La confusion du législatif et de l’exécutif nous empoisonne

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Par Jacques Bichot Modifié le 6 décembre 2018 à 11h35
Poison

Édouard Philippe a annoncé : « nous n'appliquerons pas cette taxe », évoquant celle sur les carburants. Mais pourquoi utiliser ces termes ? Le Premier ministre aurait pu dire ne proposerait pas aux députés de rétablir dans le projet de loi de finances pour 2019 le passage relatif à l’augmentation des taxes en question qui avait été supprimé par le Sénat. Le choix des mots...

Dans son discours devant l’Assemblée nationale, le mercredi 5 décembre, le Premier Ministre a indiqué qu’il abandonnait le projet d’augmentation des taxes sur les carburants. Sage décision, mais examinons la formulation de son annonce : « nous n'appliquerons pas cette taxe ». Comment un gouvernement pourrait-il « appliquer » une disposition juridique qui n’existe pas ? Le Chef du gouvernement voulait dire qu'il ne proposerait pas aux députés de rétablir dans le projet de loi de finances pour 2019 le passage relatif à l’augmentation des taxes en question qui avait été supprimé par le Sénat. Pourquoi ne l’a-t-il pas dit de façon correcte ?

Boileau avait raison : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément ». La formulation inadéquate employée par Edouard Philippe provenait peut-être d’un membre de son cabinet ayant écrit ce passage de son intervention, mais ce n’est pas une excuse : il ne s’agissait pas d’inaugurer un massif de chrysanthèmes, mais de revenir sur un projet rejeté par une forte majorité des Français, et ayant occasionné des manifestations d’une rare gravité.

En fait, le langage employé par le PM découle d’une certaine conception des pouvoirs publics : le Chef de l’Etat décide en matière législative comme en d’autres domaines, donc ce qu’il avait décidé avait force de loi, de facto sinon de jure, avant même que le Législateur se soit prononcé. Existant dans le cerveau d’Emmanuel Macron et de son bras droit, la nouvelle taxe existait en France, le vote du Parlement n’était qu’une formalité. Donc, ne pas soumettre à l’Assemblée le texte litigieux, c’était renoncer à appliquer une disposition déjà existante !

Il ne s’agit pas ici de crier haro sur le baudet : nos dirigeants actuels ne font que se conformer à la confusion entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif qui date au moins de la quatrième République. Cette confusion conceptuelle n’en est pas moins regrettable. Le Législateur devrait établir des « lois de juste conduite », pour reprendre l’expression de Hayek dans son ouvrage Droit, législation et liberté. Et le gouvernement devrait gouverner, c’est-à-dire donner des ordres – y compris des ordres fiscaux, bien entendu – dans le respect des lois existantes. Nos pouvoirs publics légifèrent à tout propos et hors de propos ; la loi est devenue un instrument de gouvernement. Cette situation est de moins en moins vivable. Nous avons besoin d’une sixième République, édifiée sur des bases saines, à commencer par une claire distinction entre la loi et le commandement.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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