Dette : à chacun son scénario à la recherche de bonnes excuses

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Par Jacques Martineau Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Les dirigeants les plus influents de l'Union tiennent à apparaître devant les médias et aux yeux de leur opinion publique, comme maîtrisant totalement la situation économique et financière. Ils souhaitent montrer qu'ils connaissent les origines de cette crise. Ils se flattent d'en interpréter les causes et d'en mesurer les multiples conséquences en établissant des scénarios...

À la recherche de bonnes excuses

En fonction des circonstances et de leur intérêt, les politiques n'hésitent pas à participer à la mise en scène de scénarios, en minimisant ou en accentuant l'aspect dramatique du problème. La Grèce, l'Espagne, l'Irlande, le Portugal et l'Italie sont aux abois. Mieux, le Royaume-Uni et la République Tchèque ont quitté le navire. Quant à la France, elle est en grande difficulté.

Sous l'influence de l'Allemagne, le regard est tourné exclusivement vers la gestion de la dette et du déficit. Le recul de l'activité et l'augmentation du chômage, presque partout dans la zone euro, sont présentés comme une conséquence et non comme une cause. Le besoin de relance pour alimenter un minimum de croissance est considéré comme une source de déficit supplémentaire et non comme un investissement. Avec plus ou moins d'habileté, les chefs d'État et de gouvernement, conditionnés par cette politique imposée de rigueur et d'austérité, usent de multiples interprétations sur les causes de la dette et du déficit et sur les solutions. Cela leur permet de créer un effet retardateur vis-à-vis de leurs opinions publiques.

C'est de la faute du passé

Tout d'abord on invoque la faute du passé, chacun ayant vécu au-dessus de ses moyens. La France est considérée sur ce sujet comme le plus mauvais élève. C'est devenu un slogan. Les éditorialistes emboîtent le pas. Ils insistent en expliquant à l'opinion publique que la France a, depuis plus de 30 ans, eu plus de dépenses que de recettes ! Perturbés, les citoyens vont devoir accepter des mesures de rigueur et d'austérité. L'opinion s'inquiète, elle prend peur et se culpabilise. Le message passe. Le pouvoir a les mains libres pour annoncer des réductions de dépenses publiques, pour proposer des augmentations de taxes et d'impôts, pour renforcer ses ressources et pallier ses manques.

Une politique européenne défaillante

Autre argument évoqué, de nombreux experts dénoncent la défaillance d'une politique européenne inconsistante. Il a fallu 36 ans pour signer l'acte unique européen à 12 et plus de 20 ans depuis Maastricht pour rester à 27 et 17 dans une totale confusion. C'est du montage d'une véritable gouvernance politique et stratégique dont l'Union européenne avait besoin. Cette gouvernance ne devait pas avoir un caractère de supranationalité, mais d'une alliance communautaire, liée par une convergence d'intérêts communs au service des différentes nations de l'Union. Les chantiers ne manquaient pas : au plan, financier et fiscal, économique et industriel, social et sanitaire, de l'environnement et du développement durable, des domaines privilégiés de la recherche, de l'innovation et de celui des grands travaux. Cela n'a pas été le cas. L'UE en a fait pratiquement l'impasse totale. Le chacun pour soi a toujours prévalu. Il est devenu la règle du jeu.

La mondialisation, responsable de tous les maux

La crise de la dette et du déficit peut être interprétée comme une conséquence de la mondialisation. Les pays européens étaient plutôt mal préparés à une évolution grandissante, inattendue et rapide des marchés économiques. De son côté, l'Union et la Commission ne l'étaient pas du tout, bien qu'elles soient complices de cette atrophie qui s'est développée dans la plus grande confusion et injustice fiscale et sociale. La mondialisation est devenue la règle. Elle est aussi responsable de tous les maux. Les pays émergents qui n'ont plus d'émergents que le qualificatif dirigent le commerce international. Dans la zone euro, en regardant de plus près, il ne faut pas oublier que l'essentiel du commerce extérieur se fait entre partenaires. À ce jeu, la France, depuis des années, est largement déficitaire avec de nombreux pays de la zone euro comme l'Allemagne, la Belgique et l'Italie, exception faite du Royaume-Uni, hors zone euro ! Une très faible partie du commerce européen se fait hors de l'Union. Les plans de rigueur et d'austérité sont en train de se multiplier. Avec le recul de la croissance, voire une période de récession en référence aux prévisions de l'OCDE, ils vont contribuer à diminuer encore plus l'activité économique et les ressources fiscales correspondantes. Malgré quelques pseudo plans de relance compensateurs, financés par de la dette supplémentaire, c'est le début d'une spirale infernale ! L'Union européenne qui s'est développée autour du seul concept de libre-échange concurrentiel sans réciprocité et sans limites favorise la libre concurrence planétaire au-delà d'un espace européen hétéroclite sans frontière ouvert à tous les vents...

