L’économie n’est jamais assise que sur ses deux fesses

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Par Ludovic Grangeon Modifié le 7 janvier 2013 à 6h23

Pas un jour sans analyse sur l’issue de la crise, les cycles, les espoirs, les évolutions. Chacun y va de sa projection, voire de sa prédiction de gourou. Quelques esprits facétieux ont retrouvé des articles de célébrités du monde économique annonçant avec « certitude » l’inverse de ce qui allait se passer. Les rapports annuels des grands groupes ne sont plus qu’un interminable commentaire comptable et financier de leur gestion. Il devient même difficile de savoir ce qu’ils font vraiment. L’économie devient de la méta économie. On nage en permanence dans le fameux paradoxe de Robert Solow, prix Nobel d’économie, sur les gains de productivité par l’informatique toujours annoncés, jamais constatés.

À force de fusions, de rationalisation, d’optimisation, d’acquisitions, le pilotage des groupes financiers et industriels se réduit à des rangées de jeunes gens rivés à leurs prothèses électroniques de smartphones ou d’ordinateurs. Tout est devenu virtuel. Quelle différence entre Super Mario, le prochain projet d’Alstom, un produit L’Oreal, et le dernier modèle Renault ? Super Mario est le plus concret, bien entendu !... Comment oublier que 75% des fusions acquisitions des dix dernières années ont abouti à des échecs retentissants ? masqués par d’autres fusions qui, à leur tour…

Le culte de la « concurrence » instauré par les eurotechnocrates a encore renforcé cette économie virtuelle au détriment du client. Par exemple, l’abonnement d’électricité passe désormais par une chaine opérateur-producteur-transporteur-distributeur-commercialisateur, où chaque métier est géré de façon cloisonnée et séparée, avec autant de marges prélevées à chaque stade, ce qui aboutit à une augmentation faramineuse du prix final au consommateur sous couvert de… concurrence ! De plus, la qualité de service s’en trouve dégradée par autant de maillons fragiles rajoutés à la chaine de services, et autant de complexités. Essayez de changer d’abonnement ou de point de livraison avec votre fournisseur d’électricité, et vous êtes parti pour un feuilleton de plusieurs jours, avec des heures de musique au téléphone, de multiples réponses kafkaïennes.

Car le problème principal de l’emploi aujourd’hui rejoint la fameuse fable moderne du rameur et de ses douze entraineurs. Il existe de moins en moins d’emplois au contact du client, et c’est pourtant là que se crée la valeur. L’échec retentissant de la « refondation » de Carrefour par Lars Olofsson, un siège pléthorique et une armée de consultants a abouti à leur éviction générale. Le salutaire retour au métier de base par Georges Plassat leur a rappelé que le groupe vivait grâce à ses clients. D’autres se complaisent dans la complexité pour mieux se dissimuler. Est-il normal que les taxes d’aéroport représentent plus de la moitié du prix de certains billets d’avion ? sans se remettre en question ?

Il existe des modèles de voitures récentes où le changement d’une ampoule de phare nécessite la dépose complète de l’avant du véhicule, moyennant une intervention de 150 €, ou encore deux heures de main d’œuvre d’un particulier. Cette anecdote appelle plusieurs observations : d’une part, la réglementation qui oblige tout conducteur à disposer d’une boite d’ampoules de secours en devient ridicule, et n’est respectée ni par l’administration, ni par les constructeurs qui se moquent du client. Tout cela parce qu’un technicien, très content de lui, a concocté une « rationalisation » du système de phares dans le confort douillet de son bureau et de ses écrans, sans jamais ouvrir le capot d’une voiture.

On pourrait encore parler des acheteurs de supermarchés qui croient réaliser des économies en achetant par exemple des colis de plaquettes de beurre par 50 au lieu de 25, et entrainent ainsi des arrêts de maladie du personnel des rayons pour lombalgies, qui coutent 100 fois les gains espérés, ou tout simplement l’absence du produit en rayon. Que dire des autres petits malins qui ont rogné sur les coûts de tel démarreur ou essuie glace et ont ainsi provoqué des centaines de rappels pour garantie du dernier modèle de voiture bourré de gadgets électroniques tombant en panne les uns après les autres. Les réseaux des opérateurs de télécoms, d’eau, d’électricité, et même les routes, se dégradent à toute vitesse à force de sous traitance, de rationalisation, de regroupements. Il n’est pas rare qu’une simple intervention de routine en rase campagne nécessite l’intervention de trois personnes dans les sièges parisiens. Bien pire encore, la mémoire des modes opératoires et des installations est souvent perdue, multipliant les incidents, et la perte de productivité. C’est bien entendu le client qui est pénalisé avec autant de temps perdu, de prestations dégradées, de mécontentement et finalement d’une prestation qui ne mérite pas son prix.

Il existe un moyen très simple de retrouver de l’emploi en France aujourd’hui plutôt que de parler de mondialisation, de pôles d’excellence, de nouvelles technologies qui sont toujours demain. C’est celui de faire son métier correctement auprès du client avec la qualité promise. Il n’est pas indécent de disposer du nombre suffisant d’opérateurs compétents pour répondre aux clients d’une assurance, d’une compagnie d’électricité ou d’un supermarché, au lieu de sous-traiter des centres « d’appels » qui sont devenus des centres de camouflage ou d’attente à bas prix. Il n’est pas indécent de disposer sur le terrain du nombre voulu de techniciens de maintenance au lieu de multiplier des forces de vente éphémères pour monter le cours de bourse. Il n’est pas indécent de privilégier les chaines transparentes dans la grande distribution et les marchés de gros, au lieu de multiplier par 8 les marges faites sur le produit initial des paysans.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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