Enquête pour vol d’uranium au Niger : Paris se saisit d’un dossier explosif

L’ouverture d’une enquête à Paris sur un possible vol d’uranium au Niger remet brutalement la filière sur le devant de la scène. Orano dénonce un transport « illégal » depuis la SOMAÏR, tandis que Niamey revendique sa souveraineté. Derrière, des stocks, des risques et une bataille judiciaire.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 19 décembre 2025 11h45
Enquete Pour Vol Duranium Au Niger Paris Se Saisit Dun Dossier Explosif
Enquête pour vol d’uranium au Niger : Paris se saisit d’un dossier explosif - © Economie Matin

Le 19 décembre 2025, l’information de l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris sur un possible vol d’uranium au Niger éclaire d’un jour nouveau la crise qui oppose l’État nigérien à Orano. Or, au-delà de la dimension pénale, le dossier touche à la sécurité, à la valeur économique des stocks et à la crédibilité des chaînes d’approvisionnement, donc à la place du Niger dans le marché de l’uranium.

Pourquoi l’enquête du parquet de Paris s’ouvre maintenant

D’un côté, l’enquête du parquet de Paris intervient parce que, depuis plusieurs semaines, la question d’un déplacement de matières et de stocks d’uranium n’est plus seulement un conflit industriel, mais devient un sujet de faits potentiellement délictueux. Orano affirme avoir appris « dans les médias » qu’un chargement d’uranium avait quitté le site de la SOMAÏR à Arlit, et, dans le même mouvement, l’industriel assure ne pas être à l’initiative du convoi, selon son communiqué du 27 novembre 2025. Dès lors, et parce que l’uranium relève d’un secteur sensible, l’hypothèse d’une appropriation irrégulière alimente un signalement plausible, donc une saisine judiciaire en France. Cependant, même si le Niger est le théâtre, l’enquête à Paris vise surtout à qualifier l’infraction, à établir les responsabilités et, surtout, à documenter l’itinéraire d’un uranium dont la traçabilité a une valeur stratégique.

De l’autre côté, le calendrier ne tombe pas du ciel, car, depuis fin 2024, Orano répète avoir perdu le contrôle opérationnel de ses actifs miniers au Niger, et donc l’accès aux informations de terrain. Ainsi, l’entreprise explique ne disposer d’aucune confirmation officielle sur la quantité transportée, ni sur la destination finale, ni sur les conditions de sûreté et de sécurité, toujours selon son communiqué du 27 novembre 2025. Or, lorsqu’un acteur industriel dit ne plus maîtriser un stock d’uranium et, en même temps, parle de « transport illégal », la mécanique judiciaire s’enclenche plus vite, d’autant que le parquet de Paris a l’habitude des dossiers transnationaux. En outre, et parce que le Niger est un fournisseur historique d’uranium, l’enquête devient aussi un révélateur : elle mesure le niveau de rupture entre un opérateur et un État, et elle teste la solidité des garde-fous juridiques quand la situation politique bascule.

Uranium, stocks et valeur : ce que l’on sait des quantités et des risques

Sur les quantités, il faut avancer prudemment, car les chiffres circulent, mais les confirmations officielles manquent. Un ordre de grandeur revient néanmoins : environ 1 050 tonnes d’uranium auraient été déplacées depuis la SOMAÏR, une estimation relayée par plusieurs publications à partir d’informations sécuritaires, sans que la destination ne soit rendue publique. Par conséquent, et puisque l’uranium est une matière dont la valeur dépend du grade, de la forme et des contrats, ce volume, s’il est avéré, représente un enjeu économique majeur. Par ailleurs, d’autres chiffres apparaissent dans le débat public : un stock d’environ 1 300 tonnes est évoqué comme base d’un contentieux commercial, associé à une valorisation de l’ordre de 250 millions d’euros selon une analyse sectorielle publiée le 4 décembre 2025 par la Société française d’énergie nucléaire. Autrement dit, le cœur de l’affaire tient à des stocks d’uranium : leur existence, leur statut de propriété, leur immobilisation et, désormais, leur mouvement.

Sur les risques, l’uranium n’est pas seulement une ligne comptable, car il engage la sécurité physique et la sûreté. Orano insiste sur ce point et, dans une déclaration rapportée par Reuters le 1er décembre 2025, avertit que transporter « une grande quantité d’uranium » via un corridor non sécurisé comporte « des risques importants de sûreté et de sécurité » ; en français, cela revient à dire que l’uranium, même faiblement radioactif à ce stade du cycle, nécessite un encadrement strict. En effet, dès que la chaîne logistique se dégrade, et puisque la zone sahélienne est instable, les risques de vol secondaire, de perte de contrôle et d’incident augmentent. De surcroît, et parce que l’uranium se négocie avec des obligations de conformité, le simple doute sur la traçabilité peut geler des transactions, renchérir des assurances et, au final, fragiliser des contrats. Ainsi, l’enquête et les soupçons pèsent autant sur l’image que sur les volumes.

Niger dans un bras de fer avec le parquet de Paris

Au plan juridique, l’uranium se trouve au centre d’un enchevêtrement entre contentieux arbitral et enquête pénale. Orano soutient que le transport dénoncé contrevient à une décision du tribunal arbitral du CIRDI rendue le 23 septembre 2025, dans le litige l’opposant à l’État du Niger à propos de la SOMAÏR. Dans un communiqué du 27 novembre 2025, l’entreprise cite une injonction attribuée au CIRDI : « ne pas vendre, ni céder ni même faciliter le transfert à des tiers de l’uranium produit par la SOMAÏR ». Cette phrase, à elle seule, indique la ligne de fracture : l’uranium n’est pas seulement extrait, il est produit, stocké, puis commercialisé, et chaque étape peut devenir un champ de bataille. Dès lors, le parquet de Paris enquête sur une qualification pénale possible, tandis que, parallèlement, l’arbitrage international vise à encadrer la disposition de l’uranium contesté.

En face, le Niger durcit aussi sur un autre registre, celui des accusations environnementales et de la souveraineté sur les sites. Le ministre nigérien de la Justice, Alio Daouda, a déclaré que les autorités avaient trouvé 400 fûts de « carottes radioactives » à Madaouela, près d’Arlit, et qu’il mettait en avant des mesures de radiation comprises entre 7 et 10 microsieverts par heure, contre 0,5 comme valeur habituelle citée pour comparaison. Orano répond qu’il ne détient pas de licence d’exploitation pour Madaouela et qu’il n’y a mené aucune opération ; l’entreprise affirme en substance : « Orano ne détient pas de permis d’exploitation pour Madaouela et n’y a mené aucune activité ». Ainsi, et parce que l’uranium cristallise des griefs industriels, environnementaux et politiques, le dossier s’élargit bien au-delà d’un simple soupçon de vol. Et puisque le parquet de Paris regarde les faits sous l’angle pénal, tandis que Niamey parle souveraineté, l’affaire devient une collision de cadres : droit national, arbitrage international et rapports de force sur le terrain.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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