La guerre des marchés et la spéculation

La guerre des marchés qui sévit avec ses sous-entendus. La guerre des marchés avec la complicité des agences de notation est totalement responsable de la situation actuelle. En serait-elle la cause principale ? En termes d'analyse, il est préférable de se garder de conclusions hâtives et de confondre la cause et la conséquence d'un problème. Cette affirmation, qui revient en boucle, constitue une quatrième interprétation de la crise de la dette et du déficit. La presse, les médias ont semé sans nuance cette affirmation dans tous les esprits. Les faits et les arguments pour appuyer cette interprétation foisonnent. Les bourses sont sous l'influence des fonds souverains et des spéculateurs, protégés dans les nombreux paradis fiscaux. Cette guerre des marchés n'est qu'un prétexte que les politiques utilisent en période de crise, lorsqu'ils sont en quête d'arguments. Les agences de notations influent aussi sur leurs points de vue que ces mêmes politiques ont tendance à relativiser dans leurs appréciations, surtout lorsqu'elles divergent. Mais ils ne peuvent pas se contenter d'observer et de rester passifs.

L'Euro fort et ses contraintes

C'est un euro fort, soutenu par le gouvernement allemand et quelques complices, et ses contraintes qui sont à l'origine de la crise de la dette et du déficit. Cette cinquième interprétation recueille de plus en plus d'adeptes. Alors qu'une monnaie est un outil et que sa mauvaise utilisation peut avoir des conséquences graves, de plus en plus, l'euro est devenu une fin en soi. En 10 ans, depuis son introduction en 2002, la parité de l'euro par rapport au dollar US a varié de plus de 50%, au plus haut niveau. En France, beaucoup d'industries lourdes, en particulier la métallurgie, en ont pâtit. Le coût du travail devenu trop élevé a entraîné la fermeture d'usines et des délocalisations. Des secteurs entiers de produits manufacturés ont disparu comme celui du textile. Les exportations de produits plus standards ont beaucoup souffert de cette augmentation des prix liée à la valeur de l'euro par rapport aux autres monnaies. Les conséquences se mesurent en termes de baisse d'activité, de pertes de savoir-faire et de destructions d'emplois, diminuant les ressources de l'État et accroissant de ce fait sa dette. À l'inverse, d'autres experts, partisans d'un euro fort, expliquent que sa parité a été une chance pour l'approvisionnement en matières premières, en pétrole et en gaz. Ils affirment que cette parité a permis de mieux résister à la crise et aux attaques du marché, de limiter l'inflation et de contrôler la dette. Ce dernier point de vue est de plus en plus contestable depuis le début de la crise avec l'augmentation vertigineuse de la dette et du chômage dans une grande partie des pays de l'UE et de la zone euro.

En conclusion : C'est le « chacun pour soi » qui prévaut

Toutes les causes évoquées sont liées les unes aux autres. Les situations financières de l'ensemble des pays diffèrent comme leur gouvernance politique, leur modèle de société, leur démographie, leur culture et leur histoire. C'est ce qui va créer la première fracture sérieuse non contestable du système euro. Au-delà de son taux trop élevé par rapport au dollar sur le marché des changes, la disparité entre les pays du Nord de la zone et ceux du Sud n'est plus supportable, comme cela vient d'être évoqué. La disparité des taux d'emprunt sur les marchés correspond à une mort lente de la monnaie unique. Plus vous êtes en difficulté, plus vous êtes pénalisé. Le ridicule ne tue pas. Les agences de notation y contribuent. L'Italie et l'Espagne sont notées respectivement 7 et 8 crans en dessous de la France. On a de quoi être très sceptique devant le montant colossal des emprunts que les pays de l'Union et de la zone vont être amenés à faire en 2013. Encore une fois, c'est un « chacun pour soi », camouflé sous couvert de stabilisation de la dette et de réduction des déficits qui prévaut.

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Après un long parcours scientifique, en France et outre-Atlantique, Jacques Martineau occupe de multiples responsabilités opérationnelles au CEA/DAM. Il devient DRH dans un grand groupe informatique pendant 3 ans, avant de prendre ensuite la tête d'un organisme important de rapprochement recherche-entreprise en liaison avec le CNRS, le CEA et des grands groupes du secteur privé. Fondateur du Club Espace 21, il s'est intéressé aux problèmes de l'emploi avec différents entrepreneurs, industriels, syndicalistes et hommes politiques au plus haut niveau sur la libération de l'accès à l'activité pour tous. Il reçoit les insignes de chevalier de l'Ordre National du Mérite et pour l'ensemble de sa carrière, le ministère de la recherche le fera chevalier de la Légion d'Honneur.