Total-Iran : un accord avec une épée de Damoclès

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Par Mohammad Amin Publié le 13 juillet 2017 à 5h00
Total Investissements Petrole Iran Conjoncture
4,8 milliards $Total va investir 4,8 milliards de dollars dans le pétrole iranien.

Il a fallu de nombreuses péripéties et un long chemin sinueux pour que le PDG de Total, Patrick Pouyanné, et le ministre iranien du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, signent, le 3 juin 2017, un accord pétrolier d’une grande importance pour les deux parties.

Total investira 4,8 milliards de dollars dans le pétrole iranien

Pour Hassan Rouhani qui vient de commencer son deuxième mandat après la présidentielle du 19 mai, il s’agit du premier investissement étranger après l’accord sur le nucléaire conclu en juillet 2015 (cf.JCPOA). « Nous n'oublierons jamais que Total a été le précurseur », a affirmé Zanganeh dans la cérémonie de signature de l’accord, avant de renchérir : « Nous n’oublierons pas nos amis des jours difficiles ». « Aujourd’hui est un jour historique pour Total, le jour où nous revenons en Iran », a réagi pour sa part, M. Pouyanné qui a ajouté : « Nous sommes fiers et honorés d'être la première compagnie internationale à signer un "Iranian Petroleum Contract" ».

En vertu de ce contrat d’une durée de 20 ans, le consortium devra investir 4,8 milliards de dollars pour développer la phase 11 du champ gazier offshore Pars-Sud de l’Iran (24 phases en tout). Pars-Sud (ou South Pars) est avec sa partie qatarienne (North Dome) le plus grand gisement de gaz naturel découvert au monde.

Nucléaire iranien : Total détiendra 50,1 % des parts du consortium

Le contrat prévoit que le groupe français Total détiendra 50,1 % des parts du consortium qui exploitera le champ gazier, suivi du groupe China National Petroleum Corporation (CNPCI) avec 30 % et de l'Iranien Petropars (19,9 %). Le développement de SP11 se fera en deux phases : la première (en 40 mois), d’un montant estimé à deux milliards de dollars (dont la moitié sera fournie par Total), verra le forage de 30 puits, la construction de deux plateformes et l’installation de deux lignes de connexion aux installations de traitement à terre déjà existantes.

« Ça vaut la peine de prendre un risque d'un milliard de dollars car c'est un énorme marché », précise le PDG de Total, avant de reconnaître le hic de ce contrat : « Nous devons vivre avec un certain degré d’incertitude ».

Des facteurs internationaux et nationaux pourraient faire dérailler ce contrat

Les circonstances politiques confirment en effet l’incertitude qui plane au-dessus de ce contrat qui risquerait d’être miné par deux menaces majeurs. La première, la moins importante, que tout le monde souligne : Washington est en train de réexaminer sa politique iranienne, ce qui fait planer de nombreux doutes sur l’avenir du protocole d’accord sur le nucléaire, selon bon nombre des observateurs. Le Congrès américain va très probablement adopter de nouvelles sanctions qui pourraient remettre en question cet accord. Mais une deuxième menace est encore plus chaotique : celle de l’instabilité politique de l’Iran qui est constituée de plusieurs facteurs :

- Hassan Rouhani est en plein démêlé avec le clan dominant du pouvoir en place. Lors de ces dernières semaines, l’ampleur de cette brouille a amené les milieux politiques de Téhéran à avancer l’idée de la destitution du Président de la République théocratique.

- Le Guide suprême et son entourage s’opposent farouchement à ce type de contrat, dit IPC (Iran Petroleum Contract) qui remplace les contrats Buyback, et permet aux investisseurs étrangers d’avoir une part de la production gazière totale. L’année dernière, Ali Khamenei s’était déjà opposé à ce type de contrat, lors d’un discours.

- Les chefs de file du clan Khamenei comparent souvent l’IPC au Traité de Turkmanchai (1828) dans lequel l’Empire perse perdit des territoires septentrionaux. Ils vont même jusqu’à accuser l’IPC d’aller à l’encontre de la Constitution du pays et des droits de Iran Petroleum.

- Un autre facteur fort déstabilisant est la question du remplacement d’un Guide suprême cancéreux. Cette lutte est restée à huit clos mais n’est pas moins le moteur des tiraillements à la tête du sérail.

Total s’introduit donc dans un champ miné sur le marché iranien. Faut-il rappeler que le Pétropars qui s’est associé à ce consortium est l’une des succursales de la Compagnie Niko (Naftiran Intertrade Company), impliquée à fond, au cours de ces dernières années, dans le blanchiment, le financement du Corps des Gardiens de la Révolution (CGRI) et le programme d’élaboration des missiles iraniens. Washington avait introduit cette compagnie dans la liste des établissements sanctionnés en 2010, 2012 et 2013.

Si le pari d’un milliard de dollars de Total sur Pars-Sud échoue, ce ne sera pas une grande surprise. Mais si ça passe, cela supposerait toute une série d’ouvertures politiques et économiques qui impliquerait une situation nouvelle et passionnante, mais difficilement tolérable pour la théocratie en place.

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Mohammad Amin est chercheur à la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO), basée à Paris. Il a écrit plusieurs ouvrages et essais sur la théocratie iranienne, les mutations de l'économie politique de l'Iran sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad et l'essor de l’intégrisme islamique au Moyen-Orient. Co-auteur de « Où va l’Iran », Éditions Autrement, 15 mai 2017.

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