Épargne : les pistes choc de la Cour des comptes pour le Livret A

Dans un rapport publié le 1ᵉʳ décembre 2025, la Cour des comptes propose de revoir les règles des livrets réglementés, dont le Livret A. Une réforme qui pourrait modifier la manière dont les Français épargnent… si elle est suivie d’effet.

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By Aurélie Giraud Published on 2 décembre 2025 11h56
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Le Livret A resterait défiscalisé… mais seulement jusqu’à un seuil revu à la baisse. - © Economie Matin
19.125 EUROSLe plafond unique recommandé par la Cour des comptes pour le Livret A et le LDDS.

Le Livret A semblait intouchable. Pourtant, la Cour des comptes estime aujourd’hui qu’il ne remplit plus tout à fait sa mission initiale et qu’une révision de ses règles s’impose. Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), rattaché à la Cour des comptes, ouvre ainsi un chantier qui pourrait redéfinir le cadre de l’épargne réglementée. Les pistes avancées restent à discuter, mais elles pourraient concerner directement plusieurs millions de ménages.

Livret A : un plafond ramené à 19.125 € et une fiscalisation au-delà

Aujourd’hui, un Livret A peut recevoir jusqu’à 22.950 € hors intérêts capitalisés. Le LDDS, lui, est plafonné à 12.000 €. Le rapport propose de mettre fin à cet écart historique.

Le CPO préconise d’harmoniser les plafonds du livret A et du LDDS à 19.125 € et de soumettre à l’imposition de droit commun les dépôts excédant ce plafond.
Autrement dit :

  • Plafond Livret A : 22.950 € → 19.125 €
  • Plafond LDDS : 12.000 € → 19.125 €
  • Tout ce qui dépasse 19.125 € serait imposé comme n’importe quel revenu de placement.

Afin d’illustrer l’enjeu, le rapport rappelle que 15% des Livrets A dépassent déjà leur plafond actuel, grâce à la capitalisation des intérêts, et qu’ils concentrent à eux seuls près de 47% des encours. Le phénomène est encore plus marqué sur le LDDS, où 63% des livrets dépassent les plafonds.

Selon la direction générale du Trésor, citée dans le rapport, l’harmonisation à 19.125 € suivie d’une fiscalisation rapporterait environ 150 M€, contre 80 M€ si seule la fiscalisation au-delà des plafonds actuels était appliquée.

83% des Français ont un Livret A : qui serait vraiment concerné ?

Le Livret A est le compte d’épargne le plus diffusé en France : 83% de la population en possède un. Pourtant, la grande majorité de ces livrets affichent des encours modestes.

Le rapport relève que le montant moyen d’un Livret A est de 7.482 €, et que ce produit ne représente que 7% du patrimoine financier total des ménages. Il est donc largement utilisé comme réserve de précaution — ce qui justifie son régime fiscal avantageux.

En revanche, le cumul des plafonds actuels permet d’atteindre des niveaux jugés incohérents avec l’objectif de précaution. Le rapport cite un exemple parlant : un couple avec trois enfants peut réunir jusqu’à 143.550 € sur des livrets réglementés (Livret A, LDDS, livrets jeunes). Cela représente 2,3 années de revenus moyens pour cette catégorie de foyer.

C’est précisément ce type de situation que la Cour des comptes veut encadrer. 15% des Livrets A dépassent aujourd’hui leur plafond précise le rapport. Ce sont ces livrets — et non les millions de livrets modestes — qui seraient directement concernés par la mesure.

5,6 milliards d’euros d’avantages fiscaux : la Cour veut mieux cibler le dispositif

L’épargne réglementée coûte cher à l’État : 5,6 milliards d’euros d’exonérations fiscales et sociales en 2025, selon les données reprises dans le rapport.

Le CPO rappelle que cette dépense publique bénéficie largement à des ménages capables de placer des dizaines de milliers d’euros à faible risque. Le texte insiste sur le fait que l’exonération reste légitime “au vu du profil des épargnants” pour une épargne de premier niveau, mais qu’elle devient moins cohérente lorsqu’elle s’apparente à un placement neutre et fiscalement privilégié.

L’institution estime que la hausse des taux depuis 2021, conjuguée à l’absence d’imposition, a renforcé cet effet d’aubaine.

Pourquoi la Cour veut réduire les plafonds : recentrer l’épargne sur les politiques publiques

Le chapitre consacre de longs développements à la vocation de l’épargne réglementée : financer des missions que le marché financier ne prend pas en charge, comme le logement social ou la transition écologique.

Le rapport rappelle notamment :

  • l’importance des prêts très longs pour financer le logement social ;
  • l’intérêt de soutenir les PME innovantes via des conditions préférentielles de financement ;
  • la nécessité de comparer le coût des exonérations avec d'autres modes de financement public ;
  • la faible orientation actuelle de l’épargne vers les investissements risqués ou productifs.

Dans ce contexte, la Cour estime logique de limiter la déviation du Livret A vers un rôle de placement patrimonial, sans remettre en cause son utilité pour les ménages modestes.

Un rapport qui s’inscrit dans une réforme plus large du patrimoine

Le Livret A n’est qu’un volet d’un rapport qui appelle à rééquilibrer l’ensemble de la fiscalité du patrimoine. Parmi les pistes figurent :

  • une révision des avantages liés à l’assurance-vie, en particulier au décès ;
  • un rapprochement des régimes entre location meublée et location nue ;
  • une meilleure contribution des très hauts patrimoines, via une imposition plus “effective” des actifs financiers non professionnels ;
  • une modernisation des règles de succession et de donation pour limiter les effets d’optimisation.

Toutes ces propositions suivraient la même logique : réduire les distorsions, élargir les assiettes, recentrer les incitations fiscales.

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Aurélie Giraud, juriste de formation, titulaire d'une maîtrise de droit public (Sorbonne, Paris I), est journaliste à Economie Matin, après avoir travaillé comme correctrice et éditrice dans l’édition.

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