Les marchandises élémentaires sont des services

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Par Dominique Michaut Publié le 26 janvier 2017 à 5h00
Economie Theorie Marchandises Primaires Services
75 %Plus de 75 % des Français travaillent dans le sectaire tertiaire, celui des services.

Dans tous les pays, les entreprises, les institutions publiques et une grande variété d’associations privées achètent deux services.

C’est d’autant plus remarquable que ces deux marchandises sont les seules sources de revenus proprement dits. Bien que l’actuel état de l’art de la statistique économique qualifie de « primaires » ces revenus, en vérité seuls ces gains en contrepartie permettent de dispenser des allocations récurrentes sans avoir recours à toujours plus d’endettement.

Revenu proprement dit = gain en contrepartie, vous avez bien lu. L’ignorance réelle ou feinte de cette incontournable réalité économique va de pair avec l’inattention à l’existence de marchandises élémentaires. Les conceptions économiques entachées par ces insuffisances participent à un empoisonnement collectif. D’où les faux-semblants dont l’un des plus tragiques consiste à nommer « revenu universel » une allocation, et par conséquent un transfert que la justesse et la justice exigent de ne pas travestir dans ce qu’il n’est de toute façon pas.

Le travail mal traité

Allons au fond et osons voir que le legs de l’histoire de la pensée économique savante est encore plus malpropre sur le travail que sur la valeur. Dans La richesse des nations et à propos des choses qui se vendent, Adam Smith plaide pour la distinction entre valeur d’usage, ou utilité, et valeur d’échange, ou prix. C’est afin de prévenir l’erreur mercantiliste qui consiste à voir systématiquement dans les valeurs d’échange économique, autrement dit dans les chertés, une conséquence d’une plus ou moins grande utilité ou rareté. D’innombrables faits confirment, ne pas en tenir compte est lourdement fautif.

La prévention de cette erreur ne commence toutefois à être assez solidement établie que confortée par une autre distinction, elle aussi on ne peut plus objective et nécessaire. Le travail en tant que dépense d’énergie humaine est un fait distinct du travail en tant qu’ouvrage produit au moyen d’une telle dépense. Même chez l’autoentrepreneur, ce que l’employeur achète à l’employé est non pas la dépense d’énergie de l’employé, mais ce que ce dernier produit au moyen de cette dépense appliquée aux outils dont l’employeur équipe le poste de travail.

Les deux sortes de service marchand

La distinction entre le travail-dépense et le travail-ouvrage déconstruit le préjugé ancestral de la primauté des biens, lorsque cette distinction est aussi complètement déclinée que la réalité économique l’exige. Précisons. L’accumulation de biens qui ont une valeur d’échange marchand serait le prototype de la richesse économique. Les services qui ont eux aussi une valeur d’échange ne seraient donc que complémentaires. Il n’en existe pas moins deux sortes de services marchands dont une seule est de la marchandise élémentaire.

Le travail-ouvrage est toujours un service. Les ouvriers livrent à leurs employeurs des services. Les travailleurs de toute qualification qui ont un emploi sont rémunérés en échange des services qu’ils fournissent. Seuls des individus procurent cette fourniture. L’autre sorte de service marchand – à laquelle appartient, par exemple, un contrat d’assurance – n’est délivrée que par des entreprises. C’est cette autre sorte qui est une commercialisation complémentaire à celle de biens.

Le statut économique du médecin et de l’infirmier

La détection de services marchands élémentaires ne soulève aucune difficulté, une fois franchie la barrière des préjugés qui en détournent. Supposons que vous et moi soyons hélas en état de recourir actuellement aux services d’un médecin et d’un infirmier. Même si c’est l’exercice en leurs cabinets respectifs de ces deux professionnels des soins de santé que nous utilisons, ces cabinets sont des entreprises. Le médecin et l’infirmier livrent à leurs entreprises les soins qu’ils prodiguent aux clients de leur cabinet. Ces livraisons sont de la marchandise élémentaire achetée par le cabinet et vendue par ce dernier en tant que marchandise composée dont le prix de revient est enchéri par des frais de structure, dont des amortissements d’équipement et dont le profit qui rémunère le capital qui assure le financement permanent de l’entreprise. Le fait que l’employeur du médecin et de l’infirmier soit un hôpital public ne change rien à ces réalités élémentaires.

