Taxe d’habitation et impôt sur le revenu : pas de mélange des genres s’il vous plait

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Par Jacques Bichot Publié le 17 février 2014 à 6h30

La "remise à plat" de la fiscalité pourrait être une bonne chose si elle consistait à clarifier et simplifier un système devenu illisible. Mais encore faudrait-il avoir des idées directrices claires, ce que l'on pourrait appeler une "philosophie fiscale". S'il s'agit simplement de trouver quelques petites astuces pour prélever davantage sans vision d'ensemble ni souci des conséquences sur la croissance, l'emploi et le bien-être de nos concitoyens, l'intérêt est nul, pour ne pas dire négatif.

Soit par exemple l'idée qui semble avoir été mise à l'étude de faire de la taxe d'habitation une sorte d'hybride de l'impôt sur le revenu : elle peut faire penser à un jeune inspecteur des finances qu'il va rééditer le trait de génie de son grand aîné Maurice Lauré inventant la TVA, mais il ne s'agit hélas que d'une de ces "petites astuces" qui manifestent surtout la confusion intellectuelle régnant dans certains cerveaux.

La taxe d'habitation est un impôt LOCAL. Elle a pour objet de procurer des ressources aux communes (et à leurs regroupements) afin que celles-ci puissent financer les infrastructures et les services qu'elles mettent à la disposition des habitants. Elle constitue l'achat d'un ensemble de services locaux à un prix forfaitaire : toute réforme la concernant doit respecter ce concept, seul capable de réconcilier avec l'impôt une population qui en a ras-le-bol.

Ce n'est pas l'idéal que cette taxe soit recouvrée par le fisc national, mais passe encore : dans un pays doté de 36 000 communes et de milliers de structures intercommunales, on comprend qu'il ne soit pas évident pour chacune de se doter d'un percepteur ! En revanche, il faut absolument que Bercy soit un simple prestataire de services, de façon à ce que les communes et regroupements de communes soient vraiment responsables de leurs prélèvements fiscaux devant les citoyens qui y résident : il en va de l'existence même d'une vraie démocratie locale. Il importe au plus haut point que la taxe d'habitation, impôt destiné aux communes et à leurs émanations, soit leur affaire, et pas celle des départements, des régions ni de l'État. On pourrait d'ailleurs se poser la question suivante : la taxe foncière (qui actuellement profite aussi aux départements) ne devrait-elle pas être réservée, comme la taxe d'habitation, aux communes et à leurs regroupements ?

Que faire pour que la taxe d'habitation devienne de façon plus claire le paiement des services municipaux et intercommunaux ? Dans cette optique, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères serait beaucoup plus normalement rattachée à la taxe d'habitation plutôt que, comme elle l'est aujourd'hui, à la taxe foncière, due par un propriétaire qui n'est pas nécessairement l'habitant du logis. Mais surtout, il importe que la base de la taxation soit le plus possible en rapport avec ce qui justifie la perception de l'impôt, à savoir le recours aux services municipaux et intercommunaux qui ne peuvent pas être rendus payants.


La première chose à faire serait évidemment de rendre payants tous les services municipaux et intercommunaux qui peuvent l'être. Il n'y a par exemple aucune raison pour que les impôts locaux servent à financer les transports en commun pour lesquels un titre de transport est exigé : la solution est de porter (par étapes ?) le prix de ces tickets et abonnements au niveau requis pour rentabiliser le service. La gratuité – c'est-à-dire le paiement sous forme d'impôt – doit être réservée aux services pour lesquels il serait déraisonnable de recouvrer un paiement, parce que ce serait trop compliqué et trop onéreux.

Pour les autres services, la "valeur locative", dont chacun sait qu'elle ne reflète pas toujours la réalité, est-elle un bon indicateur du recours aux services municipaux ? Peut-être existe-t-il un meilleur indicateur ?

La simple valeur du loyer, en cas de location, ne serait-elle pas plus pertinente qu'une valeur locative basée sur des données souvent trop anciennes ? Je ne prétends pas détenir la solution à ces questions, mais il est clair qu'il faut chercher cette solution. Il est aussi clair que, si l'on s'en tient à ce qui fonctionne aujourd'hui, la révision des valeurs locatives ne doit pas rester une sorte de serpent de mer qu'on ne voit jamais vraiment émerger !

Reste la question des divers abattements, notamment pour charges de famille. Soyons clair : la fiscalité doit être équitable pour les familles, et donc il faut en finir avec le plafonnement du quotient familial de l'impôt sur le revenu, mais elle ne doit pas se substituer aux prestations familiales, et comme le fait d'avoir des enfants n'est pas la cause d'un moindre recours aux services communaux, bien au contraire, on voit mal la justification des abattements correspondants.

Certes, tant que justice n'est pas rendu aux familles à d'autres niveaux (impôt sur le revenu et retraites, particulièrement), on comprend que les représentants des familles soient amenés à défendre un privilège pour compenser des injustices, comme je l'ai fait moi-même quand je présidais une importante fédération d'associations familiales, mais précisément une "remise à plat" de la fiscalité devrait être l'occasion de ne pas surtaxer les familles d'un côté (l'État) en compensant par une sous-taxation de l'autre (les communes), ce qui amène ensuite l'État à subventionner les communes et donc à empiéter sur leurs prérogatives, car celui qui paie commande, au moins en partie.

Cela nous ramène au point de départ, l'idée ministérielle de mélanger plus ou moins l'impôt sur le revenu et la taxe d'habitation : stop au méli-mélo entre la commune et l'État, entre l'impôt local et l'impôt national ! D'autant plus que l'impôt sur le revenu est basé sur la progressivité en fonction du niveau de vie et doit éviter de pénaliser les familles en faisant comme si les enfants étaient des sortes d'animaux de compagnie des adultes titulaires de revenus, tandis que la taxe d'habitation est simplement le paiement forfaitaire d'un bouquet de services locaux qu'il serait déraisonnable de facturer un par un.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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