EXCLUSIF : Migrants : le Niger légalise les passeurs, l’Europe bientôt submergée ?

Coup de théâtre au Niger : la junte au pouvoir donne carte blanche aux passeurs. Les migrants vont déferler encore un peu plus sur l’Europe en 2024.

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 29 novembre 2023 à 10h25
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120 000En 2014, plus de 120 000 migrants ont transité par le Niger avant d’arriver en Libye... puis en Europe.

Coup de théâtre au Niger : la junte au pouvoir, après avoir précipité le départ des troupes françaises du pays, (qui luttaient contre les groupes islamistes disséminés dans le Nord Sahel), vient de prendre une décision politique aux conséquences lourdes pour l'Europe et la France. Les migrants vont déferler encore un peu plus sur les rivages italiens et grecs, en 2024, après un passage par le nouveau "hub" que va devenir le Niger.

 

La loi nigérienne qui criminalisait le trafic de migrants est abrogée sine die depuis lundi soir, légalisant de fait ce business extraordinairement rentable. C'est la junte au pouvoir qui a pris cette décision. Un passeur peut gagner jusqu'à 20 000 dollars en une semaine, dans un pays où le salaire mensuel moyen dépasse péniblement les 250 dollars...

Lors de l'instauration de cette loi, en 2015, des milliers de migrants en transit par le Niger se sont retrouvés pris au piège, notamment dans la région d'Agadez. Le retour en grâce du business des passeurs, quasiment officialisé pour ne pas dire encouragé par les autorités nigériennes, va relancer la pompe à trafic d'être humains. Le flux de migrants qui débarquait jusqu'ici à Agadez tournait autour d'une centaine par semaine. Avant l'instauration de la loi en 2015, criminalisant le business des passeurs, on en comptait 350 par jour. Cela donne un indicateur précis de ce qui risque d'arriver dans les semaines et mois à venir.

Migrants : porte ouverte au chaos

Avec l'abrogation de cette loi, il y a fort à parier que la pompe à migrants va se réamorcer très vite, et que des centaines, voire des milliers de migrants, vont transiter par le Niger chaque jour, déterminés à traverser ensuite la Libye pour rejoindre finalement l'Europe par tous les moyens. Cette vague migratoire inévitable menace de submerger les frontières européennes dans les prochains mois, en particulier les ports grecs et italiens, déjà accablés par les arrivées incessantes de cette année.

Des réseaux de trafiquants de plus en plus organisés

Cette décision catastrophique survient dans un climat où les efforts antérieurs de lutte contre la contrebande de migrants ont donné naissance à des routes de trafic encore plus clandestines et dangereuses, s'étendant du Niger à la Libye, avec l'émergence de nouveaux centres névralgiques de trafic dans le sud de l'Algérie. Ces voies ultra-dangereuses exposent les migrants à des risques incensés. Le moindre mal est celui d'être rackettés, encore et encore, et pour ceux qui n'ont plus rien.. la mort est souvent au bout de la dune.

Même les réfugiés et migrants munis de documents légaux, qui leur permettraient en théorie de quitter le pays pour tenter leur chance par des voies plus conventionnelles, se trouvent contraints de se tourner vers ces passeurs sans scrupules pour échapper à la bureaucratie corrompue, qui assomme les candidats à l'exil de pots de vins... et de coups tout court.

Migrants : 5000 euros par personne !

Les trafiquants d'humains, motivés par les gains astronomiques qu'ils peuvent engranger en disposant seulement de véhicules et de relais sur la route vers l'Europe pour recharger en carburant et accessoirement en eau, exploitent la vulnérabilité des migrants pour s'enrichir, avec des tarifs qui ont explosé depuis la pandémie de COVID-19. La facture grimpe parfois jusqu'à 5000 euros, excluant ceux qui n'ont pas pu accumuler une telle somme astronomique, et créant mécaniquement une autre couche de criminalité : deux migrants ayant chacun 2500 euros en poche, c'est bien souvent un seul qui part. Inutile de préciser comment...

