Malgré un pouvoir d’achat en hausse et une inflation sous contrôle, les Français dépensent moins que leurs voisins européens. Alimentation, textile, automobile : la consommation s’essouffle dans un climat d’incertitude politique et économique. Le moteur historique de la croissance française tourne au ralenti, reflet d’un pays qui épargne par prudence plus que par nécessité.
Les Français ne consomment plus comme leurs voisins européens

Une frilosité persistante des ménages
La consommation des ménages français, qui représente environ la moitié du PIB, traverse une période de stagnation prolongée. Selon l’Insee, elle ne progresserait que de 0,5 % en 2025, après 1 % en 2024, un rythme bien inférieur à celui du pouvoir d’achat (+2,5 %). « La consommation déçoit depuis plusieurs trimestres », constate Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture à l’Insee, interrogé par l’AFP. Le contraste est saisissant : malgré des salaires en hausse et une inflation limitée à 1 % cette année, les Français dépensent de moins en moins.
L’alimentation est en première ligne, avec une baisse cumulée de 8 % depuis 2022, un effondrement inédit depuis le début des statistiques nationales. Les foyers se détournent des produits frais – viande, fruits et légumes – au profit de denrées moins chères et plus durables, comme les œufs, les pâtes ou les plats préparés. « C’est du jamais-vu depuis qu’on fait des statistiques à l’Insee », note Roucher.
Ce repli dépasse la seule question du pouvoir d’achat. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, la succession d’incertitudes politiques a accentué un sentiment d’instabilité économique. « Les Français broient du noir. Relativement à leurs voisins, ils sont beaucoup plus pessimistes », analyse le même expert. Une perception déconnectée des fondamentaux, selon Maxime Darmet, économiste chez Allianz Trade : « C’est psychologique. Les revenus progressent, mais la peur de l’avenir bride la dépense ».
Un paradoxe économique à la française
Ce pessimisme se traduit dans les chiffres de l’épargne, qui bat des records. Le taux d’épargne des ménages atteindrait 18,5 % en 2025, un sommet inédit depuis 45 ans hors crise sanitaire, quand il reste autour de 13 % en Allemagne ou en Italie. Pour l’Insee, « les gains de pouvoir d’achat ont été plus importants qu’ailleurs en Europe, mais les achats y sont moins dynamiques ». Autrement dit, les Français préfèrent stocker plutôt que consommer.
Cette prudence est multifactorielle : incertitude politique, craintes de nouvelles hausses de fiscalité, et mémoire encore vive des chocs successifs – crise sanitaire, inflation énergétique, guerre en Ukraine. À cela s’ajoute un environnement économique perçu comme instable : « Les débats budgétaires houleux et les tensions internationales alimentent un climat anxiogène », résume l’économiste Clément Galland dans Le Point.
Paradoxalement, cette situation freine la croissance tout en stabilisant les prix. La demande contenue limite les pressions inflationnistes, mais prive l’économie d’un levier essentiel de relance. Pour les entreprises, notamment dans le commerce et la distribution, l’heure est à la prudence. Selon la Fédération du commerce et de la distribution, les ventes de produits non alimentaires ont reculé de 3 % au troisième trimestre, tandis que les marges restent sous tension face à la montée des coûts logistiques.
Une consommation au compte-gouttes, reflet d’un malaise social
Les comportements de consommation traduisent un changement de rapport à l’argent. Les ménages privilégient les dépenses contraintes et différencient plus que jamais l’essentiel du superflu. Les arbitrages budgétaires se multiplient : achat d’occasion, location, renoncement à certains loisirs. « Les Français dépensent moins, mais mieux. Ils veulent optimiser chaque euro », observe Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire société et consommation, dans Les Échos.
Ce repli s’observe dans tous les segments : vêtements (-6 % sur un an), équipement de la maison (-4 %), automobile (-7 %). Les produits culturels et technologiques résistent mieux, portés par les abonnements et les plateformes numériques, mais ne compensent pas la baisse globale. Les ménages modestes, les plus exposés à la hausse passée des prix, sont les premiers à restreindre leurs achats, mais le phénomène s’étend aussi aux classes moyennes.
Pour l’économiste Mathieu Plane (OFCE), cette prudence généralisée est révélatrice d’un climat collectif d’incertitude : « Quand le pays doute de son avenir, les ménages se replient sur le court terme. La peur du lendemain devient un réflexe économique ». En attendant un retour de la confiance, la France vit au rythme de la dépense contenue — un symptôme silencieux d’un malaise social plus profond.