Sur la côte d’Albâtre en Seine-Maritime, un chantier hors norme a démarré : 200 engins titanesques bataillent pour creuser une falaise de craie sur 155 hectares, afin d’accueillir deux réacteurs nucléaires EPR2. Au pic des travaux, jusqu’à 10 000 personnes devraient œuvrer sur le site de Penly.
Réacteurs nucléaires : un chantier titanesque à Penly pour deux réacteurs nucléaires EPR2

Début juillet 2024, des engins géants ont envahi le site nucléaire de Penly pour lancer les travaux préparatoires à l’implantation de deux réacteurs de nouvelle génération. Cette relance du programme des réacteurs nucléaires s’inscrit dans la stratégie énergétique portée par l’État. Le calendrier est ambitieux. La mise en service du premier EPR2 est désormais visée en 2038, après un report significatif.
Première phase : creuser la falaise et remodeler le littoral
Dans la falaise de craie dominant la Manche, un ballet incessant de bulldozers et d’engins miniers transforme le paysage. Plus de 200 engins de terrassement mobilisés opèrent simultanément sur un site de 155 hectares. Une grande partie de la falaise est creusée à 40 mètres d’altitude, avec 3 à 4 millions de mètres cubes de craie extraits, réutilisés pour gagner 20 hectares sur la mer. Ces matériaux sont dirigés vers des zones d’extension et d’aménagement du site. Un enrochement de granit importé de Norvège protège la digue artificielle de 1,4 km. Le chantier comprend aussi le creusement de terrasses à 44, 64 et 80 mètres d’altitude, destinées à accueillir bâtiments, bureaux, parkings et zones logistiques.
De plus, deux centrales à béton construites sur place produisent 500 m³ par jour, totalisant 1,2 million de m³ pour les infrastructures et les bâtiments. Nicolas Beaujot, directeur de la centrale à béton, rappelle, dans des propos rapportés par TF1Info : « On a 13.500 blocs de béton à fabriquer, on en a à peu près pour 16 à 17 mois ». Malgré ce gigantisme, ce n’est encore que la phase préparatoire : « il faudra encore attendre ‘fin 2026’ et le décret d’autorisation de création pour que le chantier de construction en lui-même des réacteurs soit définitivement lancé », souligne Frédéric Hennion, directeur de projet EPR2 à Penly.
10 000 travailleurs attendus, un chantier sous haute surveillance réglementaire
Chaque matin, jusqu’à 1 000 personnes pénètrent sur le site pour les travaux préparatoires, tandis que le pic mobilisera 10 000 travailleurs selon les prévisions des opérateurs. EDF et les autorités locales anticipent d’importants besoins de recrutement dans plus de 110 métiers différents (sécurité, génie civil, électrotechnique, maintenance).
L’État a encadré ces opérations préparatoires par le décret n° 2024-505 du 3 juin 2024, qui autorise des travaux jusqu’à l’entrée en vigueur du futur décret d’autorisation de création (DAC). Par ailleurs, le décret n° 2024-705 du 5 juillet 2024 autorise EDF à utiliser le domaine public maritime pour les extensions nécessaires. Cette double autorisation soutient l’aménagement du site : création d’installations de chantier, parkings, débroussaillage, amélioration des accès. Le projet est encadré par le label Grand Chantier EPR2, piloté par l’État local, les collectivités et EDF, pour coordonner infrastructures, formation et hébergement.
Surcoûts et incertitudes du projet
Initialement, la mise en service du premier EPR2 était prévue entre 2035 et 2037. Mais lors du Conseil de politique nucléaire du 17 mars 2025, la date a été repoussée à 2038. Reporterre note que ce « retard est pris en soixante-douze heures » tant l’annonce a été soudaine. Sur le plan financier, le coût du programme des six EPR2 a été réévalué à 67,4 milliards d’euros (estimation fin 2023) contre une base initiale inférieure. Selon la Cour des comptes et d’autres experts, ce montant pourrait grimper à 79,9 milliards d’euros aux conditions de 2023. Dans ce contexte, des voix s’inquiètent du risque de surcoût pour les finances publiques.
D’un point de vue industriel, un point d’alerte a surgi. Le béton utilisé pour la digue de protection ne respecterait pas les spécifications prévues. Le Monde révèle que les granulats marins utilisés offrent une teneur en silex largement inférieure aux 70 % attendus (parfois seulement 35 %). L’ASNR (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection) a demandé des justifications à EDF pour maîtriser le risque de réaction alcali-granulat, mais considère pour l’instant que les risques sont « limités » puisqu’ils concernent des blocs extérieurs à la digue provisoire. EDF affirme que le béton destiné aux structures nucléaires respectera des formulations spécifiques et ne reposera pas sur celles de la digue.
Enfin, la phase de concertation publique continue. Le 2ᵉ rapport intermédiaire souligne que le projet Penly s’inscrit dans le cadre d’un programme “Nouveau nucléaire”, avec l’objectif de relancer la filière en France.
