En 2022 pourquoi y a-t-il en France, inadéquation entre propositions et demandes d’emploi ?

Depuis le début de l’année 2022, il n’y a jamais eu autant de propositions d’emplois non résolus. Pourquoi nos millions de chômeurs ne répondent pas aux propositions d’emplois ? Qu’est-ce qui « coince » pour qu’il y ait adéquation entre l’offre et la demande ?

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Par Daniel Moinier Publié le 12 novembre 2022 à 10h28
Emplois Offres France Marche Travail
3%L'Allemagne comptait 3% de chômeurs en 2019.

Le nombre de demandes d’emplois a diminué depuis 2017, passant de 9,2% à 7,5% en 2022. Mais la reprise suite à la fin de la période Covid a permis de mettre en lumière une forte inadéquation entre l’offre et la demande. Pourquoi ?

Un rappel avant d’aller plus loin sur la situation du chômage français.

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Quelle est la position de la France en termes de chômage par rapport à l’Europe comparée à quelques pays, dont l’Allemagne ?

En 2017, le taux de chômage s’établissait à 7,6 % dans l’ensemble de l’Union européenne. Il culminait à 21,5 % en Grèce, suivie de l’Espagne (17,2 %), tandis que la République tchèque affichait le taux le plus faible (2,9 %). Le taux de chômage s’établissait à 3,8 % en Allemagne. En France, il se situait au-dessus de la moyenne européenne.

Qu’est ce qui ne permet pas à la relance économique de se dérouler normalement comme cela se produisait dans les périodes bien antérieures ?

Plusieurs critères ont modifié la situation : démographiques, économiques, physiologiques et un phénomène de société lié en partie au climat (mondial), exacerbé par la pandémie de Covid et même par la guerre en Ukraine.

Problème démographique :

Evolution de la démographie française de 1975 à 2019 :

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A la lecture de ce graphique, il est facile de constater que le solde naturel a fortement diminué depuis 2011 en passant de 280.500 à 118.000 habitants en plus. Le solde migratoire quant à lui, est passé de 115.000 en 2006 à 66.000 en 2018. Il faut ajouter que l’on a perdu 102.000 français.es entre 2010 et 2015 partis hors de France.

La fécondité est en baisse depuis 1980 (3% en 1950 et 1962) s’échelonnant aux alentours de 2, avec une baisse devenue continue jusqu’à ce jour à 1,75. Il faut rappeler que le taux de remplacement se situe à 2,1 pour qu’il n’y ait pas baisse de population.

Moins de jeunes et le prolongement des études sont aussi des facteurs de moindres arrivées sur le marché du travail.

Causes économiques :

Depuis 1975 et surtout les années 80, la France a eu une forte baisse d’activité, fermetures d’usines, délocalisations qui ont engendré un chômage élevé et même très élevé, pour avoisiner les 12% (catégorie A seule : il en existe 5) le sommet se situant dans le milieu des années 1990. Cela a représenté plus de 6 millions de personnes inscrites au chômage, donc autant de non productives, diminuant la consommation, les rentrées de charges, d’impôts et augmentant fortement les aides sociales. D’où chute du PIB, arrivés des déficits continus depuis 1976.

Chômage et RSA, surtout de longue durée, ont déconnecté ces personnes du monde du travail. Et il leur est difficile de penser à retrouver un emploi souvent différent de leurs compétences et encore pire s’il est éloigné de leur logement.

Il existe donc une forte antinomie entre l’offre et la demande, même les formations proposées repoussent le délai d’attente des recruteurs tout en n’ayant peu de personnes immédiatement opérationnelles.

Critères physiologiques :

Les conditions de travail ont énormément changé en une soixantaine d’année. Le chômage était pour ainsi dire inexistant. En à peine un demi-siècle la population française a connu de profondes mutations économiques, démographiques, sociologiques. Le monde agricole était évalué à 10 millions d’habitants, aujourd’hui il représente 2% de la population soit 650.000. La population rurale était proche des 50 % en 1946 contre 19% en 2020. Les ouvriers hors agricoles, avaient des horaires de travail dépassant souvent les 50 heures semaine sur une base de 40 heures. Les semaines s’étalaient en général sur 5 jours I/2 voire 6 jours quelques soit les postes de travail. Les métiers étaient souvent très physiques sans aide de matériel. Les conditions de travail étaient très difficiles souvent insalubres et beaucoup se rendaient à pied au travail ou à vélo.

A la campagne, presque tous ces ouvriers, dès la sortie de leur travail, allaient cultiver leurs jardins pour subvenir aux besoins nutritionnels. Chacun avait une mini ferme composée de porcs, lapins, poules, canards, oies, permettant de ne se rendre chez le boucher que pour les grandes occasions. L’hiver, beaucoup bénéficiaient de coupes de bois pour subvenir au chauffage de la maison. Cela complétait la paie qui n’aurait pas était suffisante pour boucler la boucle. Tous ces ouvriers avaient une condition physique à toute épreuve. Les loisirs étaient rares et les vacances souvent inexistantes.

En ville c’était plus compliqué, mais les salaires étaient souvent un peu plus élevés pour compenser les coûts de logement.

