La semaine vue par Louis XVI: la République de Cahuzac et le Collier de la Reine

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 20 avril 2013 à 10h07

Ah mon cher François! Comment te dissimuler ma secrète réjouissance en lisant les gazettes ces derniers jours? En révélant ses turpitudes à un juge, ton surintendant des finances Cahuzac te joue un bien vilain tour, et fait subir à cette gueuse républicaine le même sort que l'horrible cardinal de Rohan avait infligé à mon trône.

Ainsi donc c'est toujours par le péril des mêmes courtisans vérolés d'arrogance, d'impunité et de morgue que les régimes les plus anciens périssent.

Que reproche-t-on à ce surintendant? D'avoir gagné beaucoup d'argent c'est vrai, mais surtout d'en avoir fait mauvais usage. Il dépensait sans compter, menait grand train et étalait le scandale de ses amours illicites. Ne lui prête-t-on pas au sein même de ton gouvernement des liaisons passionnelles?

Cet homme altier ne se contentait pas d'être un seigneur de la gauche. Il mêlait les dentelles et la serge. Stipendié par des manufacturiers et des pharmaciens, collecteur obscur de fonds dont la justice dira tout le mal qu'elle y trouve, le surintendant Cahuzac a frayé avec force faquins et bélîtres, des personnages interlopes venus de l'extrême droite, des amis parmi ses adversaires politiques, et des inimitiés chevillées au corps jusque dans ses propres rangs.

Et voici le roman de ce libertin porté sur la place publique, si débordant de mystères et de scandales que la scène politique est trop exiguë pour lui. Plus qu'Andromaque, plus que Britannicus, plus que Cinna, la tragédie qui a commencé pour le régime républicain paraît ne devoir s'arrêter que dans un cinquième acte brutal et mortifère. Comme si le vieux Racine lui-même, ce coquin janséniste, avait écrit les dialogues, le sol se dérobe sous le Roi et de glissements en glissements, c'est la société elle-même qui s'approche du gouffre.

Pourtant, ton parti n'est pas à sa première pièce dans ce registre. Avant le surintendant des finances, ton rival Dominique Strauss-Kahn avait chancelé sous des accusations pénales. Il est vrai que la justice ne lui reprochait guère qu'une relation ancillaire aux Amériques, ce qui ne constitue pas un crime aux yeux des Français habitués à dominer le monde. Mais tes féodaux Guérini et Kucheida ne sont-ils pas sous la coupe de juges qui punissent leurs prévarications?

Dans le cas de Cahuzac, il est vrai qu'autre chose est en jeu: c'est un ministre de ton conseil, qui t'aurait juré les yeux dans les yeux sa totale innocence. Et son parjure cachait un vrai désastre: des millions et des millions cachés à la République de Genève, quand l'homme devait dans le même temps persécuter les fraudeurs sur le sol du Royaume.

Ce mensonge où l'on peut te prêter le crédit de l'innocence t'éclabousse forcément... Comme il éclabousse l'ensemble du régime. Car soudain les Français découvrent le mépris viscéral que les courtisans nourrissent pour leur charge, pour les institutions, pour le pouvoir qu'ils exercent, pour les Français eux-mêmes. Qui découvrent à quel ferment gonflent les caprices de ceux qui les dirigent: à la haine de l'autre, à la jouissance d'avoir bafoué les lois, d'avoir trompé, d'avoir menti. Versailles n'avait pas d'autre plaisir à mon époque.

Voici bien le signal d'un étrange déclin moral, et même d'un effondrement cataclysmique, si tu me permets, François, de recourir à votre emphase contemporaine pour décrire le spectacle douloureux que la France offre aujourd'hui.

Ainsi, ceux qui parlaient de l'intérêt général n'avaient en tête que leur intérêt particulier? Ainsi, ceux qui faisaient la loi s'en exemptaient pour leur propre compte? Ainsi ceux qui contrôlaient l'application de la loi jouissaient de cette position pour s'enrichir? Ainsi ceux qui garantissaient le respect du droit s'amusaient à le vomir? Ainsi ceux que le peuple français avaient désigné pour conduire une république exemplaire se roulaient, derrière les paravents de leur renommée, dans la fange des profiteurs et des affairistes? Ainsi ceux qui parlent d'égalité des droits, de mariage pour tous, de droit de vote universel, ont poussé le mépris jusqu'à se bâtir des privilèges, jusqu'à violer pour eux-mêmes les sacro-saints principes qu'ils assénaient à la plèbe?

Figure-toi François que mon règne s'est achevé à cause de philosophes comme Emmanuel Kant pour qui le mensonge était synonyme de destruction de l'humanité. Maintenant, la vérole du mensonge, le cancer du parjure s'est jeté sur ton gouvernement comme le mien fut gâté par l'affaire du Collier de la Reine.

Je n'en étais pas plus responsable que tu ne l'es des égarements de ton surintendant. Mais le régime en mourut. Souviens-toi: mon grand-père Louis XV avait commandé pour la Du Barry un somptueux collier qu'il ne put lui offrir. La mort l'emporta avant son achèvement. Les joailliers tentèrent de convaincre Marie-Antoinette de l'acheter, mais elle refusa. Une usurpatrice convainquit le cardinal de Rohan, cet abominable libertin, de l'acheter. Le malheureux se ruina pour ce collier dont il ne vit jamais la couleur, tant on lui fit croire que Marie-Antoinette le lui demandait en gage de leur réconciliation.

Quand le pot aux roses fut révélé, je commis une grave erreur. Marie-Antoinette était innocente, mais elle incarnait depuis le début du règne le faste et la galanterie jetés à la face d'un peuple qui souffrait. Les soupçons pesaient sur elle. Plutôt que d'étouffer l'affaire, je fis amende honorable, et demandai au Parlement de Paris de rendre une justice impartiale.

Grave erreur! Rohan y comptait de nombreux amis, et il fut relaxé. Les juges laissèrent planer l'idée que les tromperies de la Reine avaient quelque vraisemblance, et que Rohan avait pu en toute bonne foi se laisser abuser. Ce qui fut jugé, ce n'était pas Rohan lui-même, mais le régime, et cette espèce de collusion entre tous. Nous étions tous coupables, ou bien tous innocents. Mais personne ne pouvait en désigner l'un à la vindicte, sans désigner les autres.

Qu'eussé-je dû faire à l'époque? Acte d'autorité. Prendre sur moi, trancher et étouffer l'affaire au plus vite. Je croyais à la vertu de la justice quand il fallait lui tordre le cou.

Réfléchis-y François. Pour une raison simple: l'affaire Cahuzac commence à peine. Il ne tient qu'à toi de l'écourter. Si tu ne tranches pas, les gazetiers, les courtisans compromis, les fraudeurs qui t'entourent, vont s'affronter, et toute cette affaire tournera au vinaigre. Mesure-bien, François, l'effet déplorable de ton choix pour l'imagination des Français.

Dans leurs yeux apparaît au grand jour la dépravation d'une caste qui les méprise, les écarte depuis des années de toute participation au pouvoir, vit d'émoluments multiples pris sur le produit d'impôts qui augmentent chaque jour. Le pays s'enfonce dans une crise qu'aucun de tes courtisans n'avait prévue.

Le spectacle de la fange qui recouvre le pont du bateau se dévoile soudain aux soutiers inquiets par le mouvement claudiquant de ton navire. Cette révélation déchire brutalement des années de mensonge et de croyances naïves.
Oh! François, quelle mauvaise passe traverse la République!

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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