Global Aviation : une compagnie mauritanienne qui redessine le ciel ouest-africain

En Afrique de l’Ouest, la compagnie Global Aviation veut relier les villes et les entreprises en apportant la rapidité et la sécurité. Un projet ambitieux pour redessiner le ciel de l’Afrique et gagner en autonomie dans le transport aérien.

Jb Noe Identite
By Jean-Baptiste Noé Published on 19 décembre 2025 14h31
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Global Aviation : une compagnie mauritanienne qui redessine le ciel ouest-africain - © Economie Matin
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Dans l’aviation africaine, on cite volontiers les grands hubs – Addis-Abeba, Casablanca, Johannesburg. On parle moins de Nouakchott. Et pourtant, c’est depuis cette capitale au bord du désert qu’une compagnie privée, Global Aviation, teste quelque chose de plus ambitieux qu’un simple opérateur de vols à la demande. Elle propose une manière nouvelle de faire voler des avions en Afrique de l’Ouest, de collaborer avec des compagnies nationales, et de déplacer la valeur ajoutée vers le continent plutôt que vers l’extérieur. Derrière cette innovation, il y a un homme, Yacoub Sidya, un socle technique solide – des flottes, des certificats, des centres de maintenance – et un objectif assumé : faire du made in Africa à haute valeur ajoutée.

Global Aviation naît d’un drame. En 2012, lors d’un transport d’or pour la mine de Kinross, un avion s’écrase. L’épisode agit comme un révélateur brutal : tant que la logistique aérienne reste confiée à des tiers, sur des avions dont on ne maîtrise ni la maintenance ni la culture de sécurité, les entreprises ne sont jamais complètement maîtresses de leur destin. Yacoub Sidya décide en réponse de créer sa propre compagnie. L’ambition est de remonter la chaîne de responsabilité : contrôler les certificats, la maintenance, le choix des pilotes, la philosophie opérationnelle.

Dès lors, Yacoub Sidya rachète une société espagnole forte de plusieurs décennies d’expérience pour transférer ce savoir-faire en Mauritanie. Il ne s’agit plus seulement d’exploiter des avions, mais de rapatrier une partie de la compétence aéronautique sur le continent. A partir de 2019, Global Aviation commence par des évacuations médicales d’Afrique vers l’Europe. En 2020, avec le Covid, le flux explose, la structure se professionnalise : procédures, équipages, logistique, tout est mis sous tension.

À partir de 2021, il engage donc le processus le plus lourd du secteur : l’obtention de certificats de transporteur aérien (AOC). Le premier est décroché au Burkina en décembre 2019. Suivent la Mauritanie, le Mali, la Guinée Conakry, le Niger et le Cap-Vert. Le Sénégal est en ligne de mire, les démarches déjà engagées.

Global Aviation vient ainsi s’ajouter à une architecture déjà en place : MSS Security, née d’une autre faille – celle d’une sécurité privée défaillante, révélée lors d’une tentative de coup d’État – et Phoenix Precious Metals, positionnée sur le commerce et le raffinage de l’or. À chaque fois, la logique est la même : identifier un maillon critique où les acteurs locaux sont dépendants de prestataires étrangers ou peu fiables, puis construire une structure africaine capable de concurrencer les multinationales sur leur propre terrain.

L’Afrique de l’Ouest vue depuis un cockpit

Le terrain de jeu de Global Aviation est celui des mines perdues au bout de pistes défoncées, des bases pétrolières isolées ou des capitales régionales mal reliées entre elles. Organiser un déplacement n’a rien de trivial. Pour aller de Nouakchott à Bamako, il est parfois plus simple de passer par Paris que par un vol direct intrarégional. Les compagnies nationales accumulent les retards, les dettes et les détournements politiques. Les projets de « ciel unique africain » restent des slogans plus que des pratiques.

La compagnie s’est positionnée sur ce que l’on pourrait appeler la « colonne vertébrale logistique » de la région : transporter les hommes, les pièces, parfois les minerais, pour le compte d’acteurs miniers et pétroliers qui ne peuvent pas se permettre l’aléa. Certains appareils effectuent huit à dix segments par jour pour amener et ramener le personnel des mines, relier des petites villes à des centres hospitaliers, ou assurer des évacuations médicales vers l’Europe.

La flotte, elle aussi, raconte la stratégie : 6 Beechcraft 1900D pour desservir les pistes courtes et difficiles, trois hélicoptères Leonardo pour les opérations plus pointues, deux ATR 72 pour les flux plus denses, et un Learjet 45 pour les évacuations vers le continent. Certains réalisent ponctuellement des vols touristiques

Le modèle est très éloigné de l’imaginaire du vol commercial classique. Il repose sur des contrats longs pluriannuels, des clients peu nombreux mais exigeants, une adaptation constante aux contraintes des sites – altitude, climat, état des pistes, contexte sécuritaire.

Une compagnie privée qui porte les couleurs des États

L’une des dimensions les plus singulières du modèle se joue dans sa capacité à voler au nom de compagnies nationales africaines. La compagnie nationale garde son identité, ses droits de trafic, sa présence symbolique dans le ciel. Global Aviation, elle, fournit les avions, les équipages, la maintenance, l’ingénierie opérationnelle. Pour les États, c’est une manière de maintenir des connexions aériennes sans supporter seuls le coût et la complexité de l’opération.

Concrètement, ce basculement s’opère toujours de la même façon : une fois l’AOC obtenu dans un pays, la compagnie installe un bureau, déploie des techniciens, affecte des pilotes, positionne les avions sur les aéroports stratégiques.

C’est à Nouakchott que Global Aviation a choisi de localiser sa première base de maintenance intégrale, le premier centre privé de ce type dans le pays et l’un des seuls de la sous-région. C’est là aussi que se jouent des arbitrages techniques qui, jusque-là, se réglaient à l’étranger : inspection, réparation, contrôle, documentation, relation avec les autorités de l’aviation civile. Les avions sont entretenus en interne, jusqu’aux opérations lourdes, seuls les moteurs restant envoyés chez le constructeur. Ce pari reste un challenge de tous les jours. Il suppose des volumes suffisants, une montée en compétence rapide des équipes locales, des autorités capables d’accompagner cette trajectoire par des réglementations claires et prévisibles.

Global Aviation a construit sa crédibilité en allant chercher une série de sésames qui, pour les grands clients internationaux, sont déterminants. Les AOC multipays, puis une autorisation supplémentaire, pour voler en Europe. À cela s’ajoute une certification internationale particulièrement stricte, utilisée dans le secteur du oil and gas (type Basic Aviation Risk Standard).

La compagnie est ainsi décidée à changer la donne du ciel africain.

Jb Noe Identite

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Ircom. Rédacteur en chef de Conflits.

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