Des errements des taux d’intérêt et de la comptabilité publique

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Par Jacques Bichot Publié le 20 janvier 2020 à 5h32
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100%La dette de la France a dépassé les 100% du PIB au troisième trimestre 2019.

L’une des nouvelles de ce vendredi 17 janvier 2020 est l’usage important que fait Bercy, par l’intermédiaire de l’Agence France Trésor (AFT), d’émissions d’emprunts obligataires correspondant à d’anciennes « souches » mises en place il y a quelques années, lorsque les emprunts d’Etat étaient assortis d’un taux d’intérêt positif. Par exemple, si elle place de nouvelles obligations à 10 ans assorties des caractéristiques d’un ancien emprunt, et notamment d’un taux d’intérêt positif, disons 1 %, l’AFT bénéficie d’une prime d’émission, par exemple 5 % du nominal : l’organisme souscripteur paie 105 € ce qui sera remboursé 100 €, mais il perçoit 1% d’intérêt chaque année au lieu de verser un intérêt de 0,5 %.

Des comptes officiels trop optimistes ou trop pessimistes selon les moments

Dans l’immédiat l’Etat perçoit une somme supérieure à celle dont il se reconnait débiteur, ce qui est comptabilisé comme un gain. Par la suite, il verse de l’argent au lieu d’en recevoir, ce qui est comptabilisé comme une dépense. Les comptes de l’année en cours ont de ce fait une apparence plus sympathique (le déficit est moindre), tandis que les comptes des années suivantes seront davantage déficitaires puisque, sur cette opération, il faudra payer des intérêts au lieu d’en percevoir.

Cette façon de faire se traduit donc par une amélioration des comptes officiels de l’Etat dans l’immédiat, et par une détérioration de ces comptes durant les années à venir. Du point de vue électoral, faire cela en fin de quinquennat n’est pas une mauvaise opération : les informations financières seront un peu moins défavorables à une réélection. Par la suite, le pouvoir en place devra présenter des comptes plus mauvais : en cas d’alternance, ce sera la punition de la nouvelle équipe, « coupable » d’avoir supplanté l’ancienne ; et en cas de réélection du sortant (s’il s’agit d’une présidentielle) ou des sortants (si ce sont des législatives), peu importera aux gagnants : l’essentiel était de ne pas perdre sa place.

La complicité entre la BCE et les Etats exagérément dépensiers

Le mécanisme technique de ces opérations, assez courantes, a été parfaitement bien exposé dans Les Echos. La rédaction de ce journal a évoqué devant le directeur de l’AFT la dimension politique de cette façon de faire. Ce haut-fonctionnaire a répondu qu’il s’agissait plutôt d’une adaptation aux desiderata de certaines institutions, spécialistes en valeurs du Trésor, qui désirent disposer de souches anciennes, à intérêts positifs, pour répondre à la demande de la BCE : cette institution achète des masses énormes d’obligations d’Etat depuis quelques années, et il faut satisfaire son goût prononcé pour les obligations rapportant un intérêt positif – expression qui, il y a quelques années, eut été un pléonasme.

En fait, les deux explications sont plus complémentaires que concurrentes. La BCE semble satisfaite d’avoir à ses pieds des Etats surendettés dont elle est en quelque sorte la divinité tutélaire. Cette situation dominante est évidemment mieux acceptée par les chefs d’Etat et ministres des finances des pays membres de la zone euro si elle s’accompagne de quelques gestes sympathiques : une divinité tutélaire se doit d’être bonne ! La politique de taux négatifs est le principal de ces gestes : Il est rudement agréable pour les responsables des Finances publiques des pays membres de diminuer leur déficit en émettant des emprunts qui font gagner de l’argent aux débiteurs sur le dos des épargnants.

Finalement, mis à part ces « gens de peu » qui épargnent sous forme de créances soumises au bon plaisir des princes qui sont censés nous gouverner, qui va se plaindre ? L’important, pour les autres, ceux qui tiennent le haut du pavé, c’est de prélever par des subterfuges financiers (les taux négatifs) ce qu’ils n’arrivent plus à obtenir par l’impôt, lequel a dépassé son seuil d’acceptabilité. Or il existe différentes façons de tondre la laine sur le dos des brebis ; la stratégie d’émission de titres des dettes publiques fait actuellement partie de l’art de la tonte. Loin de moi de penser que le directeur général de l’agence France Trésor veuille nous dévorer tout cru, il ne fait que ce que lui demandent Bercy, Matignon et l’Elysée, mais l’ironie du sort est quand même qu’il ait pour nom Anthony Requin.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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