Internet a longtemps incarné la liberté : celle de connaître, d’échanger, d’innover. Liberté de faire gagner du temps, d’en perdre aussi. Mais Internet se transforme en un espace de dépendances multiples. Les grandes plateformes numériques, tel que les GAFAM, contrôlent désormais les canaux d’accès, les données, et souvent les standards eux-mêmes.
Internet libre ou Internet sous tutelle ? La bataille de l’identité numérique

Le modèle économique le plus rentable d’Internet repose sur la captation massive d’informations personnelles : âge, localisation, habitudes de consommation, opinions, relations sociales. Ces données, agrégées et revendues, dessinent des profils d’utilisateurs d’une précision extrême, transformant l’individu en produit plutôt qu’en acteur du numérique.
Face à ces enjeux déjà largement identifiés, la réponse est multiple. La France a fait le choix d’investir dans les infrastructures souveraines pour enrayer cette dépendance. Le pays dispose aujourd’hui de clouds compétitifs soutenus par une politique industrielle ambitieuse. Pourtant, cette avance technologique demeure incomplète si les services utilisés sur ces infrastructures (moteurs de recherche, plateformes d’échanges, outils d’intelligence artificielle) captent les données personnelles. La souveraineté des données personnelles ne résulte pas uniquement de l’infrastructure, de l’hébergement du service internet : elle s’incarne d’abord dans l’identification.
Pourquoi l’identité numérique est-elle la clé de notre souveraineté ?
Pour utiliser Internet sans être profilé, la seule réponse crédible est de reprendre le contrôle de notre identité numérique. Pas en la supprimant, ce serait renoncer aux avantages d’Internet, mais en la maîtrisant. En décidant nous-mêmes quelles informations partager, avec qui, et dans quel but.
Cette notion d’identification est centrale : une identité numérique souveraine permet l’identification d’une connexion, le partage d’attributs d’identité, sans transmission de données personnelles. Une identité numérique souveraine garantit que l’accès à un service ne se traduise pas par une dépossession de soi. Elle fonde un Internet où la confiance remplace la surveillance, et où l’usager redevient sujet de ses interactions numériques.
Le modèle français se distingue par son refus de la centralisation et par la maîtrise donnée à l’individu sur ses attributs. Il repose sur une distinction essentielle entre l’identité elle-même (ce qui définit une personne) et les attributs (ce qu’elle peut prouver : être majeur, résident, diplômé, ou bénéficiaire d’un droit.)
Grâce à des mécanismes cryptographiques, ces attributs peuvent être signés, vérifiés et présentés sans révéler l’identité complète de leur détenteur. Il devient alors possible de justifier d’un droit ou d’une situation sans exposer l’ensemble de ses données personnelles.
Imaginons un instant la liberté que cela nous offrirait : Prouver que vous avez plus de 18 ans sans révéler votre date de naissance. Justifier d’un droit à une subvention sans divulguer l’intégralité de votre situation financière. Accéder à un service public sans que vos données soient stockées dans une base centrale, vulnérable aux piratages ou aux détournements.
Une identité numérique à la française, c’est-à-dire une identité refusant la centralisation des données, le partage d’attributs personnels sans consentement éclairé, une identité numérique qui redonne le contrôle sur ce qui est divulgué.
Le EUDI Wallet : la chance de porter une vision ambitieuse
C’est dans cet esprit que la France et l’Union Européenne déploient un portefeuille d’identité numérique européen (EUDI) qui répond à trois impératifs : la souveraineté, une identité numérique européenne, indépendante des GAFAM et des États extra-européens ; la liberté, un système où l’utilisateur garde le contrôle de ses données, sans obligation de partager plus que nécessaire ; l’interopérabilité, une solution reconnue dans toute l’UE, pour que les citoyens français, allemands ou espagnols puissent utiliser leur identité numérique sans frontière, ce qui permet de peser plus lourd face aux géants du numérique.
Ce portefeuille permettra de stocker et de présenter des attributs d’identité vérifiables, sécurisés et signés. Ce que cela change ? Tout. Car cela signifie que demain, pour embarquer, réserver, payer ou s’identifier, nous pourrons présenter un attribut vérifié et non une accumulation de justificatifs personnels. C’est un pas majeur vers un Internet plus fluide, plus sûr, mais surtout plus libre. Un Internet où la preuve remplace la donnée. Un Internet où l’individu reprend le contrôle.
Ce projet est une réponse directe aux dérives des modèles obligatoires ou centralisés (comme au Royaume-Uni, où l’identité numérique sera obligatoire pour travailler dès 2029). À l’inverse, la France mise sur une approche décentralisée, où l’utilisateur reste maître de ses données. Il s’agit de penser à la proportionnalité du partage d’informations. L’objectif n’est pas de multiplier les contraintes, mais de garantir que chaque usage numérique repose sur une logique de consentement, de transparence et de souveraineté
Pourquoi ce choix est-il crucial ? Parce qu’Internet ne doit pas devenir un espace où notre liberté est conditionnelle. Où l’accès à un service dépendrait de notre acceptation à être utilité, analysé. Où nos données personnelles seraient monétisées à notre insu, au profit d’acteurs qui n’ont aucun compte à rendre.
Le règlement eIDAS 2 et son EUDI Wallet est une opportunité unique pour la France et l’Europe de montrer la voie. Une voie où l’identité numérique n’est pas une contrainte, mais une garantie de liberté. Où Internet reste un espace d’opportunités, et non un champ de bataille pour nos données. À nous de choisir. Et à nous de faire en sorte que ce choix soit celui de la souveraineté, de la liberté et de l’innovation responsable.