De la germanophobie à la conophobie

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Par Charles Sannat Modifié le 30 avril 2013 à 8h04

Si je suis opposé au mariage pour tous, je suis forcément un horrible homophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme d'islam, je suis forcément un horrible islamophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme de multiculturalisme, je suis forcément un horrible xénophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme de politique menée par Israël, je suis forcément un horrible judéophobe.
Si je suis opposé à une certaine forme d'Europe, je suis forcément Europhobe, ce qui est nettement pire qu'être Eurosceptique ce qui n'était déjà pas terrible.
Évidemment, si je suis opposé à la politique économique allemande, je suis forcément germanophobe.
On peut multiplier les exemples de « phobies » à l'infini ou presque.

Un processus intellectuel d'une grande dangerosité
À ce niveau du texte, et vous allez voir le processus intellectuel à l'œuvre, ma femme intervient et m'explique que je ne peux en AU-CUN cas personnaliser les choses de cette façon-là car, comme de bien entendu, tous mes lecteurs vont penser que je suis un horrible et affreux homo-xeno-judéo-islamo-euro-germano-PHOBE... Baaaaa caca boudin beurk !

Il faut donc impérativement reprendre ce début de texte qui aura choqué (mais c'est aussi l'époque des « chocs » multiples) pour le remplacer par quelque chose de plus audible, de plus lisible, quelque chose que l'on peut tenter éventuellement d'exprimer avec moult précautions oratoires afin de coller à une époque où l'expression d'une pensée libre devient de plus en plus difficile et dangereuse.

Si quelqu'un est opposé au mariage pour tous, il est forcément un horrible homophobe.
Si quelqu'un est opposé à une certaine forme d'islam, il est forcément un horrible islamophobe.
Si quelqu'un est opposé à une certaine forme de multiculturalisme, il est forcément un horrible xénophobe.
Si quelqu'un est opposé à une certaine forme de politique menée par Israël, il est forcément un horrible judéophobe.
Si quelqu'un est opposé à une certaine forme d'Europe, il est forcément Europhobe, ce qui est nettement pire qu'être Eurosceptique ce qui n'était déjà pas terrible.
Évidemment, quelqu'un qui est opposé à la politique économique allemande est forcément germanophobe.
On peut multiplier les exemples de « phobies » à l'infini ou presque.

Donc lorsque l'on souhaite exposer quelque chose de choquant, il faut toujours le faire en « dépersonnalisant » les propos pour éviter tout amalgame (autre mot très à la mode)

Qu'est-ce qu'une « phobie »
En gros, c'est une maladie psychiatrique liée au rejet très fort, pathologique, genre des araignées... On a le droit de parler des araignées. C'est sans danger vis-à-vis de la police de la pensée.

Wikipédia rajoute que, par extension, le terme « phobie » désigne aussi dans le langage courant un sentiment individuel ou collectif allant de la détestation à la haine accompagné d'une attitude hostile, de rejet et de crainte vis-à-vis d'une catégorie de personnes, ou parfois d'une activité ou d'un phénomène.

Empêcher de poser des problèmes et limiter la réflexion.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Interdire l'expression d'une pensée non-conventionnelle ou allant à l'encontre de la pensée dominante. C'est l'objectif du qualificatif « phobe » apposé à tous les opposants à quelque chose.

Or s'opposer est normal et sain. Dans tout processus de décision pertinent, il faut d'ailleurs qu'il y ait un processus « d'avocat du diable », à savoir que l'on doit pouvoir défendre l'idée inverse, l'exact opposé, seule façon de savoir si la décision qui sera prise peut être la bonne.

Une bonne décision doit pouvoir résister à la critique. Or on prend des décisions, peu importe lesquelles qu'il s'agisse du mariage pour tous à l'arrimage de la politique économique française à la méthode allemande, en empêchant tout débat et très rapidement la fin de partie est sifflée en taxant les propos des opposants de participer d'une phobie quelconque.

Or être un « phobe », c'est être un extrémiste et être passible de poursuite
L'expression libre, c'est-à-dire la liberté de penser et d'exprimer, s'efface progressivement face à l'expression contrôlée et autocontrôlée. Ce glissement est particulièrement flagrant lorsque l'on lit les constitutions ou les déclarations des droits de l'homme.

Ainsi, celle de 1948 ratifiée à l'ONU indique dans son article 19 :

Article 19
Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.

Il n'y a dans cette définition aucune limitation, y compris pour des idées qui pourraient révulser la plus grande majorité d'entre nous, pourtant, dans cette définition, la liberté d'opinion et d'expression ne se discute pas. Elle ne peut pas, par définition, être limitée par quelque principe que ce soit, car limiter la liberté d'opinion c'est en réalité supprimer cette liberté.

Dans la Constitution française, l'approche est très différente.

Article XI
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi.

La liberté d'expression est donc encadrée par la loi, et dans le cadre sans doute du « choc de simplification » souhaité par le président actuel, les limitations sont de plus en plus nombreuses. En disant cela, je ne critique pas et ne me prononce pas sur le bien-fondé de telle ou telle limitation. Je constate simplement que l'expression de la pensée est de plus en plus limitée.

Or le président de l'Assemblée nationale est lui aussi sommé de se la fermer !
Bartolone est le 3e homme le plus important de nos institutions. Il est le troisième dans l'ordre de succession. Président de l'Assemblée nationale est un poste important. À ce titre, les paroles prononcées doivent effectivement être pesées.

