L’euro vit-il ses dernières semaines ? #BESTOF

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 4 janvier 2015 à 6h20

L'Allemagne exprime de plus en plus ouvertement son mécontentement vis-à-vis de la BCE et de sa conception de l'euro. Cette tension grandissante pourrait rapidement déboucher sur une crise ouverte.

Comment l'euro divise l'Europe

Le sommet des ministres des Finances du G20, qui s'est tenu en octobre dernier à Brisbane, a permis de prendre la mesure des divisions qui affaiblissent l'Europe, et qui tournent toutes autour de la politique monétaire et de la relance de la croissance. L'Allemagne défend une ligne orthodoxe rigoureuse: politique monétaire restrictive et retour à l'équilibre budgétaire, pendant que les pays à l'ouest et au sud du Rhin prônent un laxisme monétaire et budgétaire pour relancer la croissance.

Entre les deux « partis », la querelle prend l'allure d'une guerre de religions, chacun accusant l'autre d'hérésie.

Wolfgang Schaüble a été encore plus explicite : «Dès que la France et l'Italie mettront en oeuvre des réformes structurelles substantielles, la situation en Europe changera. Les leaders responsables en France et en Italie savent très bien ce qui doit être fait mais il leur est difficile de convaincre leur parlement et leur opinion publique.»

En marge de cette réunion, Mario Draghi a persisté et signé, en affirmant que la BCE accroîtrait ses interventions sur les marchés pour faciliter la reprise et la relance de l'inflation. Quelques jours auparavant, il avait défendu sa doctrine de l'euro faible, qui a le don d'exaspérer l'Allemagne.

Crise de plus en plus ouverte au sein de la BCE

Les tensions entre l'Allemagne et le reste de l'euro ont atteint une sorte de paroxysme. Il semblerait que Mario Draghi n'adresse même plus la parole au gouverneur de la Bundesbank et qu'il le tienne méticuleusement à l'écart des décisions.

Il faut dire que le gouverneur de la Bundesbank n'en rate pas une. Il s'est notamment fendu lundi dernier d'une déclaration tapageuse sur la fermeté nécessaire vis-à-vis de la France:

« La crédibilité des règles serait sérieusement entamée » si Bruxelles refusait de sanctionner la France pour une nouvelle violation de la règle d'un déficit budgétaire limité à 3% de produit intérieur brut (PIB), a déclaré le président de la Bundesbank lors d'un discours à Bielefeld, en Allemagne.

Jens Weidmann a rappelé que la crise de la dette avait éclaté en raison de la perte de confiance des marchés financiers quant à la soutenabilité de la dette de certains pays de la zone euro.

« De mon point de vue, ce n'est pas en s'écartant du chemin de la consolidation que l'on gagne la confiance », a-t-il dit.

La Commission Européenne met son grain de sel

Mario Draghi semble bien décidé à passer outre l'opposition allemande et à imposer sa politique, de conserve avec la Commission Européenne qui agit discrètement pour l'aider. La Commission vient ainsi de faciliter les règles de titrisation pour les banques et les assurances.

Pour les novices sur ce sujet, précisons simplement que la titrisation, pour un banquier ou un assureur, consiste à revendre ses créances à un autre banquier ou un autre assureur. Ce mécanisme, largement utilisé aux Etats-Unis dans les années 2000 sur le marché immobilier, a consisté, pour certains prêteurs, à revendre à prix d'or les crédits hypothécaires qu'ils avaient consentis à des clients insolvables. Cette mécanique leur a permis d'empocher une jolie plus-value et de se débarrasser de crédits risqués, les encourageant du même coup à vendre de plus en plus de crédits de plus en plus risqués: c'est ainsi que la crise des sub-primes nous est venue.

Pour l'instant, la Commission a établi un cadre strict pour limiter les dérives façon subprimes, mais on fait confiance aux banquiers pour monter des machines infernales qui contourneront les règles et feront endosser tôt ou tard aux contribuables européens le prix de leurs profits mal acquis.

