Malgré une activité économique résiliente aux États-Unis, l’emploi a fortement ralenti avec 22 000 créations d’emploi au cours des trois derniers mois et une hausse du taux de chômage à 4,3 %. Un ralentissement ayant poussé la Réserve fédérale (Fed) à relancer son cycle de baisse de taux en septembre, malgré une croissance solide et une inflation sous-jacente supérieure à 3 %, invoquant une « gestion des risques » compte tenu des craintes pesant sur le marché du travail. Un ralentissement reflétant la combinaison de plusieurs facteurs conjoncturels, structurels, mais aussi politiques.
Marché de l’emploi américain : à la croisée des chemins

Politique tarifaire : le prix de l'incertitude
La politique tarifaire menée par l’administration américaine a entraîné une forte augmentation de l’incertitude économique au cours du premier semestre, tout en accentuant la pression sur les coûts des entreprises. Ce contexte chaotique, marqué par des revirements constants, a considérablement réduit la visibilité des entreprises, entraînant une chute des intentions d’embauche des entreprises, un indicateur avancé de la croissance de l’emploi dans le secteur privé. La bonne nouvelle étant que la série d’accords commerciaux conclus depuis lors a contribué à réduire l’incertitude économique sur le plan tarifaire, entraînant un rebond des perspectives d’embauche des entreprises.
Une immigration en forte baisse
La réduction de l’immigration nette, passée d’un rythme annuel de 2,5 millions en 2023/2024 à 500 000 en 2025 pèse également sur la croissance de l’emploi à deux égards, rendant plus difficile pour les entreprises dépendantes de la main-d’œuvre immigrée d’embaucher, et réduisant la main-d’oeuvre totale lorsque les travailleurs étrangers quittent le pays. Parmi les secteurs les plus exposés, celui de la construction a connu une baisse significative de la croissance de l’emploi ces derniers mois (passant de 16 000 en moyenne en 2024 à -7 000 en septembre). La baisse de l’offre de main-d’œuvre signifie également que le niveau de création d’emplois nécessaire pour maintenir le taux de chômage constant est plus faible : seulement 34 000 actuellement (selon des estimations récentes de la Fed de Dallas), contre 175 000 en moyenne en 2024. En substance, la croissance de l’emploi pourrait rester très modeste sans entraîner d’augmentation du taux de chômage.
La disruption de l'Intelligence artificielle
L’adoption de l’intelligence artificielle (IA) (10 % actuellement selon le Bureau du recensement américain) pourrait également exercer une certaine pression à la baisse sur les embauches. Une récente étude de la Fed de Saint-Louis a mis en évidence la corrélation positive entre l’évolution, depuis 2022, du taux de chômage dans un secteur spécifique et son exposition à l’IA. Une dynamique pesant notamment sur les perspectives d’emploi des jeunes diplômés, en raison d’une demande plus faible pour les postes de début de carrière dans des domaines comme la technologie, la finance, la gestion de projet ou le marketing, où l’IA générative présente des compétences similaires aux profils débutants. Les signes de croissance de la productivité induits par l’IA à l’échelle de l’économie américaine restent assez limités pour le moment, mais son adoption croissante pourrait, à moyen terme, compenser la perte de croissance potentielle impliquée par la baisse de l’immigration.
La réduction de l'emploi public
La croissance de l’emploi dans le secteur public a également fortement ralenti, passant de près de 40 000 par mois en 2024 à -16 000 en septembre. De plus, les départs volontaires dans la fonction publique (près de 150 000) qui ont eu lieu au début de 2025 devraient commencer à se refléter dans les données officielles sur l’emploi. Dans ce contexte, le « Shutdown4 », outre de compliquer la visibilité sur le marché du travail américain en raison du retard pris dans la publication des données officielles, pourrait temporairement entraîner une nouvelle hausse du chômage. Les travailleurs mis en congé pourraient être comptabilisés comme chômeurs, mais cette hausse pourrait être plus définitive si Donald Trump venait à mettre à exécution ses menaces, dans le cadre des négociations avec les démocrates pour mettre fin au « Shutdown », de licencier une partie des employés congédiés.
Perspectives de stabilisation de l'emploi
Ce ralentissement de la croissance de l’emploi a accentué la situation de « faible embauche et faible licenciement » sur le marché du travail : les embauches ralentissent, mais le chômage reste modéré, car les licenciements sont limités. Une telle configuration justifie de rester prudent sur le marché du travail, car une augmentation des licenciements accroîtrait significativement les risques de récession. Ce n’est pas pour autant ce que nous observons pour le moment, les marges bénéficiaires des entreprises américaines restant élevées et l’activité économique solide, impliquant peu d’inclinaison au licenciement pour les entreprises. Dans le même temps, la baisse de l’immigration signifie qu’une croissance de l’emploi moins importante est nécessaire pour contenir le chômage.
Par ailleurs, nous considérons l’amélioration récente des enquêtes sur les intentions d’embauche comme un signe positif. Cela soutient nos attentes selon lesquelles le marché du travail devrait se stabiliser, notamment grâce à une croissance dynamique en 2026. Cette croissance serait justifiée par un recul de l’impact des droits de douane, des mesures de relance budgétaire favorables et un assouplissement des conditions financières. La récente faiblesse du marché du travail s’est accompagnée de baisses de précaution de la Fed et d’une accentuation des attentes de baisses de taux des marchés financiers (avec un taux Fed Funds attendu à 3 % fin 2026). Dans un contexte de croissance toujours résiliente et d’inflation sous-jacente légèrement supérieure à 3 %, nous considérons ces anticipations comme optimistes et estimons que la stabilisation du marché du travail devrait les atténuer.
