Coût du carbone : l’engagement du G7 sur les énergies fossiles ouvre la voie au « zéro émission nette »

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Par Stéphane Monier Modifié le 13 décembre 2022 à 20h37
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90%Depuis 1970, les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 90% environ.

Les dirigeants des pays du Groupe des sept (G7) ont convenu de mettre fin au subventionnement des énergies fossiles d'ici quatre ans. Cette promesse, la plus ambitieuse du sommet qui s'est tenu du 11 au 13 juin 2021, se fonde sur les engagements actuels en faveur d'une transition vers des économies à zéro émission de carbone d'ici trois décennies. Pour les investisseurs, cette décision représente des défis, mais aussi des opportunités de croissance inédites dans les nouvelles technologies et les secteurs en évolution rapide.

Depuis 1970, les émissions de dioxyde de carbone ont augmenté de 90% environ et les énergies fossiles sont responsables de 78% de cette hausse. Désormais, ce sont plus de 100 nations qui se sont engagées à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, tandis que la Chine s'est fixé le même objectif d'ici 2060. L'engagement du G7, qui regroupe les États-Unis, l'Allemagne, le Japon, la France, le Royaume-Uni, le Canada et l'Italie, à supprimer progressivement les subventions accordées aux énergies fossiles sera déterminant dans la réalisation de ces objectifs et il pourrait réorienter d'importantes ressources financières vers le développement d'installations de production d'énergies renouvelables.

Il est clair que le moyen le plus rapide d'atteindre l'objectif zéro émission nette serait de cesser de subventionner les énergies fossiles. Cependant, de la même manière que le pain était politiquement sensible dans la Rome antique ou dans la France des Bourbons, le prix des carburants l'est aujourd'hui dans la majorité des pays du monde. Pourtant, selon le Fonds monétaire international (FMI), la suppression totale de ces subventions permettrait de réduire de plus d'un quart les émissions de carbone et de près de moitié les décès liés à la pollution de l'air. D'un point de vue économique, les dépenses en carburant n'entraînent pas une augmentation de la production économique, mais une utilisation moins efficiente de l'énergie.

Au niveau mondial, l'ampleur des subventions accordées aux énergies fossiles est considérable. Au total, elles représentent 85% de l'ensemble des aides publiques, selon une étude du FMI réalisée en 2019. Juste avant la pandémie, la planète a assisté à une hausse de ces subventions pour la première fois depuis 2013. Le FMI a estimé qu'en 2017, 6,5% de la production intérieure brute mondiale leur a été consacrée, contre 4,5% pour l'éducation. En 2015, la Chine a dépensé 1 400 milliards USD dans ce domaine, soit plus du double des États-Unis.

Fixer le prix du carbone

La fin des subventions permettrait également aux prix du marché de mieux refléter les coûts réels de l'énergie. Car elles faussent le prix relatif de l'énergie en faveur des combustibles fossiles, malgré la baisse spectaculaire du coût absolu des sources d'énergie renouvelables ces dernières années.

Parmi les efforts visant à fixer de manière plus juste le prix du carbone, on peut mentionner le principal marché carbone au monde, le Système communautaire d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE).

Le SEQE-UE fixe des plafonds de pollution pour quelque 12 000 producteurs d'électricité, entreprises et compagnies aériennes à travers le continent. Jusqu'en 2018, le prix des permis carbone dans le cadre de ce système européen de plafonnement et d'échange ne dépassait pas 10 EUR par tonne. Depuis octobre 2020, le prix a plus que doublé pour atteindre un record à la mi-mai, à 56,65 EUR par tonne et se négocie actuellement à 52,09 EUR par tonne (voir graphique).

La demande pour ces droits d'émission et les prix qui les accompagnent a augmenté en fonction des projets visant à imposer des objectifs de pollution plus stricts. À moins d'une baisse des émissions, le négoce du carbone ne réduira pas à lui seul la pollution due aux gaz à effet de serre. Selon l'exécutif européen, même si le mécanisme semble fonctionner, le prix du carbone « devrait être beaucoup plus élevé » pour contribuer efficacement à la lutte contre la pollution à long terme. Pour atteindre l'objectif de l'accord de Paris, consistant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius, le prix devra approcher les 100 EUR par tonne durant cette décennie déjà, souligne la Banque mondiale.