Draghi transforme la BCE en bad bank

On adorerait donner tort à l'Allemagne, mais force est de constater que la politique de Mario Draghi ne tardera pas à coûter cher aux Européens: elle leur permet peut-être d'obtenir une bouffée d'oxygène immédiate, mais la suffocation sera terrible le jour où les mauvais risques que la BCE est en train de concentrer se réaliseront.

Il est désormais acquis que la BCE, pour sortir la zone euro de l'ornière où elle végète depuis plusieurs années, se lancera à court terme dans des rachats massifs de titres souverains et de titres privés (ABS) – une politique que l'Allemagne considère (à juste titre) comme une incitation à la dette et une désincitation aux réformes, et que la France soutient sans surprise, à condition qu'elle soit mise en place par le biais des banques centrales nationales, et non par des opérateurs privés (la Banque de France défend ici le gagne-pain de ses 10.000 salariés...).

Cette politique n'exclut d'ailleurs pas d'autres instruments à venir, appelés de leurs voeux par les pays du sud. Tout est donc réuni pour que l'euro reste sur une tendance baissière accompagnée de taux proches de 0, sujet d'exaspération en Allemagne, où la retraite par capitalisation peine à tenir ses objectifs techniques.

Travaux pratiques en fin de semaine sur l'euro

Le retour à l'angoisse sur les marchés, porté par les illusions du malade grec sur son propre rétablissement, a permis de transformer les réunions de la BCE en travaux pratiques.

Récemment (et les fidèles lecteurs de ce blog le savaient déjà), les premiers frémissements sont apparus sur la Grèce, avec l'idée d'une ligne spéciale de crédit à usage du grand malade continental. Les travaux de la Troïka et l'espérance nourrie par le gouvernement grec de sortir de la tutelle où il est enfermé depuis 2009 ont fini d'inquiéter les marchés, qui n'imaginent absolument pas la Grèce capable de se prendre en charge seule, bien au contraire.

Il faut dire que d'autres mauvaises nouvelles tombaient en Europe et aux Etats-Unis. Par exemple, la déflation est confirmée en Espagne, ce qui montre qu'une politique budgétaire rigoureuse a des effets positifs pour l'euro, mais des effets négatifs pour l'économie.

Dans ce climat apocalyptique, toutes les bourses ont souffert dans la crainte d'un retour de la crise de l'euro, et les Etats-membres voyaient avec la vitesse de l'éclair se profiler à nouveau la situation de 2009.

Il n'en fallait pas plus pour que la Commission Européenne et la BCE n'interviennent comme à la manoeuvre: la Commission se portait garante de la Grèce, et la Banque Centrale annonçait un soutien sans faille. Cette intervention a permis de limiter les dégâts.


L'Allemagne n'a pas dit son dernier mot

Pendant ce temps, les oreilles de Mario Draghi chauffaient à Luxembourg, où la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) entendaient les parties allemandes et européennes dans la question préjudicielle posée par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe sur la compatibilité de la politique de Mario Draghi avec les traités européens.

Cette affaire a suscité un véritable engouement en Allemagne, avec près de 500 occurrences sur le sujet. Ce chiffre illustre bien les réticences que l'euro y suscite aujourd'hui. Die Welt a par exemple titré: « Lance à incendie ou monstrueuse arrogance? », pendant que le ton général de la presse allemande soulignait le caractère très offensif des plaignants nationaux contre la BCE.

Voici un florilège des propos tenus par Dietrich Murswiek, conseiller du conservateur bavarois Peter Gauweiler, le plaignant principal dans cette affaire:

« Un organisme qui dépasse ses compétences ne dira jamais qu'il dépasse ses compétences » (à propos de la BCE)

« La BCE aurait pratiquement le champ libre pour conduire une politique économique et interférer avec les compétences des États membres. Au fond, toute politique économique peut être motivée sur la base d'une politique monétaire » fait remarquer Dietrich Murswiek.

Ce que la BCE espère obtenir de la Cour européenne à présent n'est « rien de moins que la confirmation légale d'un monstrueux dépassement de ses compétences », ajoute le conservateur.