Le trafic de migrants est ainsi devenu un business international complexe, basé sur des alliances sinistres entre trafiquants et combattants islamistes, qui trouvent là un moyen facile d'attaquer et déstabiliser l'Occident. Le chemin vers l'Europe est jonché de cadavres, ou de victimes d'exploitation en tout genres.

Des liens inquiétants avec les groupes armés

Les groupes armés impliqués dans ce trafic de migrants, en particulier au Tchad et au Mali, ne se contentent pas de profiter de ce commerce abject pour s'aprovisionner en armes et en munitions. Ils contrôlent également économiquement des territoires, imposant des taxes sur le passage des migrants ou offrant des "services d'escorte" payants ou plutôt, de non-agression. Qui prend le risque de refuser de payer finira probablement mitraillé et abandonné dans le désert. Les véhicules deviennent le tribut.  On sait également que ce sont souvent les mêmes trafiquants qui montent, chargés à bloc de migrants dans la benne des 4x4 vers la Libye, qui redescendent ensuite... avec des chargements d'armes destinées à l'Etat Islamique et Al Quaida, ou aux milices touarègues.

L'Europe mise au défi migratoire

Face à ce scénario apocalyptique, l'Europe sera-t-elle capable d'adopter une position commune, et surtout, d'enfin, agir, pour empêcher un nouveau déferlement de migrants en 2024, quand la traversée de la Méditerranée redeviendra "banale" au printemps ? La décision du Niger de légaliser et même d'encourager le trafic d'êtres humains en abrogeant la loi de 2015, criminalisant les passeurs, est peut-être aussi tout simplement une tentative de forcer la main à l'Union Européenne (et accessoirement à la France), et ainsi de réclamer des aides financières massives, à l'heure où le Niger est en proie à des difficultés économiques jamais atteintes...

SOURCES : 

Les autorités nigériennes ont abrogé la loi 2015-36 relative au trafic illicite des migrants. Une loi en vigueur depuis un peu plus de 8 ans avec des répercussions sur l’économie du pays.

Adoptée en mai 2015, la loi criminalisant la migration au Niger est une sorte d’approche sécuritaire initiée avec le concours de l’Union Européenne afin de freiner la migration dite irrégulière vers l’Europe. En substance, elle avait pour objet de prévenir et combattre le trafic illicite des migrants ; protéger les droits du migrant objet de trafic illicite et de promouvoir et faciliter la coopération nationale et internationale en vue de prévenir et combattre ce trafic sous toutes ses formes. Depuis son application, la loi 2015-36 a entraîné des conséquences humanitaires et économiques au Niger, particulièrement dans la région d’Agadez où plus de 5000 personnes se sont retrouvées au chômage et plusieurs milliers de migrants bloqués.

lu sur Aïr Info

Abrogation de la Loi 2015-036 : Le Conseil Régional d'Agadez (Niger) salue l'initiative prise par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie

Le Conseil Régional d'Agadez a appris de source gouvernementale l'abrogation de la Loi 2015-036 criminalisant toutes les activités liées à la migration irrégulière. " nous saluons cette initiative très bénéfique pour notre région d'Agadez. C'est le lieu ici de féliciter et remercier au nom de nos populations SEM le général Abdourahamane TIANI, président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie et le gouvernement de Ali Mahamane Lamine ZEINE pour cette décision", a affirmé Mohamed Anacko, président du Conseil régional d'Agadez.

En effet, depuis l'application de cette loi antimigratoire, la région d'Agadez n'a eu de cesse de vivre les impacts négatifs qui en résultaient. Beaucoup d’inquiétudes ont été soulevées et remontées par le Conseil régional d'Agadez aux autorités de l'époque mais hélas rien n'a été fait. Même les démarches entreprises par la société civile citoyenne pour l'abrogation de cette loi ont été vaines. Et pendant ce temps, l'économie locale d'Agadez qui était fortement liée à la migration se détériorait sous l'effet de la Loi 2015-036.

Depuis l'annonce de l'abrogation de cette Loi antimigratoire, à Agadez des sourires se redessinent sur les visages, surtout ceux des jeunes restés longtemps désœuvrés.

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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