Comment gouverner la France ?

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Par Jacques Bichot Publié le 27 août 2014 à 6h20

La longévité d'un ministre est une condition importante de son efficacité. Il est donc raisonnable d'avoir nommé autour de Manuel Valls une équipe différant peu de la précédente, le seul changement notable étant le remplacement des trois ministres "rebelles". La raison valable pour procéder à un grand changement aurait été la constitution d'un gouvernement d'union nationale : dans la conjoncture difficile que nous traversons (ou dans laquelle nous nous enfonçons) les Français auraient été heureux de constater que l'intérêt national peut prévaloir sur les querelles partisanes. Un gouvernement réunissant la droite du PS, l'UDI et l'UMP aurait eu du sens – mais il aurait fallu prévoir à l'avance une solution de ce type pour ne pas passer des semaines en tractations pour composer le nouveau cabinet. L'occasion n'a pas été saisie, n'épiloguons pas, demandons-nous plutôt ce que peut faire ce gouvernement de socialistes relativement modérés.

La réponse est : hélas, pas des merveilles. Comme une bonne partie de la droite, cette équipe ne dispose ni des compétences ni de l'audace nécessaires pour engager de grandes réformes. Prenons la protection sociale, dont le budget dépasse largement celui de l'État : si sa gouvernance n'est pas radicalement modifiée, nous ne rétablirons pas les finances publiques. Mais pour ce faire il faut comprendre ce qui ne va pas dans notre État providence. Arnaud Robinet et moi-même l'avons expliqué dans un livre paru l'an dernier(1) : c'est la confusion des rôles du législateur et des gestionnaires, et la conception erronée des relations entre branches.

• Si le législateur se charge de définir les budgets, les cotisations, et le détail des prestations, les directeurs de caisse ne sont plus que des exécutants, et des exécutants dont le Parlement et le Gouvernement peuvent difficilement critiquer la gestion, puisque ce sont eux qui l'ont précisée dans tous ses détails. Aux pouvoirs publics de fixer les principes à respecter, en particulier l'équilibre budgétaire ; aux gestionnaires de chercher le meilleur rapport qualité/prix. Et les ressources de la protection sociale doivent lui être propres : il faut en finir avec l'affectation de certains impôts ou fractions d'impôts à telle ou telle branche, et au traficotage des cotisations par le législateur, qui s'en sert pour subventionner tel ou tel comportement des employeurs. Les cotisations sont le prix à payer pour les services de sécurité sociale, les impôts d'État le prix à payer pour les services de l'État : chacun chez soi !

Les branches sont mal découpées et mal articulées entre elles. Un seul exemple : l'assurance maladie est pour près de moitié une prestation vieillesse, comme les pensions, les retraités dépensant trois fois plus que les actifs tout en cotisant trois fois moins. Il serait donc logique que les cotisations vieillesse couvrent les dépenses de santé des retraités en même temps leurs pensions. Quant à la dépendance (celle du grand âge) elle relève à l'évidence de la branche vieillesse : cessons de rêver à une quatrième branche ! Enfin, les droits à pension n'ont aucune raison d'être calculés au prorata des cotisations vieillesse versées, qui ne préparent en rien les pensions futures : on a confondu la répartition avec la capitalisation, c'est la cause principale de nos malheurs avec la branche vieillesse.

Les collectivités territoriales posent, mutatis mutandis, un problème analogue à la protection sociale : elles dépendent trop des subventions de l'État. Là encore, la bonne gestion voudrait que les services rendus par ces collectivités soient entièrement financés par leurs prélèvements fiscaux, de manière à ce que les élus soient vraiment responsables du rapport qualité/prix de leurs services.

Bref, il faudrait que le nouveau Gouvernement s'attèle à proposer au Parlement des réformes de fond, pas des bricolages du genre CICE et pacte de responsabilité. Qu'il troque ce pacte ridicule contre une réduction rapide et profonde des contraintes inutiles qui pèsent sur les entreprises, en assumant le fait que quelques milliers de victimes d'abus de pouvoir patronal est un malheur moins grand que deux millions de personnes ne trouvant pas d'employeur. Il pourrait d'ailleurs en finir facilement avec les tentations de faire joujou avec les cotisations patronales en les supprimant au profit des cotisations salariales : cela peut se faire sans toucher ni au coût du travail, ni au salaire net, ni aux ressources des organismes sociaux ; c'est facile et ça peut rapporter gros.

Le bon sens et l'imagination, ou plus exactement la hauteur de vue nécessaire pour ne pas gouverner le nez dans le guidon, tels sont les cadeaux que nous demandons aux fées pour le Gouvernement Valls II. Certes, les fées se font rares par les temps qui courent ; mais sait-on jamais ?

1) La mort de l'état providence ; vive les assurances sociales. Les Belles-lettres, 2013.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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