Dietrich Murswiek est convaincu que le programme de rachat massif de dette publique permet à la BCE de transférer des milliards d'euros en risque de solvabilité des créanciers vers les contribuables.

Rappelons que, dans l'hypothèse où la CJUE validerait les positions de la BCE, la cour de Karlsruhe les déclarera probablement incompatibles avec la Loi fondamentale allemande. Et ce sera la fin de l'euro. Le compte-à-rebours est commencé.

Empoignades publiques à la BCE

Dans cette ambiance festive, les membres du directoire de la BCE ont fait la grâce aux contribuables européens d'exprimer publiquement leurs divergences, lors d'une conférence à Riga. Manifestement, entre les partisans de l'orthodoxie budgétaire et leurs opposants, c'est une guerre de tranchées qui a commencé.

Le président de la Bundesbank Jens Weidmann a estimé que l'Allemagne n'avait pas besoin de stimulants budgétaires, rejetant les appels à peine voilés du président de la BCE Mario Draghi en faveur d'une hausse de l'investissement public allemand pour soutenir la zone euro. (...)

De son côté, Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE et considéré comme un lieutenant de Mario Draghi, a déclaré que les gouvernements pourraient contrer les prix bas avec « une politique budgétaire, quand elle est possible sans remettre en cause la soutenabilité de la dette à long terme », envoyant un signal clair à des pays comme l'Allemagne.

Cette opposition a été rendue d'autant plus vive que la presse américaine a publié les minutes du directoire de la BCE montrant les affrontements sanglants en son sein au moment du sauvetage de Chypre, entre les Allemands partisans d'une faillite bancaire, et les autres Etats partisans d'un sauvetage systémique. On voit mal désormais comment les deux parties pourraient se rapprocher.

La Commission Juncker politiquement affaiblie

Si Mario Draghi peut se sentir épaulé par une majorité d'Etats membres, dont certains assez inattendus, comme l'Autriche, elle-même victime de la rigueur germanique, sa situation politique reste d'autant plus compliquée que la Commission Juncker est déjà affaiblie avant même d'avoir été nommée.

Les auditions des commissaires par le Parlement européen ont en effet souligné la faiblesse de certains d'entre eux, et Juncker a même dû remplacer au pied levé la candidate slovène par une inconnue, Violeta Bulc.

Ce petit incident de début de parcours ne pouvait pas mieux tomber!

Les risques pour l'euro ne font que commencer

Des esprits optimistes pourraient croire que le tabac dont la zone euro vient de faire les frais n'est qu'un incident épisodique. Bien au contraire, le pire est à craindre dans les semaines qui viennent, puisque la BCE devrait publier les résultats des stress-tests bancaires qui viennent d'avoir lieu. Avant même la publication, l'angoisse monte.

Ainsi, un institut allemand a souligné l'exposition des banques allemandes et françaises aux risques systémiques.

Quand la BCE a simulé une chute de la croissance ou une remontée brutale des taux d'intérêt, le ZEW s'est intéressé à d'autres hypothèses, notamment l'impact d'une chute des marchés financiers de 10 %. Les banques européennes devraient alors générer 154 milliards d'euros de fonds propres pour retrouver un ratio de solvabilité de 8 %, les établissements français et allemands étant les plus concernés. Les résultats sont pires en prenant comme référence le ratio de levier, qui rapporte le montant des fonds propres au total des actifs. Un mauvais signal selon Michael Schröder : « Le système bancaire reste fragile si le ratio de levier s'avère insuffisant. »

Entre ces lignes, ce sont les scénarios de stress retenus par la BCE qui sont mis en cause. Cette insuffisance pousse d'ores et déjà les analystes à prôner un durcissement des tests, considérant que la BCE n'a pas fait le job.

Fuyez le Crédit Agricole

Dans tous les cas, les stress tests devraient avoir un impact douloureux en France, en mettant en avant la faiblesse systémique du Crédit Agricole et de la Société Générale. Les esprits perfides remarqueront d'ailleurs que ces deux banques ont fondé une société de gestion d'actifs baptisée Amundi, dont les analystes font preuve d'un brio exceptionnel.

