Les procureurs italiens demandent le placement de Tod’s sous administration judiciaire pour exploitation présumée dans sa chaîne de production.
Luxe : au tour de Tod’s d’être accusée de bafouer le droit du travail

Le 8 octobre 2025, le parquet de Milan a annoncé avoir requis la mise sous tutelle judiciaire du groupe Tod’s, symbole du savoir-faire italien dans les chaussures, pour des soupçons d’exploitation de travailleurs dans ses ateliers sous-traitants. Selon Reuters, cette décision pourrait marquer un tournant dans la lutte contre les abus sociaux au sein du luxe en Italie, un pays où la mode pèse près de 90 milliards d’euros d’exportations par an.
Droit du travail : ce que reprochent les autorités italiennes à Tod’s
Les procureurs milanais ont présenté des éléments détaillés : dans plusieurs ateliers de la région des Marches et de Milan, des ouvriers, pour la plupart migrants, auraient été rémunérés entre 2,75 € et 3 € de l’heure, soit trois fois moins que le plancher légal de 10 €/h prévu par la convention collective nationale, précise Reuters. Ces salariés, souvent employés via des sociétés intermédiaires, travaillaient selon des cadences proches du travail forcé, avec des retenues mensuelles de 150 € pour le logement et 100 € pour la nourriture.
Selon ANSA, les magistrats reprochent à Tod’s d’avoir « fermé les yeux » sur les pratiques de ses sous-traitants chinois, notamment installés à Civitanova Marche, épicentre historique de la chaussure italienne. L’accusation vise non pas une exploitation directe, mais une « absence coupable de contrôle » dans la chaîne d’approvisionnement. Autrement dit, Tod’s n’aurait pas vérifié les conditions de travail réelles chez ses fournisseurs, pourtant contractuellement tenus de respecter le droit italien.
Face à ces accusations, Tod’s a publié un communiqué ferme : « Tod’s se conforme à la législation en vigueur, y compris au droit du travail, et des contrôles constants sont effectués sur les ateliers que nous sélectionnons », a déclaré l’entreprise à Reuters. Le groupe assure qu’il coopère pleinement avec les autorités et qu’aucune violation n’a été constatée dans ses sites directement exploités.
La Cour suprême italienne doit désormais trancher une question de compétence territoriale : le dossier sera-t-il jugé à Milan ou dans la région des Marches ? L’audience est fixée au 19 novembre 2025. D’ici là, la demande de mise sous supervision judiciaire reste suspendue.
Une vague d’enquêtes qui secoue le luxe italien
Le cas Tod’s ne serait pas isolé. Depuis deux ans, au moins six maisons de luxe ont été placées sous contrôle judiciaire pour des soupçons comparables : Loro Piana, Valentino, Dior, Armani, Alviero Martini, et désormais Tod’s. Ces affaires révèlent un schéma récurrent : des marques prestigieuses sous-traitent leur production à des micro-ateliers où les conditions de travail violent la législation italienne.
En juillet 2025, Loro Piana, filiale de LVMH, a été placée sous administration judiciaire pendant un an, après la découverte d’ouvriers logés dans des dortoirs insalubres et payés à la pièce. En février 2025, le tribunal de Milan a levé le contrôle judiciaire sur Dior Italia après neuf mois de supervision, considérant que la maison avait mis en œuvre des « mesures correctives exemplaires ». Quelques mois plus tard, l’autorité italienne de la concurrence a toutefois infligé à Giorgio Armani une amende de 3,5 millions d’euros pour pratiques commerciales trompeuses : la marque vantait son éthique sociale alors que des violations avaient été constatées chez ses sous-traitants.
Les autorités italiennes ont intensifié les contrôles : la Guardia di Finanza multiplie les descentes dans les zones industrielles des Marches et de Lombardie. Selon Business of Fashion, certaines enquêtes ont mis au jour un système de « sous-sous-traitance », où les ateliers agréés par les grandes maisons confient à leur tour la production à des structures clandestines. Cette stratégie, typique du secteur, permet de réduire les coûts, mais elle expose désormais les marques à des poursuites directes.
LVMH sous pression : quand les filiales fragilisent le groupe
Le dossier Tod’s prend une dimension stratégique pour LVMH. En 2024, le fonds L Catterton, soutenu par LVMH, a privatisé Tod’s en partenariat avec la famille Della Valle, fondatrice de la marque. L’enquête actuelle pourrait donc atteindre indirectement le géant français qui contrôle 10 % de Todd’s et est déjà concerné par plusieurs procédures en Italie.
Au-delà de Loro Piana et Dior, Valentino, également partiellement contrôlée par le groupe de Bernard Arnault, a fait l’objet d’investigations similaires l’an dernier. Ces dossiers cumulés mettent à mal l’image sociale du conglomérat, qui revendique pourtant une politique rigoureuse de diligence raisonnable. D’après Business & Human Rights Resource Centre, l’Autorité de la concurrence italienne a ouvert une enquête pour déterminer si certaines marques du groupe ont pu induire les consommateurs en erreur quant à leurs engagements éthiques.
Le gouvernement italien envisage désormais d’imposer une certification légale des chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la mode, afin de « protéger le Made in Italy », selon Investing.com. Le ministre de l’industrie, Adolfo Urso, a déclaré soutenir cette initiative qui viserait à responsabiliser juridiquement les maisons-mères, pas seulement leurs fournisseurs. Une mesure qui, si elle voit le jour, bouleverserait le modèle de sous-traitance actuellement dominant.
Cette succession d’affaires fragilise l’écosystème du luxe italien, qui repose sur une main-d’œuvre experte mais souvent précaire. Selon un rapport du NYU Stern Center for Business and Human Rights, la proportion d’ateliers non certifiés dans la filière cuir-chaussure pourrait atteindre 35 % dans certaines provinces.
Pour Tod’s, l’impact va au-delà de l’image : le risque de placement sous administration judiciaire pourrait suspendre certains contrats et retarder la production pour la saison été 2026. Un coup dur pour une maison dont la valeur symbolique – héritage artisanal, qualité italienne, tradition familiale – fait partie intégrante de l’identité.
