Le prix Nobel de physique 2025 vient couronner un physicien français au parcours exceptionnel : Michel Devoret, récompensé aux côtés d’un Américain et d’un Britannique pour avoir démontré que la mécanique quantique s’applique aussi à des systèmes à l’échelle humaine. Une victoire scientifique éclatante, mais qui met en lumière le paradoxe d’un chercheur formé en France… et travaillant à l’étranger.
Nobel de physique 2025 : le Français Michel Devoret, un lauréat qui interroge la fuite des cerveaux

Michel Devoret, le génie français de Yale
Né en 1953 à Paris, Michel Devoret, qui vient de recevoir le prix Nobel de physique, est diplômé de l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Paris-Saclay), il y a obtenu son doctorat au début des années 1980 sous la direction du physicien Michel Tinkham. Après un passage au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), il s’envole pour les États-Unis et rejoint l’université de Yale, où il dirige aujourd’hui le laboratoire de physique appliquée.
C’est là, à plus de 5 000 km de la France, qu’il a mené les travaux qui lui valent aujourd’hui le prix Nobel : la mise en évidence d’un effet quantique macroscopique, où des circuits électriques obéissent aux lois de la physique quantique. Une prouesse qui bouleverse la frontière entre micro et macro-monde, ouvrant la voie aux ordinateurs quantiques et aux capteurs du futur.
Son parcours illustre une réalité souvent pointée : la difficulté pour la France de retenir ses chercheurs les plus prometteurs. Devoret, comme tant d’autres, a trouvé aux États-Unis des moyens matériels, un environnement scientifique et une stabilité institutionnelle que la France peine encore à offrir.
Un Nobel français, mais un Nobel exilé
Avec cette distinction, la France signe son 18ᵉ prix Nobel de physique depuis 1901. Du pionnier Pierre Curie au théoricien Serge Haroche (lauréat en 2012), l’Hexagone reste l’un des pays les plus récompensés dans cette discipline. Au-delà de la physique, la France affiche un palmarès impressionnant : elle totalise à ce jour environ 72 prix Nobel toutes disciplines confondues. Dans le détail, la France compte : 18 prix Nobel de physique, 13 de chimie, 13 de médecine ou physiologie, 17 de littérature, 5 de la paix et 6 d’économie. Ce bilan place le pays au quatrième rang mondial, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Mais la trajectoire de Michel Devoret témoigne d’un tournant inquiétant : il devient l’un des lauréats français à avoir accompli ses découvertes majeures hors du territoire national. Dans les années 1970 et 1980, la recherche française en physique quantique rayonnait à travers le monde : le CNRS, l’ENS et le CEA formaient un écosystème solide, capable d’attirer les talents étrangers. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée. La France consacre à la recherche environ 2,2 % de son PIB, contre 2,9 % en Allemagne et 3,5 % aux États-Unis. Les salaires y sont plus bas, les carrières plus précaires, les projets plus courts.
Cette érosion explique pourquoi tant de chercheurs, après leur thèse, partent poursuivre leurs travaux ailleurs. Parmi les récents lauréats français du prix Nobel, seuls quelques-uns, principalement en économie, ont conservé un lien fort avec des institutions hexagonales.
Une recherche française brillante, mais sous-financée
Le paradoxe est cruel : la France forme des scientifiques mondialement reconnus, mais manque d’instruments pour les retenir. Le budget public de la recherche reste en deçà de ses ambitions : moins de 9 milliards d’euros alloués en 2025, selon le projet de loi de finances, soit une progression inférieure à l’inflation. L’Agence nationale de la recherche (ANR) finance moins d’un projet sur cinq, et les laboratoires publics multiplient les contrats à durée déterminée.
Les États-Unis, à l’inverse, misent sur la continuité : Yale, Stanford ou le MIT garantissent à leurs chercheurs des équipes stables, des financements pluriannuels et un accès rapide aux technologies de pointe. Dans un domaine aussi compétitif que la physique quantique, cette différence de moyens devient décisive.
Michel Devoret incarne ce fossé. Il a emporté avec lui un savoir-faire français, mais aussi une rigueur de formation reconnue dans le monde entier. Son succès devrait être perçu comme un appel à revaloriser la recherche fondamentale.
Le quantique à l’échelle du monde réel
Le travail récompensé cette année peut sembler abstrait, mais il s’agit d’une révolution silencieuse. L’“effet tunnel” décrit par les trois lauréats permet à une particule — ou ici, à un courant électrique — de franchir une barrière d’énergie qu’elle ne devrait pas pouvoir traverser. Ces expériences ont prouvé que des objets visibles à l’œil nu pouvaient obéir aux lois du monde quantique.
Cette découverte pose les bases des technologies quantiques : ordinateurs capables de résoudre en secondes des problèmes insolubles pour les machines classiques, capteurs médicaux d’une précision inédite, ou systèmes de communication ultra-sécurisés.