Nombreux restent, à ma connaissance, les professionnels de soins de santé qui s’offusquent à l’idée qu’il y a entre eux et leurs employeurs, quels qu’ils soient, un rapport marchand, comme il y en a de fait un rapport marchand entre ces employeurs et leurs clientèles. Cela ne signifie pourtant pas du tout qu’il n’y a qu’un tel rapport. De toute évidence, le statut économique de ces professionnels ne leur est pas propre, tout comme leur aspiration à ce que leurs responsabilités extra-économiques soient pleinement reconnues. Partout, le service du travail-ouvrage est primordial. Partout, donc pas seulement en économie, partout donc en économie aussi. Intégrons enfin tout à fait le constat de la primauté causale du travail-ouvrage en science économique de base. Au fur et à mesure que cela deviendra de mise en salles de cours, nous verrons qu’assez vite bien des qualités de service sortiront de la trappe où elles végètent ou bien se dégradent.

Les deux sortes de marchandise élémentaire

Les esprits épris de vertiges qui dispensent de théoriser rigoureusement voient monter un monde où le travail-ouvrage qui procure de l’emploi rémunéré aux individus qui en fournissent deviendra inéluctablement de plus en plus rare. Ils biaisent leur technologie proprement dite, à savoir leurs considérations (–logie) sur l’évolution des techniques, afin que ces considérations se prêtent à la négligence d’une réalité indémodable. La vente de deux sortes de marchandise élémentaire alimente le système économique et l’ensemble de la vie sociale. Tout autant pour l’une de ces sortes que pour l’autre, rien d’autre que de l’imbécillité politicienne et technocratique n’est à même de les transformer en peau de chagrin.

L’une de ces sortes est, je le répète, le travail-ouvrage qui procure de l’emploi rémunéré aux individus qui le fournissent. Tant qu’il restera davantage d’adultes résolus à se prendre en charge plutôt qu’à s’abandonner à des allocations publiques, la création d’emplois par eux et pour leurs semblables ira bon train. C’est toutefois à condition que l’achat de l’autre sorte de marchandise élémentaire ne soit pas monopolisé ou manipulé à des fins confiscatoires. Cette autre sorte est, en effet, le placement par les particuliers et les associations non commerciales à titre marchand. Ce titre n’est évidemment réel que pour du placement rémunéré par des versements périodiques d’intérêt ou de dividendes. Si, pour quelque raison que ce soit, ces rémunérations deviennent négatives ou tombent en désuétude, entraînant le dépérissement non seulement du capitalisme de rendement mais aussi du capitalisme de proximité, alors oui il faudra constater que la liberté de création d’emplois est en réalité devenue plus verbale qu’effective.

Le bon fonctionnement des marchés élémentaires est primordial

Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, le marché du travail et le marché des placements des particuliers et de leurs associations non commerciales sont élémentaires (initiaux peut-on aussi dire). Une politique économique ne vise vraiment le plein-emploi et l’augmentation du pouvoir d’achat du revenu par habitant que si elle repose sur une théorisation exacte d’une part de la rémunération des placements en financement permanent d’entreprise (capital), d’autre part de la rémunération du travail, enfin de la rémunération des placements en livrets et autres crédits.

Pour aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’est pas sûr du tout que ce qu’il y a de plus exact et important sur ces trois rémunérations soit couramment enseigné et volontairement pratiqué. Les traitements sociaux du chômage, les modalités d’administration des taux d’intérêt des livrets d’épargne, les imbroglios d’une fiscalité qui ne sait plus où donner de la tête sont autant d’aveux de recours à des expédients. Les théorisations sophistiquées qui concluent à la double inéluctabilité du manque d’emplois et de bas salaires en peau de chagrin ne sont pas plus fiables que leurs répliques de coin de comptoir électoral et syndical. Dans ces conditions, on ne peut que s’attendre à ce que les prétentions curatives de l’économie politique objective soient accueillies avec beaucoup de scepticisme. Cette médecine n’en reste pas moins à évaluer avec rigueur.

Pour réfléchir plus avant à ces questions

Propositions 2.4 à 2.11

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).

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