Les éoliennes de la discorde

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Par Michel Delapierre Modifié le 10 janvier 2020 à 12h54
Eoliennes Scandale Energie G20 Lettre Ouverte

Le 6 décembre 2019, la cour administrative de Nantes déboutait une nouvelle fois les opposants aux projets éoliens en mer. Le jugement concernait un recours visant à annuler la concession d’utilisation du domaine public maritime accordée par l’État à la société « Éoliennes en mer Iles d’Yeu et de Noirmoutier ». A quelques jours d’intervalles, Julien Aubert, député Les Républicains de la 5ème circonscription du Vaucluse, publiait un rapport critique sur la gestion étatique des projets éoliens et demandait un moratoire sur le financement de cette filière.

Ce n’était pas la première fois que la cour de Nantes rejetait une demande des associations environnementales, collectifs citoyens et entreprises de pêche opposés aux éoliennes maritimes mais cette fois, la pilule était plus difficile à avaler. En effet, le dérapage verbal de l’un des membres de la commission d’enquête chargée d’évaluer le recours avait mis à mal son impartialité et menaçait donc l’intégrité de toute la procédure. Ce dernier avait en effet, dans un email, qualifié les opposants au projet de « personnes sans scrupules et au QI qui n’est pas celui du géranium ». Une saillie suffisante à susciter l’émoi, dans le cadre d’une procédure judiciaire devant statuer sur le bien-fondé de la construction de 62 éoliennes en mers près des côtes de l’île d’Yeu et de Noirmoutier.

Pour Jean-Louis Butré, président de la Fédération Environnement Durable (FED), « l’enquêteur n’a pas été exclu et la Cour a estimé que ce n’était pas grave. Pour nous, c’est un déni de justice ». L’avocat des opposants, Maître Francis Monamy se dit stupéfait : « On ne peut être plus partial que l’a été la commission d’enquête. La cour de Nantes a considéré qu’il ne s’agissait que de « propos regrettables ». Je pense que nous sommes bien au-delà du regrettable. Il fallait annuler la concession pour rappeler fermement l’administration à ses obligations ». L’avocat a donc bon espoir de voir son pourvoi en Cassation aboutir.

En France, le sujet des éoliennes maritimes est une affaire sensible. Dans le cadre de la transition énergétique, l’État a décidé de soutenir massivement cette filière. Actuellement, seulemement 3 GW sont installés chaque année en Europe mais selon l’association WindEurope, l’éolien maritime pourrait représenter 30% de la demande européenne d’énergie en 2050 avec 450 GW installés. Rien que sur les côtes françaises, cela pourrait représenter 57 GW. Quand on sait qu’en France, il n’y a pour l’instant que 3500 MW d’éolien maritime actés, la marge de progression est gigantesque.

Selon le député Les Républicains de la 3ème circonscription de la Somme, Emmanuel Maquet, spécialiste de la question, « l’éolien va couter à l’État entre 70 et 90 milliards d’euros, dont 9 milliards ont déjà été dépensés et 80% de ces sommes sont déjà gagées ».

Pour favoriser le développement de ces projets, l’État a octroyé des subventions, facilité des autorisations et procédé à des simplifications administratives au premier rang desquelles, l’organisation des contentieux. En effet, si la plupart des projets éoliens en mer connaissent aujourd’hui des retards de mise en place, c’est en raison des recours déposés par les opposants. Tous les contentieux concernant les projets éoliens maritimes en France sont ainsi centralisés à la cour administrative d’appel de Nantes avec la suppression d’un niveau de juridiction, le tribunal administratif. Cette cour ne permet pas de procédure en appel. En cas de rejet, la seule possibilité offerte aux perdants est de porter leur recours devant le Conseil d’État qui statue en dernière instance.

Depuis une dizaine d’année, les opposants se battent contre tous les projets de parcs éoliens maritimes, à Saint-Nazaire, Saint-Brieuc, Courseulles, Fécamp, les îles d’Yeu-Noirmoutier et à Dieppe-Le Tréport. Ils ont au total déposé 18 recours. Ces recours concernent principalement les concessions d’occupation du domaine public maritime, les autorisations d’exploiter, et les dérogations à la destruction des espèces protégées. Sur les 18 recours, 8 sont toujours en cours de jugement. Les procédures devraient donc s’étaler encore sur plusieurs années.

