Prisons : réduire les peines pour réduire la surpopulation carcérale record ?

Un rapport commandé par l’ancien ministre de la Justice Didier Migaud, relayé par BFMTV le 10 mai 2025, remet la question de la surpopulation carcérale au cœur du débat public.

Axelle Ker
By Axelle Ker Published on 12 mai 2025 10h01
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Prisons : réduire les peines pour réduire la surpopulation carcérale record ? - © Economie Matin
133 %Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires en France atteint 133 %

Les auteurs du rapport, issus de la haute magistrature et de l’administration pénitentiaire, proposent une mesure explosive : une réduction de peine exceptionnelle, généralisée, qui rappelle celle instaurée durant la crise sanitaire du covid-19. Une solution d’urgence qui suscite autant d’adhésions que de crispations politiques.

Surpopulation carcérale : un taux d'occupation supérieur à 130 %

Avec 82 921 détenus pour 62 358 places au 1er avril 2025, le taux d’occupation des prisons françaises atteint désormais les 133 %, un record. « La surpopulation doit désormais être appréhendée pour ce qu’elle représente effectivement : un état d’urgence », affirment les auteurs du rapport, composé de magistrats, d’un directeur d’établissement pénitentiaire et d’une avocate (BFMTV).

Ce rapport, demandé en novembre 2024 par Didier Migaud, prédécesseur de Gérald Darmanin au ministère de la Justice, a été rédigé par Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Versailles ; Marie-Christine Tarrare, procureure générale près la cour d’appel de Besançon ; Peimane Ghaleh-Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny ; Cécile Gensac, procureure de la République à Nîmes ; Bruno Clément-Petremann, directeur de la maison d’arrêt parisienne de la Santé ; et Clotilde Lepetit, avocate.

Réduction de peine exceptionnelle : une réplique du modèle covid-19 ? 

Pour faire face à ce qu’ils décrivent comme une urgence comparable à une crise sanitaire, les rédacteurs recommandent de mettre en œuvre un mécanisme de réduction de peine automatique, inspiré de celui utilisé au printemps 2020 pendant la pandémie. À cette époque, cette mesure avait permis de faire chuter, pour la première fois en vingt ans, le taux d’occupation carcérale sous la barre des 100 %.

Le principe ? Une réduction de peine de deux mois, accordée de façon générale à tous les détenus sauf exclusions clairement définies. En 2020, les personnes condamnées pour terrorisme, crimes graves ou violences conjugales avaient été exclues du dispositif.

Le rapport propose que ce mécanisme soit institutionnalisé et activé automatiquement dès que le seuil de 100 % d’occupation est dépassé (France Info). « Un tel mécanisme de régulation est réclamé par une majorité des acteurs (employés pénitentiaires) concernés depuis des années », soulignent-ils (La Dépêche).

Un tabou politique au sommet de l’État 

La proposition divise profondément. Si le constat fait consensus, la solution suscite des crispations jusque dans les rangs du gouvernement. Sollicité par l’AFP, l’entourage de Gérald Darmanin a rapidement tranché : le ministre de la Justice « n’est pas du tout favorable » à cette mesure, tout comme le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Le Garde des sceaux doit s’exprimer publiquement sur ledit rapport « dans les prochains jours »

Mais au-delà de l’obstacle politique, c’est la peur du retour de flamme médiatique qui domine. Les auteurs du rapport notent une « très grande réserve des représentants politiques », expliquant cette frilosité par le fait que « la justice française continue d’être très largement considérée comme laxiste par l’opinion publique », et ce « en dépit du fait que la réponse pénale n’a jamais été aussi forte, que la durée des peines d’emprisonnement s’allonge » (Libération).

Le dilemme pénitentiaire français

Faut-il libérer pour soulager le personnel pénitentiaire ? Ou construire davantage de prisons ? Depuis vingt ans, les gouvernements successifs peinent à apporter une réponse durable à la surpopulation carcérale, qui ne cesse de s’aggraver, en dépit des 15 000 nouvelles places promises en 2018.

Face à cette impasse, les auteurs du rapport plaident pour que la régulation carcérale soit envisagée comme une véritable politique publique, et non comme une solution transitoire. Au législateur désormais de trancher : faut-il exclure certains profils, et lesquels ? Jusqu’à quelle durée maximale la réduction s’appliquerait-elle ? Autant de décisions à prendre, tout en évaluant les effets sur la réinsertion… et sur la récidive.

Axelle Ker

Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin.

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