Quel est le crime germanophobe qui a été commis par Monsieur Bartolone ?
Il a osé parler de « confrontation avec l'Allemagne ». Alors certes, on peut dire que les mots sont malheureux, jouer les puristes des bons sentiments à l'égard de nos grands « zamis » allemands, mais dans ces colonnes je suis le premier à dire et à répéter depuis des mois que l'austérité allemande est une impasse pour l'Europe et la chronique d'une catastrophe annoncée pour notre pays.

Mais une fois que l'on a dit cela, quelle est la prochaine étape ? La prochaine étape est forcément celle de la confrontation avec l'Allemagne sur la stratégie économique de l'Europe. Et l'étape suivante ? Soit les Allemands adoucissent l'austérité et acceptent une partie de monétisation, soit ils restent inflexibles. Et s'ils restent inflexibles ? Eh bien l'un des deux pays devra sortir de l'euro.

Les rapports entre pays sont surtout des rapports de force. S'imaginer obtenir quoi que ce soit en étant béni-oui-oui gentil, tendance bisounours est d'une naïveté confondante.

Bartolone aurait sans doute pu s'exprimer autrement
Oui le président de l'Assemblée nationale aurait certainement pu s'exprimer avec plus d'élégance et en conservant tout autant de force.

« On ne peut pas demander à nos zamis allemands de payer pour le reste de l'Europe. Pour deux raisons. La première parce qu'il n'est jamais juste de faire la poche des autres. La deuxième parce que l'Allemagne n'a pas et n'aura pas les moyens de payer pour toute l'Europe.

En revanche, nos zamis allemands doivent comprendre que la société française ne sera jamais la société allemande. L'austérité et la rigueur depuis 5 ans ruinent les pays du sud. Nos fragilités sociales ne sont pas les mêmes. Nous ne pouvons passer après 40 ans d'assistanat total à un système totalement libéral sans faire s'effondrer la stabilité sociale de notre pays.

Logiquement, nous devrons à un moment ou un autre tirer les conclusions et assumer les conséquences qui s'imposent d'une telle divergence entre nos deux pays en gérant au mieux, ensemble, une monnaie unique et des institutions communes qui doivent s'adapter à cette nouvelle donne. »

Voilà ce que j'aurais dit à nos zamis allemands, car cette position me semble juste et voilà ce que Bartolone aurait mieux fait de dire. Mais cela ne change pas grand-chose au fond.

Se servir de l'Allemagne pour faire de l'austérité
Toute l'ambiguïté française, en tout cas de nos dirigeants se situe à ce niveau. D'un côté, tout le monde a bien conscience qu'il faut chez nous réduire le poids de l'État devenu trop lourd depuis trop longtemps. La tentation est donc très forte de se servir de l'Allemagne pour mener ces réformes qui sont politiquement impopulaires.

Mais ce faisant, nous ne pouvons que faire se développer un sentiment de « germanophobie » dans notre pays puisque nos misères sont... la faute à l'Allemagne.

L'Allemagne n'est pour rien dans notre situation. Nous sommes un mauvais élève qui n'a pas assez travaillé. Nous avons de mauvaises notes. Nous venons d'être collés au BAC et nous accusons le prof. C'est bête, stupide, et cela ne règlera aucun problème.

Ce n'est pas en faisant taire les opposants à l'euro que nous sauverons l'Europe
C'est une grande erreur qui est commise par les Europathes. Après tout, si on peut être qualifié d'Europhobe, je revendique le droit et la liberté linguistique de qualifier les pro-Europe... d'Europathes, car ils sont devenus des psychopathes de l'Europe, des extrémistes, ne voyant pas que pour sauver le rêve de l'Europe, il faut que l'Europe protège les peuples.

La monnaie unique n'est qu'un petit bout d'Europe, car l'Europe est une idée bien plus grande et bien plus vaste que l'euro. L'Europe ne doit pas avoir peur de faire évoluer l'euro, elle doit craindre par contre le rejet fondé des peuples.

Alors oui mes chers contrariens, je suis et je le revendique (tout en sachant que l'on est toujours le con de quelqu'un), je l'avoue, je le confesse, je suis conophobe. Ce qui est bien avec la connerie, c'est que c'est une qualité œcuménique. Elle concerne toutes les couleurs de peau, d'origine, tous les courants politiques, tous les pays et toutes les époques.

Le grand problème intellectuel de notre pays, c'est que le politiquement correct, les peurs de toutes les phobies, l'idéologie de l'égalitarisme absolu et éternel, nous empêchent de poser les vrais problèmes. Nous n'avons plus le droit de penser et de réfléchir librement.

Et comme disait quelqu'un de célèbre en d'autres temps et dont vous reconnaîtrez les paroles... « et pourtant elle tourne ! »

On peut dire de Bartolone qu'il est « germanophobe », et pourtant il y aura bien une confrontation entre la France et l'Allemagne... et elle a déjà commencé car, en Allemagne, depuis quelques mois, le climat est clairement « francophobe », mais cela on ne vous le dira pas, puisqu'il faut croire au mythe de la grande « amitié » franco-allemande.

D'ailleurs, je vous conseille la lecture du remarquable article d'Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph en date du 26 avril et que personne ne prend le temps de lire et/ou de reprendre. Le titre de son dernier article ? La Bundesbank déclare la guerre à Mario Draghi et à la BCE... Ceci expliquant sans doute cela!

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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