Femmes, enfants, retraites : le bon sens loin des pouvoirs publics

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Par Jacques Bichot Publié le 2 décembre 2019 à 8h24
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18%Selon l'IPS, la réforme des retraites pourrait faire perdre plus de 18% de pension à certaines mères de famille.

L’Institut de la protection sociale (IPS) a utilement attiré l’attention sur le problème posé par les majorations de pension décernées aux femmes en raison des enfants élevés. Au lieu de proposer une réforme équitable et intelligente, le Haut-Commissariat à la réforme des retraites a en effet préconisé des majorations de pension proportionnelles aux droits acquis par les cotisations, ce qui pénalise inévitablement les femmes ayant des revenus professionnels modestes par rapport à celles qui ont « de bonnes situations ». Comment accepter qu’une femme cadre reçoive, parce qu’elle a eu puis élevé un enfant, deux ou trois fois plus qu’une mère ouvrière ou employée ?

Le vice fondamental du projet de réforme

L’IPS n’est cependant pas allé assez loin dans l’analyse. Le vice fondamental du projet Delevoye est de rester attaché à la délivrance de points au prorata des cotisations versées en faveur des retraités, alors que ces cotisations ne servent en aucune manière à préparer les retraites de ceux et celles qui les versent, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de leur employeur. Citons une fois de plus l’irréfutable théorème énoncé il y près d’un demi-siècle par Alfred Sauvy : « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisationss mais par nos enfants ».

Dès lors que le législateur aura confirmé et renforcé le lien qui existe actuellement entre les cotisations versées pour les retraités et les droits à pension, il n’y aura plus d’espoir de récompense adéquate, ou plus exactement de juste retour sur investissement, pour celles et ceux qui, en concevant des enfants, en les mettant au monde, en les éduquant et en les entretenant durant une vingtaine d’années, préparent réellement les futures pensions. La formule proposée par Delevoye pour remplacer les actuelles bonifications de pension liées aux enfants ne fait que remplacer un bricolage par un autre. Comme on se rend quand même un peu compte en haut lieu qu’en répartition prévaut une loi aussi certaine que celle de la pesanteur, à savoir « pas d’enfants, pas de retraites », on essaye de donner un petit quelque chose à celles qui ne se consacrent pas seulement à leur travail, mais qui mettent au monde des enfants.

Nos hommes politiques étant pour la plupart dépourvus de culture économique, incapables de comprendre les relations de cause à effet, lorsqu’une légère faille se produit dans le bouclier d’idées convenues qui les isole de la réalité ils font un petit quelque chose, le plus souvent maladroit, bécasson, injuste : c’est ce qui est arrivé pour la prise en compte des enfants dans le calcul des droits à pension. Les politiciens se rendent vaguement compte que la démographie importe pour l’avenir des retraites, alors ils bricolent un petit « avantage » pour les parents, ou pour les mères, mais il ne faut pas compter y trouver la moindre logique : c’est comme ces cadeaux de Noël que l’on donne parce qu’il faut bien respecter la tradition, mais sans réfléchir sérieusement à ce qui conviendrait vraiment au récipiendaire.

La solution existe !

Et pourtant, la solution est simple ! Simple et radicale : nous devons absolument couper le lien entre les cotisations versées au profit des retraités et l’attribution des droits à pension future, et le remplacer par une attribution de droits à pension proportionnels à l’investissement réalisé dans la jeunesse.

Les cotisations vieillesse actuelles représentent le remboursement de notre dette envers nos aînés, qui nous ont donné la vie et qui ont fait de nous des personnes capables d’exercer une activité productrice. Naturellement, ils ont fait cela plus ou moins bien, car la perfection n’est pas de ce monde, mais enfin ils l’ont fait, et nous payons notre dette à leur égard, ou, si l’on préfère une autre formulation, plus juste économiquement, nous versons un dividende à la génération qui a investi dans notre capital humain.

Tant que nos présidents, ministres, parlementaires, et hauts fonctionnaires en charge de la sécurité sociale n’auront pas compris cela, qui est tout simplement la transcription juridique du théorème de Sauvy, les parents seront exploités au profit de ce que Michel Godet appelle les DINK (Double Income, No Kid), les couples qui ont deux revenus professionnels et pas d’enfants. En revanche, si le législateur prend conscience de la réalité économique et en tire les conséquences, alors avoir des enfants et les élever de son mieux ne débouchera plus sur la paupérisation et la perception d’infamantes aumônes – les 5 % de majoration par enfant dont l’IPS a raison de faire la critique – mais sur un renouveau démographique très bénéfique à notre pays.

Ajoutons un point : pour les entreprises, la grossesse et la maternité posent des problèmes. Les futures mères ont conscience de ce fait, et dans bien des cas leur carrière s’en ressent, ou elles assument des « doubles journées » écrasantes. Cela n’incite guère à avoir des enfants. Les entreprises et administrations qui font tout pour que les maternités y soient les bienvenues doivent être soutenues : elles investissent dans la jeunesse et méritent, elles aussi, un dividende pour cet investissement. Notre démographie, et donc l’avenir de nos retraites, dépend pour une part de la mise en place d’une dotation accordée par une institution adéquate, par exemple la CNAF, aux entreprises qui organisent bien la conciliation (le plus souvent coûteuse) entre la vie professionnelle et la maternité.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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