Jean-Louis Butré de la FED précise qu’il « ne conteste pas la volonté de la France de développer une industrie performante dans l’éolien. Mais ils (l’État et les promoteurs) veulent passer en force quelle que soit la contestation ».

Leurs critiques sont également vives concernant les coûts associés au développement de la filière.

Le député Emmanuel Maquet estime que « les sommes injectées dans la filière sont colossales par rapport au gain énergétique attendu en contrepartie. On ne peut pas continuer comme cela, notamment sur les tarifs de rachat de l’électricité produite. Sur le projet du Tréport par exemple, on prévoit un cout du mégawatt à 131 euros, c’est entre 3 et 4 fois le prix du marché. »

Fabien Bouglé, auteur de Eoliennes, la face noire de la transition énergétique, dresse un constat sévère : « il y a une volonté déterminée d’imposer coute que coute l’éolien malgré les défauts majeurs de cette filière, en particulier son cout pour la collectivité, via les systèmes de subventions publiques attribuées aux promoteurs de l’éolien. »

Pour les pêcheurs artisans, le sujet est une question de survie. En effet, sur Dieppe-Le Tréport par exemple, la construction des éoliennes est prévue au milieu de leur zone de pêche, sur une surface de 110 km2, l’équivalent de la superficie de la ville de Paris. Olivier Becquet porte-parole du collectif Pêcheurs Artisans, explique : « un port comme Le Tréport, c’est 200 marins, il est fréquenté par 75 navires de pêche sur l’année et représente un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros. Lorsqu’on nous a présenté le projet, nous avons tout de suite compris que s’ils mettaient les éoliennes là, nous signions notre arrêt de mort. Uniquement avec le chantier nous serions obligés d’arrêter de travailler pendant 2 ou 3 ans. »

Le problème est identique du côté de Saint-Brieuc comme l’explique Katherine Poujol présidente de l’association « Gardez les Caps » : « La pêche en baie de Saint-Brieuc, c’est 300 bateaux et plus de 1000 emplois directs. L’Europe donne des subventions à la pêche industrielle pendant que l’industrie éolienne chasse les pêcheurs artisans de leur zone alors qu’il s’agit de la pêche la plus respectueuse de la ressource et la mieux gérée qui soit. Il y a des quotas, les contrôles de l’Ifremer, les comités des pêches. Ce sont des petits bateaux, c’est une pêche côtière et on veut mettre des éoliennes au cœur de leur zone, c’est fou. »

Face à ces oppositions, l’État a décidé de nommer un médiateur chargé de renouer le dialogue entre les promoteurs des projets et les comités des pêches régionaux.

Entre 2017 et 2018, les pêcheurs concernés par les différents projets éoliens sur les côtes françaises ont décidé de déposer des plaintes auprès de la Commission européenne contre les aides publiques à ces projets.

Afin de donner une résonance politique à leur démarche, le Collectif des Pêcheurs Artisans a également décidé au mois de septembre 2019, de déposer une pétition au Parlement européen.

La commission pêche du Parlement s’est saisie du sujet et a décidé d’examiner l’impact de l’éolien en mer sur l’environnement et sur la pêche.

Enfin, au mois de novembre 2019, des entreprises de pêche ont déposé un recours devant le Tribunal de la Cour de justice de l’Union européenne contestant les aides octroyées par la France à la production éolienne en mer.

Selon maître Morvan Le Berre, avocat des Pêcheurs Artisans à Bruxelles, « en France le plan de développement de l’éolien offshore annonce 30 projets supplémentaires sur la façade atlantique et en Méditerranée, ces affaires vont donc durer. »

Pour le député Maquet, « l’Europe doit se saisir du dossier à la fois sur les restrictions des zones de pêche induites par ces projets mais également sur les tarifs de rachat de l’électricité produit, ils doivent être fixés avant que les concessions soient accordées. »

Olivier Bequet du collectif Pêcheurs Artisans ne voit aucune conciliation possible : « en l’état, ces projets ne sont pas acceptables, la seule solution envisageable est leur abandon. »

Katherine Poujol de « Gardez les Caps » conclut en se référant au rapport du député Aubert : « pas d’éoliennes dans les zones de pêches artisanales et une distance d’éloignement minimale de 50 km en mer. » A Saint-Nazaire, les travaux du parc éolien viennent de démarrer. La mise en service est prévue pour 2022 à moins que de nouveaux recours viennent une nouvelle fois retarder la mise en chantier.

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