Smart et le syndicalisme censitaire

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Par Eric Verhaeghe Publié le 17 décembre 2015 à 9h54
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12%Les salariés de Smart ont accepté une augmentation du temps de travail de 12%.

Chez Smart, on a la volonté tenace. Après un referendum où une majorité de salariés avait voté pour le retour aux 39 heures payées 37, en septembre, la direction a habilement contré l’opposition que les syndicats majoritaires avaient formée contre ce scrutin, en proposant des avenants individuels au contrat de travail, que 90% des salariés ont accepté.

Du coup, c’est la conception censitaire du syndicalisme qui est en cause.

Le syndicalisme, une affaire d’élite?

L’affaire Smart a révélé une dimension essentielle du syndicalisme français: les grandes confédérations qui ont la faculté de désigner des délégués syndicaux en entreprise ne sont pas liées par une forte adhésion des salariés. Elles peuvent vivre sur leur quant-à-soi, sans élargir leur base. C’est la conception élitiste du syndicalisme à la française: le syndicat ne représente pas les salariés, il montre la voie, il porte la lumière vers un au-delà prolétarien.

Fortes de ces constats, les sections syndicales majoritaires de Smart n’ont guère eu de scrupule à barrer la voie au dispositif proposé par referendum. Dans l’esprit des confédérations, leur rôle consiste largement à expliquer aux salariés quel est leur intérêt, sans forcément respecter le résultat des votes.

Le syndicalisme censitaire

En ce sens, il existe bien un syndicalisme censitaire en France, qui consiste à confisquer la voix des salariés lorsque la doctrine des confédérations est en jeu. C’est même un mode de fonctionnement habituel: le syndicat sait mieux que le salarié ce qui est bon pour le salarié, et s’estime en droit de lui dicter la conduite à tenir et, au besoin, de le contraindre à respecter des positions contraires à ses choix libres.

C’est pourquoi on peut parler de syndicalisme censitaire. Le dialogue social tel qu’il est conçu dans le droit français reconnaît en effet des droits spécifiques aux syndicalistes, à ceux qui sont investis d’un mandat couvert par la réglementation. Le syndicaliste est tout puissant pour négocier avec les patrons, sans en référer, s’il le souhaite (rien ne l’y contraint) à sa base pour savoir si ces propositions recueillent le soutien des salariés.

La fameuse démocratie sociale dont parle le gouvernement, est une démocratie censitaire et non universelle. L’affaire Smart l’a montré comme avant elle l’affaire Sephora. Seule une minorité y a un droit d’expression.

Le syndicalisme et les salariés

Combien de salariés, en France, sont régulièrement agacés par la façon dont se passent les négociations en entreprise? Récemment encore, une salariée me parlait de la façon dont son entreprise avait opéré ses choix en matière d’intéressement et d’avantages annexes. Les décisions se sont prises entre la direction et les syndicalistes sans que les salariés ne soient consultés. Pourtant, un certain nombre d’entre eux aimeraient avoir une influence directe sur un grand nombre de sujets, et pas seulement sur les cadeaux de fin d’année ou les lieux de vacances choisis par le CE.

Pourquoi réserver la discussion de ces sujets aux seuls syndiqués? Et pourquoi confier aux syndicats le monopole des négociations?

Incontestablement, la forme censitaire du dialogue social ne correspond plus au besoin d’expression directe des salariés, que soit dans l’entreprise ou hors de l’entreprise.

Quand le syndicalisme met les salariés en risque

Dans le cas de Smart, ces dysfonctionnements propres au dialogue social français posent un problème majeur pour les salariés.

Que les syndicats s’opposent à l’accord que l’entreprise leur a soumis après avoir recueilli une majorité à un referendum, augmentant la durée du travail en échange d’une promesse de maintien de l’emploi, est une chose. Ils montrent ainsi clairement la rivalité qui existe entre l’expression directe des salariés et leur stratégie d’appareil. Cette distorsion peut être légitime. Elle a en tout cas permis de bloquer le scrutin et ses effets.

En revanche, que les syndicats désignent à cette occasion, aux employeurs, qui sont les salariés récalcitrants sans protection en est une autre. En forçant la direction à procéder par avenants individuels au contrat de travail, la direction a pu démasquer les opposants qu’une action syndicale aurait permis de cacher.

10% seulement des salariés ont refusé de modifier leur contrat de travail comme le proposait l’employeur. Que faire de ceux désormais qui refusent l’évolution de l’entreprise? Leur sort est forcément menacé, la direction connaît forcément leur identité aujourd’hui. Le refus des syndicats de négocier l’accord a placé les salariés qui le refusaient dans une position extrêmement compliquée.

Le syndicalisme face aux mêmes tourments que les politiques

On le voit, à travers cette affaire, c’est la contestation sourde des syndicats par les salariés qui est en jeu et les dangers d’une stratégie où les syndicalistes protégés profitent de leur protection pour prendre des décisions avec un impact fort sur le reste de l’entreprise. En politique, les citoyens se plaignent de l’inutilité de leur vote, qui est foulé aux pieds par les magouilles et autres plaisirs. Dans le monde syndical, la désillusion est la même.

Le recours au referendum constitue, de ce point de vue, une arme redoutable entre les mains des employeurs. Celui de Smart l’illustre: il permet de mettre à nu la distance qui sépare les salariés et les syndicats internes. Jusqu’à rendre intenable, à temre, la position des syndicats.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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