Mur budgétaire américain : rien n’est encore réglé

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Par Anne Deysine Publié le 28 janvier 2013 à 6h19

Dès le lendemain de l’élection, Obama s’est attaqué à la vraie question qui n’avait jamais été réellement posée durant la campagne et durant les débats, celle du fameux précipice budgétaire ou fiscal cliff, c'est-à-dire le mécanisme budgétaire de hausses d’impôts et coupes automatiques des dépenses mis en place en 2011 devant l’impossibilité de trouver un compromis avec le Congrès, ou plus exactement la Chambre des Représentants à majorité républicaine.

Si aucun accord n’avait été trouvé, ces coupes se seraient appliquées en principe indifféremment à tous les ministères et toutes les agences across the board et les baisses d’impôts de G. W. Bush auraient pris fin.

La gauche et les syndicats étaient partisans d’une ligne dure : aucune concession sur les baisses de dépenses et laisser s’enclencher le mécanisme de réduction automatique, touchant aussi la Défense. Pourtant après près de deux mois de feuilleton et de tractations entre le président de la chambre le républicain Boehner et l'administration démocrate, la nuit de la Saint-Sylvestre un mauvais accord fut signé et la loi adoptée le 1er janvier par 257 voix contre 167, dont 151 républicains votant contre.

C’est un mauvais accord car il ne règle ni le problème du relèvement du plafond de la dette repoussé à février, ni une réforme du code des impôts injuste et illisible (70 000 pages) et il ne fait rien pour réduire les dépenses automatiques que sont les retraites et les dépenses de santé. Celles-ci représentent déjà 18 % de l’économie et 25 % du budget fédéral et elles (Medicare pour les plus de 65 ans et Medicaid pour les plus démunis) vont continuer d’augmenter. Cet accord qui ne satisfait personne (pas même les Républicains) est pernicieux. Il pérennise certains baisses d’impôts et contient de beaux cadeaux fiscaux pour certains secteurs (Nascar, Disney, les compagnies minières « payées »pour assurer la sécurité de leurs travailleurs, crédits d’impôt pour R& D et le serpent de mer, devant l’OMC depuis plus de dix ans des modalités renouvelées, de la fiscalité des multinationales américaines dispensées de payer l’impôt sur les revenus de leurs filiales à l’étranger). Et de toute façon, il ne fait que repousser les problèmes à plus tard.

Le plafond de la dette, qui est actuellement de 16,4 milliers de milliards de dollars, est une originalité américaine et a été relevé de nombreuses fois et en particulier en 2011. En effet, il ne s'agit pas pour le Congrès d'autoriser de nouvelles dépenses mais ainsi que le martèle le président Obama de donner la possibilité à l'État de régler les factures de dépenses qui ont déjà été autorisées et votées par le législatif. Dans ce contexte, un point préalable et une interrogation.

Il faut ici bien comprendre que la vraie question n'est pas la réduction des déficits budgétaires qui vont croître à l'avenir mais qui sont aujourd’hui à un niveau supportable (même si la dette qui représentait 42 % du PNB en 1980 a atteint 107 % du PNB) et en fait en baisse légère mais le démantèlement de l'État fédéral et de ses programmes sociaux. En effet, en pourcentage du PNB, le déficit pour l'année budgétaire 2009 était de 10,1 % puis il a baissé à 8,7 % (2011) et à 7 % pour l'année budgétaire 2012. Il s'agit donc bien d'un combat idéologique mené par le groupe anti impôts de Grover Norquist et par le Tea Party qui etait parvenu à 2010 à envoyer une soixantaine d'élus à la chambre. Ensemble, ils étaient parvenus à faire échouer les négociations entre le président et le speaker de la chambre des représentants Boehner.

La question était « que peut faire le président si le Congrès continue d'exiger des coupes budgétaires considérables pour accepter de relever le plafond de la dette ? ». Deux options un peu fantaisistes avaient été mises en avant : la première serait que le président autorise le Trésor à frapper une pièce de monnaie de 1000 milliards de dollars en platine, ce qui est techniquement et juridiquement possible grâce à une interprétation fantaisiste (et jamais imaginée par son auteur Mike Castle) de la loi de 1997 Omnibus Consolidated Appropriations Act. L'autre aurait consisté à faire une lecture novatrice de la première phrase de la section quatre du XIVème amendement que l'on connaît plutôt pour sa clause d'égale protection de la loi et de due process. « La validité de la dette publique des Etats-Unis, autorisée par la loi, y compris les engagements contractés pour le paiement des pensions…. ne sera pas mise en question ». Le président avait refuse cette option qui impliquait l'accord de la Réserve fédérale (Fed) et aurait modifie en profondeur les relations entre Fed et Trésor. Le président considère que c'est au Congrès d'être cohérent et d'accepter le relèvement du plafond de la dette. Ce qu il finit par faire sans exiger de concessions de depenses.

A court terme, le président n'aura donc pas à choisir une de plusieurs options toutes plus délicates les unes que les autres : vendre une partie du patrimoine américain comme le Mont Rushmore, emprunter pour couvrir les 40 % de factures qui ne le sont pas, tenter de hiérarchiser le paiement des dépenses en fonction de leur importance - mais quand on sait que 80 millions sont payés chaque mois cela serait difficile. Mais le problème n'est pas réglé, il est seulement repoussé à plus tard. Cet accord a minima ne réglant aucun des problèmes à long terme.

Le président devra peut-être décider de retarder les mises en paiement en attendant que les sommes nécessaires rentrent au budget et ne pas payer les retraites, les anciens combattants ou les troupes au combat… ce qu’il mentionne dans ses discours, appels à l’opinion publique. Et certains républicains (C. Christie, Bobbie Jindal) tentant de tirer les leçons de la défaite de novembre 2012 souhaitent que le parti se concentre sur autre chose que ce débat stérile.

On voit bien ici que le problème est davantage politique qu’économique et la position de l'ancien président Clinton le souligne. En faveur du recours au XIVème amendement, il concluait « allons y et attendons que les juridictions soient saisies ; elles devront trancher ». Ce qui n'est pas nécessairement le cas car elles peuvent éviter de le faire en s'abritant derrière la doctrine de la « question politique ». Une autre difficulté est due à la vacance du pouvoir puisque l'ancien secrétaire au Trésor quitte ses fonctions le 25 janvier et que le nouveau Lew n'est pas encore confirmé. Ce serait donc au numéro 2, Neal Wolin d'assumer ces choix difficiles.

On sait que les caisses américaines seront bientôt vides. Il est temps pour un vrai accord.

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        Anne Deysine est juriste (Paris II), américaniste et diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à  l’université Paris Ouest Nanterre, où elle a crée et dirige un M2 d’Affaires internationales et négociation interculturelle et un programme d’été de droit comparé, accrédité par l’American Bar Association, en coopération avec la faculté de droit GGU.  Elle a été Vice Président chargée des relations internationales de 1998 à 2003 et préside le consortium Micefa depuis 2002. Elle travaille aussi à l’IDA et siège au Conseil d’administration du Pres Paris Lumières. Elle  enseigne régulièrement à l’étranger (Inde, Chine, Etats-Unis), a des activités de conseil et formation en entreprise, intervient régulièrement dans des enceintes comme l’ ENM, l’IHEDN, le CHEM et travaille avec l’ IFRI et l’IHEJ (Antoine Garapon). Elle écrit pour différents journaux et sites et intervient régulièrement sur les ondes radio et TV.        

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