La richesse grandissante de la Chine modifie ses ambitions de croissance

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Par Stéphane Monier Publié le 24 mars 2021 à 13h01
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2,3%La Chine a enregistré une croissance économique de 2,3% en 2020

Au fur et à mesure que la Chine s'enrichit, elle modifie ses objectifs économiques, passant de la production de richesses à la garantie d'une autosuffisance industrielle de meilleure qualité. Pour refléter ce changement d'orientation, la Chine a flexibilisé son objectif de croissance. À court terme, en tant que première nation à entrer dans la pandémie de Covid-19, puis à en sortir, elle est désormais la plus prompte à normaliser sa politique budgétaire et monétaire. Ce qui n'est pas sans conséquence pour les détenteurs d'actifs chinois.

Au début du mois, à l'occasion du Congrès populaire national (CPN), le gouvernement a fixé pour 2021 un objectif de croissance flexible supérieur à 6%. Pour la première fois, le plan quinquennal du CPN ne fixe pas de taux de croissance moyen pour le PIB. Historiquement, les plans définissaient des quotas de production stricts inspirés du modèle économique de l'Union soviétique. Depuis 1953, ces plans ont servi d'outil de communication entre le gouvernement central de Pékin et les régions. En raison de la pandémie de Covid-19, la Chine n'a pas atteint sa cible de croissance annuelle du PIB de 6,5% pour la période 2015-2020.

« Nous allons maintenir les principaux indicateurs économiques à l'intérieur d'une fourchette appropriée et fixer nos objectifs annuels de croissance à la lumière des conditions réelles », a déclaré le Premier ministre Li Keqiang lors du dernier CPN. « Nous obtiendrons ainsi un développement de meilleure qualité, plus efficient, plus équitable, plus durable et plus sûr. »

La Chine a enregistré une croissance économique de 2,3% en 2020, son taux le plus bas depuis 1976, même s'il dépasse ceux des autres économies majeures. L'année dernière, le CPN n'a pas fixé d'objectif annuel, car la pandémie rendait les perspectives économiques trop incertaines.

Si la croissance annuelle en 2020 était inférieure à son objectif, la croissance au quatrième trimestre 2020 était forte et même en tenant compte des mesures de resserrement, le pays pourrait enregistrer une augmentation du PIB de 9% pour 2021. La Chine prévoit également de réduire son déficit en passant de plus de 3,6% l'an dernier à 3,2% en 2021. Certains secteurs stratégiques, comme la recherche et le développement technologique et le budget militaire, sont exclus de ces restrictions. Nous estimons que la Banque populaire de Chine (PBoC) commencera à relever ses taux directeurs de 30 points de base, en trois étapes, vers la fin de cette année. Ce qui devrait impacter la croissance l'année prochaine en ramenant l'augmentation du PIB à quelque 5%.

Pour sa part, la Réserve fédérale américaine a revu à la hausse ses perspectives de croissance pour l'économie américaine la semaine dernière, tout en soulignant qu'elle ne prévoit pas de relèvement des taux directeurs avant fin 2023. Au moment où nous publions ces lignes, le rendement des obligations d'Etat chinoises à 10 ans s'établit à 3,26% contre 1,67% pour les bons du Trésor américain à 10 ans.

Le coût du crédit

La croissance de la Chine a un coût. Le crédit pourrait avoir atteint un sommet, tandis que le gouvernement tente d'équilibrer le risque financier dans l'économie et de réduire la dette. La PBoC a déjà retiré une partie des liquidités du système financier chinois, car elle veut éviter la formation de bulles spéculatives dans des secteurs tels que l'immobilier. En conséquence, le pays laisse ses entreprises, celles de l'Etat y compris, se retrouver en cessation de paiement, réforme les règles en matière de faillite et restructure les entreprises inefficientes tout en donnant la priorité à l'emploi. Un cinquième des 10 milliards d'USD de faillites d'entreprises chinoises enregistrées cette année concerne des promoteurs immobiliers.

L'agence de notation Fitch donne à la Chine la note « A+ » avec une perspective « stable ». L'agence a toutefois évoqué le processus de réduction du crédit, qui « pourrait entraîner un risque de baisse de cette note. »

La Chine a également commencé à appliquer une surveillance réglementaire accrue aux entreprises technologiques, notamment en ce qui concerne les règles de concurrence. Ce mois-ci, le régulateur étatique a indiqué qu'il avait infligé des amendes à douze entreprises, dont Tencent, Baidu et SoftBank, pour violation de la législation anti-monopole.

