Dry January : Le Défi De Janvier est aussi un marché porteur

Lorsque Emmanuel Macron a refusé en 2019 que l’agence sanitaire Santé publique France lance une campagne de prévention sur le modèle du Dry January britannique, il n’avait sans doute pas en tête les conséquences de sa décision – prise essentiellement sous la pression du lobby viticole.

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Par Bernard Basset Modifié le 3 janvier 2024 à 11h34
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60%60% des Français se disent prêts à tenter le challenge Dry January en 2024

La première a été la mobilisation de l'ensemble du milieu associatif, qui a repris l'opération à son compte sous le nom Défi De Janvier, fort de ses seules convictions en faveur de la santé devant le fléau de l'alcool en France. Le succès a été immédiat sur fond de mobilisation pour la santé, mais aussi pour protester contre le soutien indéfectible du président de la République à la filière viticole. Il a ainsi déclaré "Je bois du vin tous les jours, à midi et le soir", soit au-delà des repères de consommation à moindre risques promus par Santé publique France, considéré que le pictogramme à l'attention des femmes enceintes sur les bouteilles était "anxiogène", ou encore qu’il ne fallait globalement pas “emmerder les Français” sur ce sujet.

Cinq ans plus tard, le succès s'est confirmé puisque l’opération est de plus en plus populaire – 60% des Français se disent prêts à tenter le challenge en 2024 selon un sondage BVA Xsight pour Addictions France. Ainsi, à chaque évocation, le débat public s'enflamme. Prenons pour exemple la publication le 12 décembre dernier par le journal Le Parisien, d'une lettre adressée par l'ensemble des professeurs d'addictologie au ministre de la Santé pour lui demander de soutenir le Défi De Janvier. Celle-ci a provoqué une déferlante de commentaires dans les médias et des interviews innombrables des acteurs de santé, donnant encore plus d'écho à l'événement à venir en janvier 2024. L’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau, qui avait fait de la Prévention son objectif prioritaire, ne pouvait plus éviter le sujet. Mais pris dans les contradictions du gouvernement, il a multiplié les explications alambiquées selon lesquelles il relèverait le Défi uniquement "à titre personnel", et affirmé que “le vin n'était pas une drogue” même s'il pouvait provoquer des addictions. Dans le contexte de la Loi Immigration, M. Rousseau a annoncé le 20 décembre une démission fracassante. Le débat sur le mois sans alcool se poursuivra donc avec son remplaçant

Une des révélations du mouvement Défi De Janvier a été l'engouement des jeunes pour les boissons sans alcool. En décembre 2022, The Guardian constatait avec étonnement que "la France est l'un des marchés à la croissance la plus rapide dans le contexte du boom mondial des boissons sans alcool"1 et qu’il "se distinguait par son nombre élevé de nouveaux consommateurs, en particulier les plus jeunes". L'industrie de la bière a été la première à s'engouffrer dans ce marché avec ses bières 0.0, tout en maintenant un packaging très proche de celui des bières alcoolisées. Il s’agissait pour elle de garder les consommateurs dans l'univers de la marque, avec une frontière floue entre leurs produits et donc une source de confusion possible. Mais le secteur des spiritueux a finalement suivi, de même - avec un certain retard et une grande hésitation - celui du vin. Les sommeliers sans alcool surfent aujourd’hui sur cette vague porteuse.

Dès lors deux options s'offrent à l'industrie de l'alcool, et en particulier du vin, en France : continuer sur sa lancée en considérant que les boissons sans alcool sont un simple effet de mode, ou prendre en compte ces préoccupations nouvelles de la recherche de bien-être et de protection de santé chez les consommateurs. Si les milieux industriels de l'alcool s'adaptent manifestement sans états d'âme à un nouveau créneau de clientèle, il n'en a longtemps pas été de même pour le milieu viticole qui a construit toute sa stratégie sur une ligne idéologique qui fait du vin une boisson consubstantielle de l'identité française, et de la dégustation un art quasi sacré.

Devant la baisse progressive du marché, le président du lobby Vin & Société a néanmoins récemment renié tous ses fondamentaux. Constatant avec désespoir la désaffection des nouvelles générations pour le vin, il propose désormais d’en finir avec le carcan des traditions qui ont constitué jusqu’à présent les règles de la filière. Le 13 décembre, il a ainsi déclaré : "Il ne faut rien s’interdire. On peut mettre du vin rouge sur de la glace". Au diable les traditions, les terroirs, la culture et la défense du patrimoine, revenons aux bases du commerce : qu'importe les discours, pourvu que les jeunes boivent du vin ! Cependant, il n'est pas du tout sûr que ce soudain changement de pied suffira à renverser une tendance qui s'affirme aussi bien dans les esprits que dans l'évolution du marché, et que le Défi De Janvier vient conforter.

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Président d’Addictions France, Bernard BASSET est médecin spécialiste en santé publique. Il fut notamment sous-directeur à la Direction générale de la santé, chargé de la politique de prévention des addictions, ainsi que DGA de l'INPES (ancêtre de Santé publique France).

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