Pénibilité et libéralisme

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 6 janvier 2016 à 10h15
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2,5 MILLIARDS €Le compte pénibilité devrait coûter 2,5 milliards d'euros aux entreprises à l'horizon de 2040.

Hier, un délégué syndical que j’apprécie m’a interpellé sur la question de la pénibilité et sur les postures « libérales » du patronat sur le sujet. Je ne voulais pas laisser passer cette occasion pour rétablir quelques points essentiels sur le sujet.

La pénibilité, une erreur sur le fond

Le gouvernement a accédé à une vieille demande syndicale qui est absurde: celle-ci consiste à indemniser les salariés pour l’ensemble du temps passé dans des fonctions pénibles au cour de leur carrière.

On ne dira jamais assez de mal de ce dispositif, pour quelques raisons simples à comprendre.

Première raison: il instaure une prime à la pénibilité. Alors que tous les pays industrialisés ont décidé de lutter contre la pénibilité des postes de travail par la prévention et de fortes mesures dissuasives pour les employeurs, la France a fait le choix inverse. Elle paiera une sorte de « prime de sortie » aux salariés concernés. C’est le contraire de ce qu’il faut faire.

Deuxième raison: ce dispositif délie les employeurs de toute responsabilité morale vis-à-vis des travaux pénibles en pratiquant la gestion du risque par transfert. Je paie des cotisations élevées parce que mes salariés sont exposés à des travaux pénibles, donc je n’ai plus à me soucier du problème. Cette logique de gestion du risque par transfert prévaut également pour la sécurité sociale. Elle explique que la France dépense autant pour des soins aussi médiocres.

Troisième raison: la notion de pénibilité est un fourre-tout complexe qui évolue forcément avec le temps, et qui prêtera tôt ou tard à des revendications absurdes. Rappelons qu’en son temps la question de la pénibilité fut réglée par des départs anticipés à la retraite. Alors que la pénibilité des métiers concernés s’est fortement réduite (pour les cheminots de la SNCF ou de la RATP, par exemple), la pratique des départs anticipés est restée. Le même phénomène d’injustice se produira avec le nouveau dispositif.

La pénibilité, une erreur sur la forme

Parallèlement à ces erreurs sur le fond, le dispositif retenu par le gouvernement pose des problèmes majeurs sur la forme.

Quoi qu’en dise ses défenseurs, il est réglementairement très complexe à mettre en oeuvre. La lecture du décret du 31 décembre l’a montré. Aucun chef d’entreprise ne peut le comprendre sauf à disposer d’un service juridique, ce qui exclut les TPE et les PME.

Cette complexité est inhérente à sa conception. Dès lors que le gouvernement a choisi de ne pas associer des métiers à la notion de tâche pénible, mais d’évaluer la pénibilité poste de travail par poste de travail, il condamne tous les chefs d’entreprise à une redoutable comptabilité. Celle-ci est forcément lourde à mettre en oeuvre et, on peut déjà l’affirmer, sera source de nombreuses frustrations, tant le principe d’une mesure objective de la peine au travail percute le ressenti subjectif de celle-ci.

La pénibilité, les patrons et le libéralisme

Reste que l’histoire du dispositif sur la pénibilité n’est pas glorieuse pour les mouvements qui prétendent représenter les entreprises.

Lorsque François Fillon a réformé les retraites en 2003, il a en effet renvoyé aux partenaires sociaux le soin de négocier un accord réglant la question de la pénibilité. Avec malice, le MEDEF a tout fait pour torpiller cette négociation, qui s’est finalement achevé en eau de boudin en 2008. Cet abandon en rase campagne a légitimé une intervention directe de l’Etat sur le sujet.

Si les mouvements patronaux français étaient inspirés par une logique libérale, ils se montreraient capables d’agir par « soft law » et d’assumer leurs responsabilités. Dans le cas présent, le bon sens consistait à négocier un dispositif acceptable par les organisations syndicales et par les entreprises, sauf à s’opposer ouvertement à la réforme des retraites.

Dans la pratique, les mouvements patronaux ont cherché à se dérober à leurs obligations et ont finalement laissé la réglementation agir là où ils n’avaient rien fait. C’est l’étatisme en creux du patronat français qui a prévalu une fois de plus: celui consiste à ne rien faire soi-même et légitimer ainsi l’intervention supplétive de l’Etat.

Car la France, et c’est bien son problème, a le patronat le moins libéral du monde.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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