La phobie du foot-business, cette specificite française

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Par Louis-Marie Valin Modifié le 22 mai 2020 à 11h56
Soccer Football
90 MILLIARDS €Le secteur du sport pèse près de 90 milliards d'euros en France.

Alors que la Bundesliga a fait son grand retour et que d’autres championnats, avec en tête la Serie A, vont suivre, la Ligues 1 est définitivement arrêtée. Une décision prise au sommet de l’état qui interroge sur la perception du sport professionnel en France.

Si plusieurs recours, déposés par Toulouse, Amiens et Lyon, n’ont pas encore été officiellement retoqués, l’affaire semble entendue, la Ligue 1 ne reprendra pas cette saison. Cette décision, chose surprenante, ce ne sont pas les instances du football qui l’ont prise mais bien le pouvoir politique par l’entremise du Premier Ministre lors de son allocution du 28 avril dernier. Une décision forte mais qui dénote dans l’univers du foot professionnel.

Bundesliga, une reprise qui cartonne

Pendant que la France a donc tiré le rideau et distribué les bons et les mauvais points, le football professionnel a repris ce week-end outre-rhin. Une reprise en forme de laboratoire expérimental scruté avec attention dans le monde entier. L’ensemble des protagonistes du football étant désireux de voir si jouer au football était de nouveau possible et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas été déçus. Huit matches disputés, 22 buts et aucun incident majeur, la Bundesliga a montré la voie.

Oui, le ballon peut de nouveau vivre, même si les conditions ne sont pas optimales, même dans des stades sonnant creux. La nature a horreur du vide et mieux vaut un verre à moitié plein que pas de verre du tout. Alors bien sûr, il convient d’attendre un peu pour vérifier que les protagonistes de ces rencontres n’ont pas été exposés au Covid 19 mais au moment où j’écris ces lignes, tous les signaux sont au vert. Huis clos, mesures de distanciation sociale scrupuleusement respectées dans le stade et en dehors, l’Allemagne a donné au monde du football une leçon d’organisation, de discipline et de cohésion.

Mais surtout la Bundesliga s’est offert un énorme coup de projecteur ! C’est simple, jamais ce championnat n’avait généré autant d’audience, que ce soit en Allemagne, où Sky a enregistré plus de 6 millions de téléspectateurs avec une part de marché record de 60% pour les 14-49 ans, mais surtout à l’étranger. Une visibilité inédite malgré une qualité footballistique moyenne, voilà qui risque d’accélérer les processus de retour des différents championnats, bien conscients de l’opportunité économique qui s’offrent à eux.

Distinction entre haut niveau et professionnalisme

Car oui, dans les conditions de sevrage qu’ont connu les fans de football, et de sport en général, pas besoin de rencontres exceptionnelles pour attirer le chaland. En période de disette, même un spectacle médiocre fait recette. C’est d’ailleurs peut-être sur ce point qu’il faut creuser pour comprendre la décision française de fermer boutique : alors que nos voisins ont bien intégré la dimension de sport-spectacle, la France a toujours tendance à confondre sport de haut niveau et sport professionnel.

Ce sont pourtant deux notions qu’il faut bien distinguer, quand le haut-niveau n’est régi que par des indicateurs de performance sportive, le sport professionnel se mesure lui à l’aune de ses résultats économiques. Soyons clair, un escrimeur de top niveau mondial, par exemple, ne peut vivre de son sport et exister sans l’accompagnement de l’état alors que les clubs de football sont des entreprises à part entière, des marques internationales en concurrences les unes avec les autres. Quand le sportif « olympique » est avant un athlète centré sur la performance, le footballeur est lui un produit commercialisable, indispensable pour vendre des produits dérivés et des hospitalités, attirer des partenaires ou des diffuseurs.

Comment dès lors justifier que leur destinée soit confiée à des instances amateurs, les fédérations, dépendantes de l’État ? S’il est légitime que le haut-niveau soit régi par le ministère des sports avec à sa tête un ancien athlète au fait des préoccupations d’un sportif et destiné à faire briller la France sur les podiums olympiques, la gestion de clubs de football aux budgets pharaoniques ne devrait-il pas plutôt échoir à Bercy, habitué aux problématiques commerciales de multinationales ?

Un réflexe social contre-productif

Alors que la priorité du gouvernement à travers le déconfinement est pourtant de sauver l’économie, le sport professionnel est laissé de côté, au bord de la route. En France le sport pèse 90,8 Md€, près de 450 000 emplois et un club comme le Paris Saint Germain emploie près de 800 personnes. Il faudrait peut-être arrêter de regarder différemment des autres un secteur économique qui représente pas loin de 2% du PIB tricolore... Soyons clairs, une reprise des autres championnats majeurs serait une catastrophe économique et donc un risque social majeur.

Le modèle de nos clubs est principalement basé sur la commercialisation de ses droits de diffusion et, dès lors que les matches ne sont plus diffusés, les diffuseurs ne payent plus. Quand on sait que la manne totale était de 762 M€ en 2020 (et doit passer à 1,152 Md€ l’an prochain), on imagine aisément les sommes pharaoniques sur lesquels des clubs, pour certains déjà en difficulté financière, vont devoir s’asseoir... Des pertes (qui s’ajouteront au manque à gagner en billetterie, marchandising et hospitalités) que n’auront pas les clubs dont les championnats reprendront. Notre football, déjà en difficulté sur la scène européenne, pourrait bien se retrouver complètement exsangue.

Alors qu’il était urgent d’attendre, d’observer les signaux envoyés par l’étranger avant de stature, la France s’est précipité pour donner une réponse politique plutôt qu’économique. À la différence de nombre de nos voisins, la France semble être restée ancrée dans un « coubertinisme » suranné, rechignant à adopter une vision économique du sport professionnel. En privilégiant une vision sociale, le gouvernement risque d’obtenir l’effet inverse en mettant en danger des centaines d’emplois et en affaiblissant un secteur déjà fragile.

Alors que Roxana Maracineanu regrettait encore hier que la reprise allemande l’ait été pour des raisons économiques, il semble urgent de faire une révolution culturelle pour que le professionnalisme du sport soit enfin accepté en France.

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Louis-Marie Valin est consultant expert sport. Auprès d’agences ou d’annonceurs, il intervient sur des problématiques de communication, sponsoring, événementiel ou entreprenariat. Il est également membre de l’Observatoire du Sport Business et fondateur du site sport-vox.com.

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