La grande distribution, Amazon et le dernier kilomètre

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Par Michel Delapierre Modifié le 3 avril 2018 à 11h09
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La guerre de positions est révolue, l’heure est aux grandes offensives : l’évolution des modes de consommation, la digitalisation à marche forcée et la menace Amazon viennent bousculer la paix armée qui régnait dans la grande distribution.

Les maîtres du marché se font du souci, les modèles qui semblaient pérennes il y a dix ans s’effritent les uns après les autres et les frontières se redessinent. Leclerc, roi des prix bas et des zones périurbaines annonçait en février le lancement de « Leclerc chez moi », une offre de livraison à domicile pour la capitale disponible depuis la fin du mois de mars. Leader du e-commerce alimentaire français avec 50% du secteur, Leclerc a su tirer parti de l’engouement pour les drives. S’attaquer désormais à Paris est un défi proposé à Carrefour, mais surtout à Casino, qui domine le marché parisien.

Digitalisation forcée

Depuis quelques mois, le secteur tout entier semble se réveiller, gagné par la crainte de voir ses certitudes s’écrouler. Le modèle hypermarché, où les géants français excellent, ne séduit plus les villes. L’heure est à la proximité, à la rapidité et à la livraison. L’effet e-commerce est passé par là ; les consommateurs changent, ils attendent mieux que des prix bas ou un choix pléthorique. Les enseignes ont désormais intégré ce constat : leur modèle doit évoluer rapidement. Auchan s’allie avec le géant chinois Alibaba, Carrefour dévoile un plan d’investissement de 2,8 milliards dans le digital, Leclerc annonce une ouverture à Montparnasse en 2020. Tous prévoient désormais que le commerce alimentaire en ligne, qui représente aujourd’hui environ 6,5 % du marché, va se développer et rejoindre, qui sait, les 43 % de ventes dématérialisées que connait le secteur culturel.

C’est sur cette promesse, « votre nouveau livre demain chez vous », qu’Amazon a révolutionné ce marché. Aujourd’hui, les grands distributeurs redoutent de connaitre le même destin que les libraires, mangés par le même ogre. Si les livraisons à domicile restent marginales en France, elles représentent près des trois quarts du marché aux États-Unis. Même pour Amazon, bien décidé aujourd’hui à miser sur l’alimentaire, cette évolution n’allait pas de soi il y a encore quelques années. Le succès du site diaspers.com, spécialisé dans les produits pour bébés, bien vite racheté pour plus d’un demi-milliard de dollars, avait ouvert de nouveaux horizons dans l’alimentaire, concrétiser depuis par le rachat pour 15 milliards de dollars de l’enseigne américaine Whole Foods.

Alliance Amazon Monoprix

Les ambitions d’Amazon sur le marché français ne sont pas différentes : s’appuyer sur des partenaires bien implantés pour lui permettre de mettre en oeuvre son impressionnante efficacité logistique. Selon Stéphane Toullieux, Président d’Athymis Gestion : « Nous ne sommes qu’au début de ce type d’alliance. La résistance des acteurs de la distribution traditionnelle est assez disparate, mais l’offensive est lancée en Europe, en tout cas en France via ce type de partenariat ».

Le rapprochement annoncé du géant américain et de Casino, dont l’enseigne Monoprix domine dans les centres villes, relève de cette stratégie.

Pour Antoine Parison, analyste chez Bryan Garnier, «  Amazon cherche à cibler prioritairement les CSP+, les habitants des centres villes qui affectionnent les produits de qualité et utilisent déjà les services d’Amazon, donc potentiellement beaucoup de clients de Monoprix. Grâce à Monoprix, Amazon va agrandir son portefeuille d’abonnés à Amazon Prime Now (le service de livraison rapide par abonnement d’Amazon). »

Du côté du groupe Casino, endetté et fragile en bourse, on espère de cette alliance, conjuguée avec celle nouée avec l’anglais Ocado, leader de la livraison à J+3, un regain de vitalité, au risque de mettre le loup dans la bergerie et de sérieusement rogner les marges.

Le dernier kilomètre

Car livrer coute cher ! Si la révolution digitale a profondément transformé le fret maritime et l’optimisation des flux de conteneurs, la bataille de la logistique se gagne toujours dans le dernier kilomètre, le plus exigeant en organisation et en capital humain. La livraison par drones, annoncée par Amazon depuis cinq ans, reste un gadget, mais l’acteur qui remportera la bataille de la logistique urbaine risque fort de triompher de la révolution digitale. Pour Stéphane Toullieux, « Le client a le vote final. S’il adhère au concept d’une livraison rapide de produits de qualité, Monoprix aura effectivement gagné son pari. » La transition digitale impose donc aux enseignes de développer des services jusque-là absents de leur stratégie et de la logique «  grandes surfaces ».

Mais cette révolution en cache sans doute une autre : l’importance prise par le Big data, la captation des données utilisateurs et leur analyse. À ce jeu, Amazon est imbattable face à l’impréparation française. En mettant un premier pied dans le marché français, le géant américain compte faire jouer à plein son avance dans ce domaine : les données sont devenues le nerf de la guerre et conditionneront l’avenir de la grande distribution.

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