La Chine est en passe de réaliser son ambition de se muer en économie à revenu élevé et de doubler son PIB d'ici quinze ans. La Banque mondiale considère qu'une économie est « à revenu élevé » lorsque le revenu national brut (RNB) par habitant est supérieur à 12'535 USD. En 2019, la Chine a enregistré un RNB par habitant de 10'410 USD, soit dix fois celui de 2001. Au rythme actuel de la croissance, le pays pourrait franchir le seuil des « revenus élevés » d'ici cinq ans. Toutefois, l'administration chinoise devra aussi réduire les inégalités, car on estime que 373 millions de Chinois gagnent encore moins de 5,50 USD par jour.

Collision stratégique

Cependant, la voie de la reprise et de la croissance économique de la Chine la place sur une trajectoire de collision avec les Etats-Unis. En décembre 2020, les Etats-Unis ont interdit les exportations de semi-conducteurs vers la Chine, premier importateur mondial de ces composants. Compte tenu de leur importance pour ses ambitions industrielles, la Chine tente d'accélérer son industrie nationale afin de devenir autosuffisante. Le gouvernement chinois a versé des subsides à cette industrie et ajouté plus de 10% à son budget de recherche afin de soutenir le déploiement des réseaux 5G et à fibre optique.

Lorsqu'en 2001 la Chine a rejoint l'Organisation mondiale du commerce, on s'attendait à ce que son économie planifiée centralisée s'aligne peu à peu sur les démocraties libérales occidentales. Au lieu de quoi, le monde semble plus polarisé qu'auparavant. Plus la Chine gagne en influence économique dans le monde, plus elle se montre ferme. Depuis 2009, sa part du PIB mondial est passée de 13% à plus de 17% et de nombreuses économies sont devenues dépendantes de ses activités.

Après plusieurs années de tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, on pensait que le ton du dialogue allait s'apaiser sous l'administration Biden. Or, rien de tel ne s'est produit la semaine dernière. Le 18 mars, les déclarations faites aux journalistes juste avant le début des négociations entre les Etats-Unis et la Chine à Anchorage, en Alaska, se sont envenimées, chaque délégation exprimant des opinions frontales sur les politiques de l'autre partie, en rupture avec les protocoles diplomatiques. Compte tenu du contexte, ces déclarations semblent destinées à leurs publics nationaux respectifs. Quelques jours plus tôt, le Royaume-Uni a publié un document stratégique contenant une évaluation de la Chine et mettant en garde contre le « défi systémique » qu'elle représente pour notre sécurité, notre prospérité et nos valeurs ».

Les dépenses militaires ne font pas partie du programme chinois de réduction des coûts. Le budget de la défense devrait augmenter de 6,8% pour atteindre 1'355 milliards de yuans, succédant à une augmentation de 6,6% en 2020.
Le point positif est que les différends les plus litigieux entre la Chine et l'Occident restent cloisonnés et latents. Il s'agit entre autres du traitement des Ouïghours au Xinjiang, des questions relatives aux technologies stratégiques, concernant notamment Huawei, des taxes à l'importation, du statut de Taïwan et du soutien à la Corée du Nord.

Gérer l'exposition aux actifs chinois

Lorsque l'on examine les investissements dans les actifs chinois, il convient de distinguer les perspectives à court et à long terme. Notre argumentaire en faveur d'une allocation stratégique aux actifs chinois reste intact sur le long terme. Toutefois, à plus court terme, le dynamisme de la croissance de l'année dernière est retombé. Le pays est le plus avancé sur la voie de la reprise et figure donc parmi les premiers à normaliser ses politiques monétaire et fiscale. En outre, l'indice MSCI China est moins exposé aux secteurs cycliques susceptibles de tirer profit de ce changement de contexte.

Nous avons ainsi réduit notre exposition aux actions chinoises, car nous pensons que les petites capitalisations mondiales offrent de meilleures opportunités. Nous maintenons notre exposition à la dette chinoise, compte tenu des spreads attrayants par rapport aux bons du Trésor américain et de la faible corrélation avec la hausse des taux américains.

La devise chinoise, que nous surpondérons, est restée remarquablement stable durant cette période. La solidité de la balance des paiements de la Chine et la remontée des taux devraient soutenir le renminbi, et nous tablons sur une surperformance de la monnaie chinoise contre le dollar, l'euro et le franc suisse.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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