Fixer un plancher

Le 18 juin 2021, le FMI a présenté une proposition visant à fixer trois prix minimum du carbone pour les États-Unis, l'UE, la Chine, l'Inde, le Canada et le Royaume-Uni d'ici 2030, à savoir 75, 50 ou 25 USD par tonne, c'est-à-dire des prix différenciés pour les pays à différents niveaux de développement économique. Cela permettrait de fixer un prix plancher international et de maintenir, pour cette décennie, les émissions en dessous de l'objectif de deux degrés Celsius fixé par l'accord de Paris sur le climat. Selon le FMI, quatre cinquièmes des émissions à l'échelle mondiale « n'ont pas encore de prix établi », avec un prix moyen de 3 USD par tonne.

Le 14 juillet, la Commission européenne devrait publier une nouvelle série de mesures qui réviseront et éventuellement élargiront le marché SEQE-UE conformément à l'objectif de l'UE de réduire de moitié les émissions de carbone d'ici 2030. Nous nous attendons à ce que ces nouvelles mesures accélèrent la réduction annuelle de 2,2% du nombre d'émissions offertes, élargissent le nombre de pollueurs qui doivent payer, suppriment progressivement les quotas gratuits et introduisent une taxe carbone aux frontières. Toutes ces mesures seraient un soutien structurel additionnel à une hausse du prix du carbone.

Mais la hausse du prix du carbone ne déploiera vraiment ses effets que lorsqu'elle sera appliquée à tous les secteurs et à tous les pays, motivant ainsi les industries à franchir le pas et à réduire leurs émissions, et encourageant la recherche et l'investissement dans des énergies alternatives innovantes. À mesure que le marché de l'énergie évoluera, la demande de métaux et de minéraux indispensables à la production d'énergies renouvelables ne pourra que croître.

Car les sources d'énergie alternatives recourent à des technologies qui dépendent de nombreux métaux et éléments. Les panneaux solaires ont besoin d'arsenic, de gallium, de germanium, d'indium et de tellure, tandis que les éoliennes reposent sur l'aluminium et autres éléments rares. Quant au stockage de l'énergie dans les batteries, il dépend du cobalt, du graphite, du lithium et du manganèse, tandis que toutes les machines nécessitent du cuivre, dont la demande devrait augmenter de 60 % au cours des deux prochaines décennies.

Le G7 a également convenu d'augmenter les investissements dans les technologies et les infrastructures nécessaires à la décarbonisation. Dans le sillage de la pandémie, les États-Unis, l'UE et le Japon se sont tous engagés à mettre en œuvre des projets d'infrastructure de grande envergure qui soutiendront la reprise et favoriseront la transition vers une économie zéro carbone.

Positionnement des portefeuilles

L'exposition du marché du carbone à l'évolution de la réglementation en matière d'approvisionnement rend cet actif difficile à évaluer et sujet à une volatilité à court terme. Cela dit, à long terme, la hausse des prix est plus que probable. Selon de nombreuses études, les cours se situeront dans une fourchette comprise entre 150 et 300 USD par tonne d'ici 2040. Alors que les investisseurs prennent en compte l'ampleur de la transition vers une économie zéro émission nette et consacrent une attention toujours plus grande aux plans d'action climatique des entreprises, on pourrait assister à un changement rapide du sentiment du marché.

En matière de consommation, les tendances évoluent vite, entraînant une différenciation au sein des secteurs. Pour un nombre croissant d'entre eux, à commencer par les fournisseurs d'énergie, les services publics et les matériaux, les valorisations commenceront à refléter l'augmentation du prix du carbone. Cela signifie que les investisseurs devraient privilégier les entreprises qui sont les plus avancées sur la voie du « zéro émission nette » et appliquer une approche thématique.

A long terme, il y aura clairement des gagnants et des perdants dans le secteur des énergies alternatives et des infrastructures, selon la source d'énergie qui s'imposera comme carburant dominant pour atteindre la neutralité carbone. Les stratégies d'investissement doivent refléter cette transition vers de nouveaux modèles d'affaires et identifier les opportunités présentes dans les industries à fortes émissions de dioxyde de carbone où il existe des solutions pour réduire ces émissions avec la plus grande incidence sur le climat.

Nous appelons ces entreprises des « glaçons » car elles ont le potentiel de « refroidir » le climat pendant qu'elles travaillent à atteindre les objectifs de l'accord de Paris. D'autres, qui ne parviennent pas à opérer une transition vers le net zéro, sont plutôt classées dans la catégorie des « bûches en feu » et risquent de se retrouver avec des actifs qui risquent des pertes de valeur conséquentes tandis qu'elles se battent pour fonctionner dans un monde net zéro réglementé.
Les investisseurs auront besoin d'une exposition diversifiée aux énergies durables. Compte tenu de la volatilité potentielle de ces dernières, ils tireront profit d'une gestion active.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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