La réindustrialisation en France : ambitions politiques et réalités économiques

Symbole d’une souveraineté retrouvée, la réindustrialisation s’impose comme un objectif central du discours économique français. Pourtant, derrière l’affichage de nouvelles usines et les discours volontaristes, les chiffres de la production et de l’emploi industriel montrent une réalité plus contrastée. Entre progrès réels, effets d’annonce et défis structurels, la France peine encore à renouer pleinement avec son passé productif.

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By Adélaïde Motte Published on 3 novembre 2025 14h12
La Reindustrialisation En France Ambitions Politiques Et Realites Economiques
La réindustrialisation en France : ambitions politiques et réalités économiques - © Economie Matin

Depuis plusieurs années, la réindustrialisation occupe le cœur des priorités gouvernementales. Le mot, longtemps oublié après des décennies de désindustrialisation, est redevenu un mot d’ordre politique. Mais derrière les plans d’investissement, les implantations médiatisées et les promesses d’emplois, les indicateurs économiques peinent à confirmer un véritable retournement de tendance. En 2025, l’industrie française semble encore en équilibre instable, entre résilience conjoncturelle et stagnation structurelle.

Un recul industriel difficile à inverser

Pendant plus de quarante ans, la France a vu son appareil productif se réduire à vue d’œil. En 1980, l’industrie représentait près d’un quart du produit intérieur brut national. En 2020, cette part tombait à environ 11 %, contre près de 20 % en Allemagne. Ce décrochage ne tient pas seulement à la mondialisation ou à la concurrence asiatique ; il résulte aussi de choix économiques internes et d’une forme de désamour collectif pour le secteur industriel.

Dans les années 1990 et 2000, la désindustrialisation fut souvent perçue comme une évolution naturelle vers une économie de services plus « moderne ». Mais cette transition a laissé des territoires dévitalisés et des savoir-faire en déshérence. La perte de centaines de milliers d’emplois industriels, conjuguée à la fermeture de filières entières – de la métallurgie à la chimie – a fragilisé la cohésion économique du pays. Aujourd’hui encore, le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée nationale reste inférieur à celui de la moyenne européenne.

Une réindustrialisation réelle ou un mirage statistique ?

Depuis la crise sanitaire, la France affiche une volonté forte de relocaliser et de soutenir l’investissement industriel. Plusieurs annonces d’implantations – dans les batteries, les semi-conducteurs ou l’hydrogène – ont marqué les esprits. Le gouvernement y voit la preuve d’un renouveau industriel. Pourtant, les statistiques tempèrent cet optimisme. Selon la direction générale du Trésor, la valeur ajoutée manufacturière n’a progressé que de 0,5 % au premier semestre 2025 par rapport au second semestre 2024.

Certains secteurs tirent la moyenne vers le haut, notamment la fabrication de matériels de transport, en hausse de plus de 4 %, tandis que d’autres continuent de s’affaiblir, à l’image des biens d’équipement ou de la métallurgie. Cette reprise hétérogène illustre la fragilité d’une croissance industrielle encore dépendante de quelques filières stratégiques. Les données de l’INSEE confirment cette volatilité : après une hausse de la production manufacturière de 3,5 % en juin 2025, un repli de 1,7 % a été enregistré dès le mois suivant. Les prix de production, eux, ont diminué de 0,3 % en septembre, signe d’une faible dynamique de demande.

Pour de nombreux économistes, le rebond actuel reste avant tout conjoncturel. La hausse des coûts de l’énergie, la difficulté à recruter des profils techniques et le retard en innovation pèsent encore lourdement. Le tableau de la réindustrialisation, souvent présenté comme une réussite, serait donc, selon certains observateurs, « un trompe-l’œil ».

Les freins persistants à une dynamique durable

La réindustrialisation ne se décrète pas : elle se construit sur la durée, au croisement de politiques publiques cohérentes et d’un tissu d’entreprises solide. Or, la France fait face à plusieurs freins structurels identifiés par la Commission d’enquête parlementaire sur les obstacles à la réindustrialisation, publiée à l’été 2025. Parmi eux : le poids de la fiscalité de production, la complexité administrative, la lenteur des procédures d’autorisation environnementale et un déficit de compétences dans les métiers techniques.

À cela s’ajoute une dépendance énergétique coûteuse. L’industrie française reste très sensible aux prix de l’électricité et du gaz, dont la volatilité a pesé sur la compétitivité depuis la crise énergétique de 2022. La réindustrialisation suppose donc de renforcer la souveraineté énergétique, sans quoi le coût de production restera un handicap majeur. Par ailleurs, la concentration des investissements dans quelques grandes filières – batteries, hydrogène, aéronautique – laisse de côté de nombreuses PME industrielles qui peinent à se financer et à innover.

Les leviers d’un véritable renouveau industriel

Pour espérer une réindustrialisation durable, il faut aller au-delà des effets d’annonce. France Stratégie estime qu’un scénario ambitieux pourrait générer jusqu’à 740 000 emplois industriels d’ici 2035, à condition d’un effort massif d’investissement productif et de modernisation technologique. Cela suppose d’accélérer la numérisation des usines, de renforcer la recherche-développement et d’améliorer l’attractivité du territoire.

Les défis sont immenses : transition énergétique, automatisation, montée en compétences, et acceptabilité sociale des projets industriels. Il s’agit aussi de repenser la localisation des sites de production. La réindustrialisation ne signifie pas un retour aux industries lourdes d’hier ; elle implique plutôt la construction d’un nouveau modèle.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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