Le 30 septembre, la Commission européenne a publié une recommandation invitant les États membres à créer ou à renforcer les comptes d’épargne-investissement, dotés d’un régime fiscal avantageux. L’objectif est d’orienter une partie de l’épargne des ménages européens vers le financement des entreprises, de la transition climatique et de l’autonomie stratégique de l’Union.
De la fragmentation de l’épargne européenne à une épargne commune européenne !

Sur le papier, l’intention est louable. L’Europe dispose d’un stock d’épargne privée considérable – plus de 35 000 milliards d’euros selon la BCE – mais une faible part de ces montants alimente l’économie réelle. En simplifiant l’accès aux marchés financiers et en offrant des incitations fiscales, la Commission espère stimuler la participation des citoyens à l’investissement productif.
Toutefois, cette approche risque de reproduire les limites des dispositifs nationaux déjà existants : le Plan d’épargne en actions (PEA) en France, l’Investeringssparkonto en Suède, ou encore les produits d’investissement fiscalement avantageux en Italie ou en Allemagne. Ces instruments, bien que pertinents à l’échelle domestique, n’ont jamais réussi à canaliser massivement l’épargne vers les secteurs stratégiques européens. En réalité, ils confortent la fragmentation financière de l’Union et ne garantissent en rien que les fonds investis soutiennent les priorités industrielles européennes.
Les limites du modèle proposé
La recommandation sur les SIA (sociétés d’investissement pour l’avenir), non contraignante, laisse chaque État libre d’en définir la fiscalité, les actifs éligibles ou les modalités de gestion. Il en résultera probablement une mosaïque de produits nationaux, inégaux dans leurs incitations, leur simplicité et leur attractivité. Les pays disposant de marges budgétaires pourront offrir des avantages fiscaux plus généreux ; d’autres, contraints par leurs finances publiques, resteront à la traîne. Le résultat final produira des disparités accrues plutôt qu’une véritable union de l’investissement.
En outre, ces produits ne créent aucun lien direct entre l’épargne collectée et les besoins stratégiques de l’Union : la transition énergétique, la souveraineté numérique, les chaînes de valeur critiques ou la réindustrialisation. Rien n’empêche les fonds placés dans un produit d’épargne national d’être investis en actions américaines, asiatiques, ou dans des produits éloignés de l’économie réelle européenne.
Pour un Produit Européen Commun d’Épargne (PECE)
Plutôt que de multiplier les dispositifs nationaux, l’Union devrait se doter d’un Produit Européen Commun d’Épargne (PECE) – un instrument simple, volontaire et véritablement européen, combinant collecte nationale et gestion communautaire.
Chaque État membre offrirait à ses citoyens la possibilité de souscrire à ce produit via les réseaux bancaires existants. Les fonds ainsi collectés seraient transférés à une institution financière européenne – par exemple la Banque européenne d’investissement (BEI) ou un nouveau Fonds européen de l’industrie et de l’innovation – chargée de les investir dans des projets industriels et technologiques répondant aux priorités communes : semi-conducteurs, nucléaire, hydrogène, intelligence artificielle, recyclage des matériaux critiques, infrastructures énergétiques, défense.
Le PECE serait assorti d’un régime fiscal harmonisé, avec des incitations comparables dans tous les pays : déduction partielle des montants investis, exonération des plus-values au-delà d’une durée minimale, ou taux forfaitaire réduit sur les revenus du produit. Chaque État pourrait ajuster ces paramètres dans une fourchette commune, assurant à la fois équité et lisibilité pour les citoyens.
Un instrument au service de la souveraineté et de la confiance
Un tel produit aurait trois vertus majeures. Premièrement, il reconnecterait les citoyens à la construction européenne. En plaçant leur épargne dans un véhicule identifiable, transparent, et orienté vers des projets concrets, les Européens participeraient directement à la relance industrielle du continent. Le PECE deviendrait le symbole d’une Europe qui protège, investit et agit !
Deuxièmement, il permettrait un changement d’échelle dans le financement de l’innovation. Les marchés financiers européens restent fragmentés, les fonds d’investissement sous-dimensionnés, et les projets industriels de grande ampleur peinent à trouver un capital conséquent. Mutualiser une partie de l’épargne privée au niveau européen offrirait la profondeur financière nécessaire pour rivaliser avec les États-Unis ou la Chine.
Troisièmement, il répondrait directement aux recommandations formulées par Mario Draghi et Enrico Letta. Le rapport Draghi sur la compétitivité de l’Union souligne la nécessité de mobiliser l’épargne européenne vers l’investissement productif, tout en créant des instruments communs capables de financer l’innovation et la transition verte. Le rapport Letta, sur l’avenir du marché unique, appelle quant à lui à bâtir une Union de l’investissement, capable de relier les excédents d’épargne du Nord aux besoins d’investissement du Sud et de l’Est. Le PECE incarne précisément cette vision : une épargne européenne mutualisée au service d’un projet industriel partagé.
Un chantier politique autant qu’économique
La création d’un Produit Européen Commun d’Épargne nécessiterait une coordination étroite entre la Commission, la BEI et les États membres. Juridiquement, il pourrait s’appuyer sur le cadre de l’Union des marchés des capitaux, complété par une directive définissant les critères de collecte, de fiscalité et de gouvernance. L’instrument serait compatible avec les règles de concurrence et de stabilité budgétaire, puisqu’il reposerait sur la participation volontaire des épargnants et sur des investissements avec des rendements adaptés selon les risques liés aux investissements.
À l’heure où l’Europe cherche à conjuguer souveraineté et solidarité, le PECE représenterait une innovation institutionnelle majeure : la voie vers un marché intérieur de l’épargne au service d’une stratégie industrielle commune. La recommandation de la Commission sur les comptes d’épargne-investissement marque donc une étape utile, mais insuffisante. Elle traite la question de l’épargne sous l’angle microéconomique, quand c’est un enjeu macroéconomique et stratégique.
Plutôt qu’une juxtaposition de comptes nationaux, il est temps d’imaginer un instrument collectif : un Produit Européen Commun d’Épargne, géré avec rigueur, aligné sur les visions Draghi et Letta, et dédié au financement de l’avenir industriel et technologique de l’Union. C’est par la mutualisation de notre épargne, tout autant que par celle de certains de nos budgets d’investissement et d’innovation, que nous construirons une souveraineté économique européenne durable !
Tribune co-signée par :
Pierre Maurin est entrepreneur, secrétaire national à l'économie et l'emploi du parti « Les Centristes », chercheur associé à l’IPSE et élu local.
Rudy Niewiadomski est conseiller municipal délégué de Caen et secrétaire national à l'Europe du parti « Les Centristes ».
