Dernière Crise avant l’Apocalypse : les retraites par répartition

Dans cet extrait du livre Dernière Crise avant l’Apocalypse, Jacques Bichot et Jean-Baptiste Giraud abordent les retraites par répartition.

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Par Jean-Baptiste Giraud et Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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Un autre exemple de crédulité, fille de l'ignorance : notre législation des retraites par répartition

Pour comprendre le succès des cryptomonnaies, il est utile de regarder ce qui se passe dans un autre domaine où règnent sans partage l'ignorance et la crédulité, y compris au niveau des législateurs. En effet, la monnaie ne constitue pas le seul domaine dans lequel sévit l'ignorance du fonctionnement réel de nos institutions. L'organisation juridique de nos systèmes de retraites dits « par répartition » fournit (hélas !) un autre exemple d'erreur grossière, mettant le droit positif en contradiction avec la réalité. Il ne s'agit pas d'une erreur minime, mais d'un complet contresens relatif au fonctionnement de ces systèmes. Et cette erreur ne sévit pas seulement en France, mais quasiment dans tous les pays qui se sont dotés de retraites par répartition.

Un tel système attribue les droits à pension au prorata des cotisations immédiatement reversées aux retraités : ce sont ces « cotisations vieillesse » qui ouvrent juridiquement des droits à pension, que ce soit sous forme de points ou de prise en compte assez compliquée de la durée de cotisation et des montants versés. Ces dispositions juridiques n'ont rien de logique : si l'on cherche une raison pour laquelle avoir entretenu ses aînés ouvre juridiquement des droits à se faire entretenir par ses cadets, on ne trouve pas grand-chose de solide.

Pour comprendre l'absurdité des dispositions juridiques qui accordent les droits à pension future en raison et au prorata des cotisations versées pour entretenir les retraités actuels, supposons qu'une génération comptant un million de membres n'ait que 100 000 descendants : ceux-ci seront évidemment incapables, même avec la meilleure bonne volonté du monde, de verser des pensions correctes pendant, en moyenne, une vingtaine d'années, à des aînés bien plus nombreux que les cotisants. Si des droits à pension raisonnablement confortables ont été promis en raison du versement de ces cotisations, et qu'au moment de verser ces pensions, il n'y a que très peu de cotisants, il est impossible de tenir la promesse faite aux anciens cotisants. En revanche, si les droits à pension sont attribués au prorata de la mise au monde et de l'éducation des enfants, et s'il n'y a que très peu d'enfants, les pensions seront maigrelettes, et les adultes ne seront pas écrasés de cotisations et d'impôts au profit de personnes imprévoyantes.

En France, presque personne ne fait remarquer l'absurdité, l'irréalisme, du principe de base qui préside à l'attribution des droits à pension. Pourquoi ? Peut-être parce que, dans ce pays, la natalité n'a pas (pas encore) atteint les chiffres absolument catastrophiques que l'on observe dans beaucoup de pays européens. Nos dirigeants arrivent à faire fonctionner le système en infligeant aux actifs des taux de cotisation vieillesse exorbitants, et en faisant s'endetter l'état. Sur 2021, le déficit prévisionnel du système de retraite français destiné au secteur privé atteint ainsi 35 milliards d'euros, en partie à cause des cotisations non encaissées à cause du Covid.

Quel que soit l'objectif officiel des émissions d'obligations d'état et des bons du Trésor, leur véritable fonction est en France, pour une bonne part, de pouvoir payer les pensions des fonctionnaires retraités, et de pouvoir boucher les trous des différents systèmes de retraite du secteur public ou assimilé (comme ceux de la SNCF ou de l'ex France Télécom).

Il existe une cause historique à ce curieux phénomène. Les premiers systèmes de retraite instaurés par le législateur, historiquement, fonctionnaient par capitalisation : les cotisations étaient investies, et c'est sur ce capital accumulé que l'on comptait pour verser des pensions à ceux qui avaient contribué à le constituer. Les cotisations ne servaient pas à payer les pensions des retraités actuels, mais à préparer les pensions de ceux qui les versaient. C'était parfaitement rationnel. Pourquoi avoir donc tout changé ?

Durant la Seconde guerre mondiale, et l'occupation d'une bonne partie de la France par les troupes allemandes, l'activité économique n'était guère florissante ; il était difficile de faire rentrer à la fois des cotisations pour investir en vue de l'avenir, et d'autres pour payer les retraites en cours. Le gouvernement de Vichy décida d'utiliser les premières, en sus des secondes, pour verser les pensions dues. C'est ainsi que les retraites françaises passèrent de la capitalisation à la « répartition » : attribution des droits à pension en raison des versements effectués au profit des retraités. Cette énormité, explicable par des circonstances extraordinairement dramatiques, fut hélas gravée par la suite dans les tables de la loi française. La plupart des autres pays firent grosso-modo de même, si bien que le monde entier adopta une législation des retraites par répartition totalement dépourvue de bon sens.

Quand une absurdité de cette taille est inscrite dans les tables de la loi, le doigt est mis dans l'engrenage : la loi positive, instaurée par le législateur, peut ne pas tenir compte du bon sens économique. Comment pourrait-on blâmer les personnes qui acceptent et utilisent l'arnaque cryptomonétaire, alors qu'une arnaque tout aussi importante, et même beaucoup plus importante, prospère en matière de retraites ? Les concepts économiques, à la différence des concepts utilisés par les physiciens et les chimistes, peuvent n'avoir aucune consistance, constituer des croyances irrationnelles, analogues à celles de nos ancêtres relatives aux elfes et aux fées – le charme en moins. La monnaie, construction économique, est à la merci de cette irrationalité : le succès des cryptomonnaies illustre cette affirmation.

Nous aurons à revenir sur le problème posé par l'absurdité de la législation relative aux retraites par répartition dans un chapitre que nous lui avons consacré, avec l'autre absurdité du siècle passé : la Sécu « gratuite » pour tous. Qu'attendre de parlementaires, de ministres, de chefs de gouvernement, de présidents de la République, qui n'ont pas compris cette réalité toute simple telle qu'édictée par Alfred Sauvy (les retraites se préparent grâce aux naissances), et qui font croire à leurs administrés qu'en versant, des cotisations vieillesse ceux-ci préparent leur propre retraite ? Cryptomonnaies et législations des retraites par répartition, sur une large partie de notre planète, fournissent hélas la preuve que la croyance au Père Noël ne prend nullement fin quand on atteint l'âge de raison, ou que l'on sort de Harvard, d'Oxford, ou de l'ENA.

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Jean-Baptiste Giraud est journaliste économique, directeur de la rédaction d'EconomieMatin et auteur d'une dizaine de livres.   Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'Université Jean-Moulin-Lyon III et auteur d'une vingtaine d'ouvrages.

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