Gordon Brown – Réparer la gouvernance mondiale

Gordon Brown, ancien Premier ministre du Royaume-Uni, est président du comité de direction de haut niveau du fonds Education Cannot Wait.

Gordon Brown
Par Gordon Brown Modifié le 29 septembre 2023 à 8h38
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25 MILLIARDS $L’administration Biden s’est engagée à sécuriser un financement supplémentaire de 25 milliards $ pour la Banque mondiale

À la suite du sommet du G20 en Inde ainsi que de l’Assemblée générale des Nations Unies ce mois-ci, les dirigeants mondiaux assisteront aux réunions du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Marrakech, avant de se rendre à Dubaï pour la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28). L’optimisme ne règne toutefois pas quant à la possibilité de voir ces différents sommets produire des avancées significatives dans la résolution de nos plus grands défis, non pas en raison d’un manque de volonté, mais parce que le cadre mondial que nous appliquons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale n’est tout simplement plus adapté.

La fragmentation croissante du monde s’est confirmée lors du sommet du G20. Si cet événement a marqué l’ascension de l’Inde en tant que grande puissance, le moment de gloire du Premier ministre Narendra Modi n’a pas duré bien longtemps. Ce sommet n’a en effet quasiment rien produit qui pourrait empêcher les années 2020 de devenir presque certainement une décennie de faible croissance.

Malgré l’admission de l’Union africaine en tant que membre à part entière du G20, les dettes écrasantes des pays du Sud n’ont quasiment pas fait l’objet d’un allégement. De même, alors que les membres du G20 sont responsables de 75 % des émissions mondiales de carbone, le sommet a échoué à appréhender l’ampleur du manque de financements climatiques. Sur la base de l’examen des cadres d’adéquation des fonds propres du G20, l’administration Biden s’est engagée à sécuriser un financement supplémentaire de 25 milliards $ pour la Banque mondiale – un montant cependant très éloigné des 260 milliards $ annuels recommandés par l’ancien secrétaire du Trésor américain Lawrence H. Summersdans le rapport Singh-Summers remis au G20 cette année.

Au lieu de cela, ce sommet vient conclure une année au cours de laquelle la Chine et l’Occident ont érigé de nouveaux « rideaux de fer » en matière de technologies, de commerce, d’investissement et de données – ce qui présage d’un avenir à « un monde, deux systèmes ». Ce nouveau protectionnisme s’est accompagné d’une rétrogradation du G20. Tandis que l’ancien président américain Barack Obama considérait le G20 comme le plus grand forum sur la coopération économique mondiale, l’actuel conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, Jake Sullivan, qualifie dorénavant le G7 (Europe, Amérique du Nord et Japon) de « comité de pilotage du monde libre ».

Cette relégation du G20 est l’une des conséquences du passage d’un monde unipolaire à un monde multipolaire, d’une économie hypermondialisée à ce que l’on pourrait appeler une mondialisation « light », et du néolibéralisme au néomercantilisme. Ces 30 dernières années, l’économie déterminait les décisions politiques. C’est désormais la politique – nationaliste de surcroît – qui guide l’élaboration des politiques. La politique du jeu à somme nulle triomphe aujourd’hui sur l’économie « gagnant-gagnant ».

En 1999, lorsque j’ai assisté au premier G20 (alors uniquement composé de ministres des Finances), l’hégémonie américaine était à son apogée, et la Réserve fédérale américaine ainsi que le Trésor des États-Unis se félicitaient d’être qualifiés de « sauveurs du monde ».

Lorsque l’économie mondiale s’est effondrée en 2008, le Royaume-Uni et plusieurs autres ont appelé les chefs de gouvernement des États membres du G20 à se réunir pour la première fois. Lors du G20 de Londres en 2009, nous souhaitions que la Chine rejoigne l’Occident pour renforcer l’économie mondiale en lui apportant 1 000 milliards $ de soutien. Nous observions déjà que le monde évoluait dans une direction plus multipolaire.

Le sommet de Londres avait également chargé le Premier ministre indien de l’époque, Manmohan Singh, de superviser un examen de l’architecture internationale dominante. Puis, lors du sommet de Pittsburgh à l’automne 2009, le G20 avait convenu d’un pacte mondial pour la croissance, sous la conduite du FMI, consistant à publier des évaluations annuelles afin d’identifier à la fois les risques pour l’économie mondiale et les opportunités d’action coordonnée.

Seulement voilà, à mesure que l’Occident s’est recroquevillé dans des politiques d’austérité, et qu’il a adopté de nouvelles formes de protectionnisme, ces initiatives ont été abandonnées. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont rompu avec leur tradition consistant (le plus souvent) à agir de manière multilatérale, et ont choisi l’unilatéralisme alors même qu’un monde multipolaire prenait forme.

Or, le changement climatique, la pandémie de COVID-19, ainsi que les crises énergétique et alimentaire de 2022 confirment que les problématiques auxquelles nous sommes confrontées aujourd'hui sont de nature véritablement globale, et nécessitent des solutions mondiales. Les avancées ne peuvent être atteinte au moyen d’interventions seulement bilatérales et régionales ; elles nécessitent une action mondialement coordonnée.

Si nous continuons de privilégier le G7 au détriment du G20, nous devons nous interroger sur ce qu’il adviendra la prochaine fois que surviendra une crise financière mondiale, et que nous ne serons pas en mesure de rassembler autour de la table tous les principaux acteurs. Quelles seront nos chances de progresser dans la réduction des émissions mondiales, et d’empêcher certains de jouer les « passagers clandestins » dans un monde du « chacun pour soi » ? Quelles seront nos chances de remédier aux inégalités planétaires si les États n’entrevoient le monde qu’en termes de « nous contre les autres », sans possibilité de forums où trouver un terrain d’entente ?

Le président américain Joe Biden reconnaît certes la nécessité d’une coopération mondiale, et se démarque comme le plus internationaliste des présidents américains dans l’histoire récente. Seulement voilà, bien que son propre agenda concernant le G20 mette en œuvre de la matière grise, il ne met pas suffisamment de cœur à l’ouvrage, préférant les alliances bilatérales aux actions mondialement coordonnées. De même, la Chine se présente comme défenseuse de l’ordre mondial fondé sur des règles, et s’engage pour le respect de la Charte des Nations Unies ; or, son plus haut dirigeant Xi Jinping n’a même pas assisté au G20, ni à l’assemblée de l’ONU de ce mois-ci.

C’est précisément lors de ces moments rares, au cours desquels la préparation rencontre l’opportunité, qu’il nous faut agir ensemble. Le traité d’interdiction des essais nucléaires du président américain John F. Kennedy, la réduction du nombre d’armements nucléaires par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, ou encore l’accord historique de 1987 pour la préservation de la couche d’ozone sont autant d’événements qui démontrent que des dirigeants forts peuvent opérer d’importants changements de cap. Les dirigeants d’aujourd'hui ne doivent pas attendre qu’une catastrophe survienne pour commencer à agir.

Gordon Brown

Gordon Brown, ancien Premier ministre du Royaume-Uni, est président du comité de direction de haut niveau du fonds Education Cannot Wait

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