La veille des chutes boursières de cette semaine, l'un d'eux déclarait par exemple: « Les actifs de la zone euro continueront leur rattrapage »... Une clairvoyance qui impressionne. Si votre épargne est gérée par Amundi, sachez qu'elle est entre de bonnes mains.

Et si certains doutent du bien-fondé de l'argumentation allemande sur l'incitation au mauvais risque suscitée par la BCE, il suffit de lire les propos des gestionnaires d'actifs d'Amundi:

Les responsables d'Amundi ne doutent pas que la BCE mettra en oeuvre, s'il le faut, un programme d'assouplissement quantitatif (QE) du type de ceux de la Fed ou de la Banque d'Angleterre qui ont considérablement alourdi leur bilan en procédant à des achats massifs d'obligations d'Etat ou adossés à des créances immobilières.

Ils ont souligné que depuis quelques semaines, la baisse de l'euro était venue s'ajouter aux facteurs favorables aux actifs risqués de la zone euro.

Romain Boscher, directeur mondial des gestions actions d'Amundi, a expliqué qu'une baisse de 10% du taux effectif réel de l'euro se traduirait par un bond de 12,5% du bénéfice par action (BPA) 2015 des entreprises composant l'indice MSCI Europe.

Malgré la très faible croissance en zone euro, les actions offrent et devraient continuer à offrir le meilleur rendement du dividende, soit en moyenne 3,0% contre 0,8% pour l'emprunt d'Etat d'allemand à 10 ans (Bund) et 1,16% pour l'OAT française de même maturité – des niveaux historiquement bas.

L'Europe prépare une nouvelle crise ukrainienne

Dans ce grand désordre financier, prélude à un désordre monétaire de premier ordre, une nouvelle est passé inaperçue: l'Ukraine et la Russie ne sont pas mis d'accord sur leurs échanges gaziers. Ce sujet est pourtant à l'origine de la crise euro-russe de ces derniers mois, puisque la Russie considère que l'Ukraine a une importante dette gazière vis-à-vis d'elle.

Au passage, on notera que François Hollande a une nouvelle fois ridiculisé la France dans ce dossier:

En octobre, François Hollande a affirmé à Milan qu'un accord était « à portée de main », mais le président ukrainien a affirmé le contraire au sortir d'une entrevue avec Vladimir Poutine.

Il est vrai que l'opinion française est tellement rassasiée par les gaffes de son Président qu'une de plus ou de moins...

On prend donc les paris sur le retour de la crise ukrainienne au premier plan de l'actualité au printemps 2015.

Sainte BCE, priez pour nous! le nouveau chapelet de Valls

Il y en a un, au moins, qui peut se réjouir des malheurs de l'euro, c'est Manuel Valls! Pendant que les bourses européennes s'effondrent et que l'euro se lézarde, on ne parle plus de l'indiscipline budgétaire française. On le regrettera, puisque le sujet avait donné lieu à des postures théâtrales particulièrement drolatiques. Notre Premier Ministre avait par exemple déclaré:

« C'est nous qui décidons du budget », a-t-il ajouté. « Rien aujourd'hui ne peut amener à ce (...) qu'on demande à la France de revoir son budget, ça ne se passe pas comme ça (...). Il faut respecter la France, c'est un grand pays. »

Mais bien sûr, Manuel, c'est nous qu'on décide de ce qu'on veut! et les sorties de Macron sur la réforme de l'assurance chômage n'ont absolument rien à voir avec une soumission aux demandes d'Angela Merkel. Et quand, au sortir d'un G 20 essentiellement consacré aux difficultés européennes, le ministre allemand des Finances déclare:

« Nous serions fous si nous mettions en danger la confiance qu'inspire sur les marchés la discipline budgétaire allemande », a-t-il déclaré. « Il n'y a de toute façon pas grand-chose à tirer en termes de croissance d'une hausse des dépenses publiques »

Tout ceci n'a rien à voir avec une injonction allemande.

Pour un peu, on préférerait ne pas avoir de crise financière pour pouvoir savourer les tirades cyranesques du gouvernement français!

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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