Les milliardaires de gauche : altruisme ou stratégie d’influence ?

Ils investissent dans les médias progressistes, financent la recherche, l’écologie ou les droits humains : rares, mais bien réels, les milliardaires « de gauche » bousculent les codes du capitalisme. Entre philanthropie sincère et soft power idéologique, leur engagement interroge. Peut-on vraiment concilier ultra-richesse et idéaux égalitaires ?

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By Rédacteur Published on 26 décembre 2025 9h00
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Les milliardaires de gauche : altruisme ou stratégie d’influence ? - © Economie Matin
13 MILLIARDS $La fortune de Xavier Niel est estimée à 13 milliards de dollars.

Les nouveaux visages du capitalisme éclairé

Longtemps perçus comme les symboles d’un capitalisme sans scrupules, certains ultra-riches revendiquent aujourd’hui des valeurs progressistes. Bill Gates, par exemple, consacre sa fortune à la santé publique et au climat via la Bill & Melinda Gates Foundation. « Nous avons les moyens d’agir sur les grandes crises mondiales, nous n’avons plus d’excuse pour ne rien faire », déclarait-il sur CNN en 2023. Dans la même logique, le milliardaire George Soros, fondateur de l’Open Society Foundations, finance des ONG défendant la démocratie et les droits humains. Pour ses détracteurs, il incarne « le capitaliste mondialiste qui achète les consciences » ; pour ses soutiens, il est l’un des rares à « mettre son argent au service de ses idées », note The Guardian.

Troisième homme le plus riche du monde, Warren Buffett défend, lui, une fiscalité plus juste. « Mon taux d’imposition est inférieur à celui de ma secrétaire », rappelait-il au New York Times, plaidant depuis des années pour une hausse des impôts sur les plus aisés. Autre figure singulière, Pierre Omidyar, fondateur d’eBay, a investi massivement dans le journalisme d’investigation à travers The Intercept et prône « plus de transparence et de démocratie dans l’économie numérique ».

Laurene Powell Jobs, veuve de Steve Jobs, a également transformé son héritage en levier d’influence progressiste via Emerson Collective, une initiative soutenant l’éducation, l’environnement et le journalisme indépendant. Quant à Michael Bloomberg, ex-maire de New York et magnat de la finance, il milite pour le contrôle des armes et la santé publique. Il a récemment promis 100 millions de dollars pour soutenir la réduction des émissions de méthane, confirmant son rôle de milliardaire engagé.

En France, une gauche sous perfusion de capitaux privés

Ce phénomène ne se limite pas aux États-Unis. En France aussi, la gauche doit beaucoup à certains milliardaires. Xavier Niel, Daniel Kretinsky ou Rodolphe Saadé injectent des sommes considérables dans les médias dits progressistes. Sans eux, « la presse de gauche aurait probablement disparu », reconnaît un rédacteur en chef cité par Médiapart.

Daniel Kretinsky, industriel tchèque devenu actionnaire de Libération et de Marianne, est sans doute le plus paradoxal : un magnat du charbon finançant des titres écologistes. « Il maintient en vie ce journal de toutes les gauches », relève 20 Minutes en évoquant le premier cité. Rodolphe Saadé, propriétaire de BFM et du groupe CMA CGM, mise sur un « front républicain médiatique » pour contrer l’influence de Vincent Bolloré et de CNews. En lançant La Tribune Dimanche en 2023, il s’est imposé comme le contrepoids assumé du Journal du Dimanche dirigé par Geoffroy Lejeune.

Xavier Niel demeure également un pilier du financement de la presse progressiste : L’Obs, Le Monde, HuffPost autant de titres qu’il soutient, parfois discrètement, tout en défendant une ligne sociale-libérale. Matthieu Pigasse, ex-banquier d’affaires, revendique quant à lui un combat idéologique clair : « Je veux mettre les médias que je contrôle au service du progrès et contre la droite radicale », affirmait-il dans Les Inrockuptibles.

Philanthropie, influence et capital politique

Derrière la générosité affichée, une question demeure : la philanthropie des milliardaires est-elle un prolongement de leur pouvoir ? Les investissements massifs dans la presse, les ONG ou les universités façonnent le débat public autant qu’ils le financent. « Sans eux, certaines causes ne survivraient pas ; avec eux, elles ne sont plus totalement indépendantes », résume un chercheur en économie politique de Sciences Po.

Certains observateurs voient dans cette nouvelle élite progressiste une tentative de réconciliation entre capital et morale. D’autres y perçoivent une stratégie d’influence, subtile mais déterminante. Car l’argent, même quand il se veut altruiste, n’est jamais neutre. Comme le soulignait déjà le sociologue Pierre Bourdieu, « ceux qui détiennent le capital économique détiennent aussi, bien souvent, le capital symbolique ».

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