fait rien. Alors le sujet fondamental, c'est que le coût de l'électricité en France est moins cher que partout ailleurs et que le prix est plus cher que partout d'ailleurs et que, par conséquent, il est nécessaire que nos dirigeants sachent comment on passe du coût au prix et quand ils comprendront comment on passe du coût au prix peut-être feront-ils un effort pour que le prix corresponde au coût. Mais nous n'aurons pas d'industrie vivante tant que nous ne serons pas revenus au prix égal au coût, plus bien sûr, un petit quelque chose. Et par conséquent, on est trois à quatre fois au-delà de ce qu'il faudrait ».

Est-ce juste un problème de décision politique et de compréhension des enjeux, ou est-ce beaucoup plus grave ? Y a-t-il, derrière, des gens qui se gavent avec de l'argent qu'ils n'auraient pas à mettre dans leur poche ?

« Quand je pose la question de savoir qui se met l'argent dans les poches entre 50 euros et 600 euros, il y a quand même une petite différence, dire oui, c'est peut-être un tel. C'est peut-être un tel. C'est peut-être un tel. Et moi, ça ne me satisfait pas comme réponse. Donc j'aimerais savoir qui ? Si ce sont les fournisseurs, qu’on me le dise, si ce sont les banques, qu'on me le dise, si c'est d'autres acteurs, qu'on me le dise, mais on ne peut pas continuer comme ça. C'est dire que n'importe quel individu en France a compris qu'il faut savoir passer du coût au prix. C'est simple. Je le dis à la télévision, je le dis à radio, je le dis à vous, c'est facile. C'est-à-dire que, quel est le prix, le coût du lait ? Le coût du lait, c'est le type qui est là et qui trait la vache. Bien. Alors comment on passe au prix? On vous explique comment ça passe au prix. Et monsieur Leclerc et m. Intermarché vous répondent : voilà comment on est arrivé à un prix important. Mais on sait.  Là, on ne sait pas comment on passe de 50 euros à 600 euros. Moi dans une de mes entreprises, je paie 600 euros le MWh. Or je sais qu’il sort des centres de production aujourd'hui à 50 euros ».

Mais si on le paye 600 euros, n'est-ce pas parce que l'électricité qui nous manque à des moments précis coûte en réalité très cher ?

« Très peu. On fait 85 % à ce prix-là. Donc, si jamais vous prenez le prix moyen, ce qui était la position de Marcel Boiteux et la mienne depuis 30 ans, eh bien, vous avez effectivement un peu d'électricité qui est plus chère, mais vous arrivez à un coût moyen qui est bon. Alors que là, on n'est pas sur le coût moyen. On est sur le coût marginal, qui est une invention de l'école de Chicago, qui est une leçon stupide et qui n'est pas adaptée au secteur d'électricité. Pourquoi ? Parce que déjà vous avez un marché qui n'est pas pur et pas parfait à cause de l'éolien et du soleil, qui ne tenait pas dans le marché. Et par ailleurs, si jamais vous voulez faire de nouvelles centrales, ce qui n'a pas été fait depuis 20 ans en France, eh bien, vous devez avoir quelque chose de bancable. C'est facile à comprendre. Et par conséquent, d'avoir un coût, un tarif garanti pour les résidents. Ce tarif garanti, vous l'avez par nature dans le nucléaire puisque que c'est ce qui existe en Angleterre, grand pays libéral pour Hinkley Point et pour Sizewell. Et c'est le cas pour la Californie, grand pays libéral qui a également un tarif garanti. Donc, tant qu'on a un tarif garanti, on n'est pas dans le marché pur, c'est parfait. Donc cette espèce de fiction qu'il existe un marché parfait d'électricité est une erreur, c'est un mensonge ».

Que va-t-il se passer l'hiver prochain ? Va-t-on souffrir beaucoup plus ? Parce que là, pour le coup, on va avoir du mal à remplir les cuves de gaz. Et puis on va toujours avoir ces problèmes de production d'électricité...

« C'est-à-dire que si jamais il y a hiver doux, encore, on peut continuer l'hiver doux. On peut s'en sortir grossièrement. Cette année, on a acheté 13 Térawatt-heure à l'étranger. Alors c’étaient des Térawatt-heure au moment des pics. Et ces TWh correspondent très exactement à la fermeture de Fessenheim. On pourrait dire, si on n'avait pas fermé Fessenheim, qu'on avait la production correspondant à la consommation. Par contre, si jamais il y a un hiver froid, alors là on est en tension. Et si en plus, on continue à dire qu'il faut faire de la voiture électrique, il faut faire de la propre chaleur et qu'il faut dépenser plus d'électricité alors qu’on ne produit pas plus d'électricité, effectivement, on va être dans les difficultés. Donc la politique incohérente qui est menée est complètement incohérente au point qu'on n'est même pas capable de regarder les centrales qu'on a fermées pour savoir si on va les rouvrir parce qu'elles sont, il y en a deux au charbon, une au fioul. Alors que les Allemands continuent à augmenter leur production à partir du charbon et nous servent l'électricité correspondante. C'est complètement aberrant ».

Le bouclier tarifaire devait coûter 24 milliards d'euros en année pleine au gouvernement. Et ce matin, dans la presse économique, on voit qu'on parle de 7 milliards de coûts supplémentaires par rapport aux prévisions. Donc ça coûte 31 milliards d'euros de vendre de l'électricité pas chère ?

« C'est encore à certains qui cirent les godasses. Le problème, c'est qu’on cire les godasses quand on est très gros. On cire les godasses quand, sur un certain nombre de sujets, on est gentil. Et puis l'ensemble de l'industrie qui fait 85% de l'emploi en France est à des tarifs absolument impossibles. Et par conséquent, ça mène à des faillites qui augmentent avec le temps. Et je vois les faillites, je les vois et visiblement le gouvernement ne les voit pas. Alors si jamais ils acceptent de regarder un peu ce qui se passe au monde de l'industrie, ils s'apercevront qu'il y a des faillites. Oui, et à cause du coût de l'énergie ».

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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3 commentaires on «Loïk Le Floch-Prigent : « Qui se met l’argent de l’électricité dans les poches ? »»

  • « Et je vois les faillites, je les vois et visiblement le gouvernement ne les voit pas ». On dit du gouvernement de M. Macron (et avec lui la macronie toute entière) qu’il est à la fois aveugle et sourd, dons on devrait dire qu’il ne voit pas et n’entend pas. En réalité, il voit et il entend, mais il est incapable de se débarrasser -comme pour beaucoup d’autres choses – des griffes et de la fascination pour l »Allemagne et l’UE qui le tétanisent au niveau du cerveau central, des yeux et des oreilles. Si les français ne se défont pas très vite de cette caste de « soumis » à la finance, aux banques et à l’étranger, ils vont sans tarder se réveiller avec une belle et méchante gueule de bois.

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  • Non en France le coût est plus cher qu’ailleurs, avec le nucléaire. Les renouvelables sont tous moins cher et nous sommes les derniers de la classe dans ce domaine. Il est donc normal de retrouver la hauteur de notre coût de production dans le prix de vente.

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  • Voilà un commentaire, de Floch-privent, direct et vrai dans la réalité. On a des bras cassés au pouvoir.

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