Xavier Niel : du Minitel rose à Free Mobile

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Par Gilles Sengès Modifié le 10 octobre 2012 à 4h23

Amis qui se rétractent au bout de quelques jours de "réflexion" ; salariés dont un syndicaliste qui demandent à ce que leurs noms ne soient pas cités ; interlocuteurs "indépendants" qui ne donnent pas suite aux demandes d’entretien ; témoins qui s’inscrivent aux abonnés absents lorsqu’ils ne changent pas tout bonnement de numéro de téléphone ; concurrents qui ne veulent pas apparaître en première ligne sans parler des anciens employés tenus par des clauses de confidentialité…

Si on ajoute que non seulement les portes des dirigeants d’Iliad-Free sont demeurées closes mais aussi celles des responsables du "Monde", il n’est pas facile d’enquêter sur la vie et la carrière de Xavier Niel… Le fondateur d’Iliad qui n’a pas donné suite aux demandes d’entretien de l’auteur n’aime pas l’information non contrôlée.

Sur la forme, c’est un souci qui l’honore. Je l’ai partagé tout au long de cette enquête, lancée sans aucun a priori. Je n’avais aucune idée de la vie de ce personnage pour le moins atypique qu’est cet entrepreneur du Net avant que Gabriel Milesi, directeur de collection aux éditions Michel de Maule, ne me souffle l’idée d’écrire sa biographie.

Je n’avais aussi qu’une connaissance très parcellaire du "monde impitoyable" des télécommunications jusqu’à ce que n’apparaisse Free Mobile sur le radar des Français, le 10 janvier 2012. C’est donc avec un œil totalement neuf que j’ai appréhendé l’homme et son secteur. Je me suis astreint tout au long de mes investigations à m’en tenir aux informations disponibles à qui veut les chercher et que je livre ici après les avoir soigneusement vérifiées et recoupées.

Toutes les citations ont été soumises à la relecture de leurs auteurs -qu’ils en soient particulièrement remerciés au vu des risques que je semble leur avoir fait prendre- ou référencées. L’ouvrage aurait gagné à ce que le fondateur d’Iliad y livre son point de vue et en corrige, précise ou contredise les informations rapportées. Ces pages lui ont été ouvertes. Il n’a pas souhaité alimenter ma plume. C’est son plus strict droit.



Tout au plus peut-on s’étonner de sa conception de l’information et du travail des journalistes. Sollicité par deux fois, par courrier électronique, les 17 février et 12 mars 2012, pour organiser, en toute transparence, des entretiens avec les dirigeants du groupe, le service de presse d’Iliad-Free a répondu, dans un premier temps, par une fin de non-recevoir en expliquant que Xavier Niel ne souhaitait pas collaborer à l’ouvrage.

Jusqu’à ce que la responsable de la communication reprenne contact le 10 aout 2012, sans doute une coïncidence avec la parution, la veille, d’un écho dans l’hebdomadaire "Paris Match" (1) évoquant la sortie quasi-concomitante de ce livre et d’un roman à clé "dans le style Houellebecq" ("La théorie de l’information" d’Aurélien Bellanger est parue fin aout aux éditions Gallimard) racontant "l’épopée d’un sulfureux entrepreneur du Minitel rose devenu milliardaire".

Toujours est-il qu’après s’être enquis du bouclage et de la date de sortie de la biographie de Xavier Niel, programmée le 11 octobre, l’attachée de presse d’Iliad-Free s’est subitement proposé d’organiser un rendez-vous avec le fondateur du groupe aux conditions imposées par ce dernier. C’est à dire que l’entretien soit "en off", sans citations possibles, que "l’on ne parle pas de sa vie privée" et qu’"il ne soit pas fait mention de ce rendez-vous". Soit un ensemble de conditions inacceptables à nos yeux.

La vie privée et familiale du fondateur d’Iliad lui appartient. Je me suis attaché à la préserver tout au long de cette enquête. En revanche, je ne me sens pas tenu par son culte du secret dés lors que l’on s’intéresse à son parcours professionnel, même fusse-t-il sinueux. La douzième fortune de France, selon le classement du magazine Challenges, en 2012, actionnaire majoritaire du deuxième fournisseur d’accès à Internet et quatrième opérateur mobile de France, ne peut en aucun cas sérieusement profiter de l’ombre qu’il entretient de fait autour de son personnage pour demeurer insaisissable.

Dès lors qu’une bonne partie de son activité, relevant du service universel, est régulée par un organisme d’Etat, certes indépendant comme l’est l’Arcep, et que son groupe se trouve être coté en bourse, des contraintes de transparence s’imposent à lui. Au même titre qu’aux autres opérateurs des télécoms et des grands groupes du CAC40 ou de toute société faisant appel á l’épargne des particuliers.



L’homme peut d’autant moins échapper à la lumière qu’il est devenu le copropriétaire du "Monde", le deuxième quotidien national français, ce qui en fait, nolens volens, un défenseur obligé du droit à l’information et de la liberté des journalistes dont il est dorénavant le garant...

Enfant de la libéralisation des télécoms, il y a quatorze ans, Iliad ne peut plus se targuer, aujourd’hui, d’un statut de challenger et continuer à se considérer comme tel. C’est devenu un des champions de son secteur avec des devoirs à la hauteur de l’ampleur de ses droits et influences. Ce que l’on a appelé la nouvelle économie est en passe de devenir l’économie tout court et ses promoteurs à se transformer comme les chefs de file naturels de la nouvelle génération du patronat français.

Sans forcément freiner leur esprit d’entreprise, certains ont commencé à assumer les responsabilités qui en découlent à l’image de Charles Beigbeder ou de Geoffroy Roux de Bezieux. On ne peut attendre moins de Xavier Niel, le premier d’entre eux. Qu’il le veuille ou non, il est devenu un membre à part entière de l’establishment.

Ce qui implique pour lui d’assumer ce nouveau rôle, et ne lui en déplaise peut être, d’en adopter le ton et le comportement. Car, plus que sur son passé, c’est dans ce domaine qu’il sera jugé désormais.

1. « Xavier Niel, star de la rentrée », Paris Match du 9 au 15 aout 2012, page 94.

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Extrait de : "Xavier Niel, l'homme free" de Gilles Sengès. Publié le 11 octobre 2012 aux Editions Michel de Maule. 20 euros.

(Voir sur Amazon.fr) (Voir sur Fnac.com)

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Ancien rédacteur en chef des Échos, Gilles Sengès a été correspondant en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Espagne.

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