En un peu plus d’un demi-siècle, l’évolution a été si exceptionnelle que les ouvriers d’aujourd’hui ne travaillent plus du tout dans les mêmes conditions. Presque tout a été fait pour minimiser l’effort. On pourrait citer tellement de créations nouvelles d’aides à la personne qu’il y faudrait un livre pour toutes les citer. Automatismes en tout genre, robots, jusqu’à l’intelligence artificielle. Tous les secteurs ont été concernés. Presque tous les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent plus l’effort y compris pour les transports. Seul le vélo est redevenu à la mode, mais l’électrique est venu diminuer l’effort, comme les trottinettes et tous les EPM (Engins de Déplacements Motorisés)…

Un nouveau phénomène de société

Deux nouveautés sont apparues : Le changement climatique et ses conséquences prévisibles. Les bouleversements engendrés par la pandémie Covid ont amplifié et boosté ce phénomène qui est devenu un électrochoc mondial, comme le commente Laurence Decréau1.

Le fait de se retrouver chez soi à travailler sans ou peu de contraintes avec des périodes de temps libre dues au télétravail, ont permis à beaucoup de réfléchir sur eux-mêmes, sur leur trajectoire et perspectives. Ce fût comme un grand réveil, une prise de conscience souvent sans retour possible. Quand un métier qu’on a aimé pendant des années est devenu inconsistant, il est temps d’arrêter, de se tourner vers autre chose quitte à prendre des risques. C’est une façon de dire non à un système considéré maintenant comme aberrant, vide de sens, toujours plus vite, plus productif, toujours moins cher. On finit par mal faire. Une réflexion s’impose : Tout quitter pour trouver son idéal de vie.

C’est le spectre de la grande démission qui germe depuis longtemps surtout exacerbé par la pandémie de Covid. Un projet en tête qui restait enfoui réapparaît et le saut peut se réaliser avec un minimum de risques et mettre un peu plus de passion dans sa vie.

Ce mouvement s’est amplifié depuis deux à trois ans créant ainsi dans les entreprises des départs non prévus, souvent pas faciles à remplacer avec les mêmes compétences. Après le « big quit » américain, c’est en France « la grande démission ». La Dares nous informe qu’il y a eu 470.000 démissions pendant le 1er semestre 2022.

Même lors de cycle similaire avec reprise d’activité, il existe toujours plus de démissionnaires, mais cette fois c’est plus important et les causes ne semblent pas similaires.

La reprise d’après Covid a amplifié les recherches de personnel, souvent qualifié, ce qui est devenu un casse tête pour les employeurs. Et l’inflation a encore augmenté les difficultés, avec les demandes de revalorisation des salaires.

Alors que le nombre de chômeurs est encore très important ainsi que les RSA, que pourrait-il être mis en place pour ramener ceux-ci en direction du travail ?

L’exemple Allemand peut être une référence avec les réformes Hartz du début des années 2000 qui ont fait rapidement chuter le taux de chômage.

Celui-ci a fortement diminué passant de 12% en 2003 à 7% en 2005, à 5% en 2015 et près de 3% en 2019.

En parallèle le taux d’activité est lui passé de 76% à 84,4 % entre 2003 et 2019.

En comparaison, le taux français est passé de 77,1 à 79,3% sur la même période.

En Allemagne, avant Hartz, les chômeurs bénéficiaient de trois paliers de protection : Une assurance sur 12 mois, une aide aux chômeurs de longue durée et une aide sociale. Cette nouvelle loi supprime l’aide aux chômeurs de longue durée. Ils perçoivent donc soit l’une ou l’autre des deux autres : Assurance chômage sur un an, à condition d’avoir cotisé 12 mois dans les 30 mois précédents ou l’aide sociale de 446 euros mensuels. L’allocation est versée à la famille.

Les chômeurs de catégorie 2 sont tenus d’accepter toute offre d’emploi à laquelle ils sont aptes. L’assurance chômage ne comptait plus que 790.000 personnes et 1,5 million pour l’allocation 2 pris en charge par des jobcenters.

Comparé à la France ce sont des conditions drastiques d’imposition sans contestation possible et sans conditions spéciales pour les chômeurs de longue durée. Un diagnostic effectué constate son effet redistributif en interrogeant sa capacité à « inclure » la population salariale et civile chargée de la cogestion des pauvres en remplaçant la question de redistribution par celle de l’inclusion. En comparaison, en France la durée de base est de 2 ans avec possibilité de passer ensuite en RSA pour toute la famille sur une durée pour ainsi dire illimitée, sous la coupe de la Sécurité Sociale et des départements.

En conclusion, il est possible de constater que beaucoup d’emplois ont peu changé ou évolué mais que ce sont les jeunes qui ont une vision du travail très différente, tant au niveau contrainte, qu’au niveau physique, horaires et même salarial souvent peu compatibles avec les exigences des postes de travail proposés. Pour les entreprises, il est nécessaire de donner envie, relancer l’engagement des équipes, avec une place centrale donnée à la formation à toute âge, la marque de l’employeur et la réputation sociale de l’entreprise sont indispensables mais ne suffisent plus.

Quelques « patrons » ne trouvant pas de personnes pouvant s’adapter aux postes définis, ont inversé le contexte en adaptant les postes aux candidats.es, horaires, charges, aptitudes…avec apparemment quelques succès mais au prix de réorganisation complète et d’une gestion plus complexe.

1 Cocréatrice et déléguée générale du Festival des vocations et 2 livres : « L’élégance de la clef de douze » et « Tempête sur les représentations du travail ».

www.danielmoinier.com

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.

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