Il faut changer d’échelle dans la lutte contre le réchauffement climatique

Havard Halland est économiste senior au Centre de développement de l’OCDE.
Justin Yifu Lin est doyen de l’Institut des nouvelles économies structurelles de l’Université de Pékin et doyen de l’Institut de coopération et de développement Sud-Sud de l’Université de Pékin.
Alan Gelb est chercheur senior au Centre pour le développement mondial.

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Par Håvard Halland , Justin Yifu Lin and Alan Gelb Publié le 21 juillet 2023 à 4h30
Rechauffement Climatique Changement Plan Monde Halland
2,3 MILLIARDS €Le coût de l'adaptation au réchauffement climatique en France serait de 2,3 milliards d'euros par an.

Le récent Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à l'initiative du président français Emmanuel Macron s'est conclu par la présentation d'une feuille de route. Néanmoins, les réformes proposées ne permettront sans doute pas de réunir suffisamment de capitaux privés pour s'adapter au réchauffement climatique. Raison essentielle : cette feuille de route ne prend pas en compte les obstacles qui empêchent les fonds de pension et autres grands investisseurs internationaux de coopérer avec les banques multilatérales de développement (BMD). Les dispositions visant à mutualiser les risques liés aux devises étrangères et à augmenter les garanties concernant ces risques sont utiles, mais très probablement insuffisantes face aux besoins.

Seule une petite partie du financement mondial de la lutte contre le changement climatique va aux pays en développement. C'est là un problème majeur. Selon l'Agence internationale de l'énergie, pour parvenir à des émissions nettes nulles d'ici 2050, les dépenses d'investissement dans les énergies propres de ces pays doivent augmenter de moins de 150 milliards de dollars en 2020 à plus de 1 000 milliards de dollars par an d'ici 2030. D'autres estimations sont encore plus élevées.

Quelques 70 % de ces investissements dans les énergies propres devront provenir du secteur privé. Or s'il finance 81% des investissements verts dans les pays à revenu élevé, sa contribution est de seulement 14 % dans les pays en développement où les coûts de financement peuvent être jusqu'à 7 fois plus élevés.

Depuis des années, les banques multilatérales de développement tentent en vain de développer le financement du développement, le faisant passer "de quelques milliards à des milliers de milliards" de dollars en faisant appel aux capitaux privés. Mais elles sont freinées dans leurs projets par leurs structures qui ont perdu en efficacité. Lorsque la Banque mondiale et le FMI ont été créés en 1944, les dépenses publiques régnaient en maître. Les USA sortaient du plus vaste programme de dépenses publiques de l'Histoire : la mobilisation lors de la Deuxième Guerre mondiale. Le souvenir du New Deal du président Franklin D. Roosevelt était encore présent dans les esprits, les idées de Keynes dominaient et Milton Friedman qui allait les remettre radicalement en question achevait sa thèse de doctorat à l'université de Columbia. Les principes, les pratiques et les mesures de protection de la gouvernance d'entreprise aujourd'hui considérées comme allant de soi dans toute grande institution financière ou entreprise n'en étaient encore qu'à leurs débuts.

En outre, la taille du secteur financier dans l'économie mondiale a considérablement augmenté depuis les années 1940. À l'époque, les investissements internationaux et les investissements directs se limitaient essentiellement à quelques pays occidentaux dominants. La croissance explosive des fonds de pension et l'essor de gestionnaires d'actifs mondiaux tels que BlackRock et Vanguard sont intervenus des décennies plus tard. Aujourd'hui, la valeur de leurs portefeuilles dépasse le PIB de presque tous les pays du monde, à l'exception des plus grands.

Les conseils d'administration des institutions de Bretton Woods sont encore exclusivement composés de représentants nationaux, ce qui reflète le statut dominant de l'Etat-nation dans les années 1940, tant sur le plan géopolitique qu'au sein du système financier international. Les membres du conseil d'administration la Banque mondiale et de la plupart des banques régionales de développement sont souvent des diplomates, pas toujours choisis pour leur compétence en finance ou en économie, mais pour leur capacité à représenter la position de leur pays. Pourtant leur fonction au sein du conseil d'administration s'étend bien au-delà de ce qui dans le privé relèverait exclusivement de la gestion d'entreprise. Alors que les conseils d'administration des entreprises fournissent des orientations générales et restent indépendants de la direction, les conseils d'administration des BMD participent directement aux décisions de prêt et d'investissement.

Ces décisions dépendent des objectifs politiques des pays actionnaires et des besoins des pays clients. En tant que tel, le processus d'allocation des capitaux des BMD n'est pas prioritairement conçu pour refléter la demande ou les préoccupations des investisseurs extérieurs. Le BMD disposent de branches privées qui co-investissent largement avec le secteur privé, généralement au niveau des entreprises individuelles dans le cadre des transactions de trop faible volume pour les grands investisseurs.

Obstacle supplémentaire, les investisseurs institutionnels et les grands investisseurs privés sont extrêmement réticents à l'idée de céder le contrôle à des entités publiques. Ils craignent qu'elles ne soient influencées par le pouvoir politique ou que leurs projets soient trop risqués ou non commerciaux. Pour mobiliser des capitaux privés à grande échelle, les BMD doivent gagner la confiance des fonds de pension et d'autres grands propriétaires d'actifs afin de rivaliser avec les gestionnaires d'actifs privés pour obtenir le droit d'investir ces capitaux. Autrement dit, elles doivent considérer les investisseurs privés comme des clients et des partenaires, et fonctionner davantage à l'image des organisations financières privées, tout en respectant leur mandat tel qu'il a été défini par les pouvoirs publics. Le Fonds national d'investissement et d'infrastructure de l'Inde constitue un exemple de cette stratégie.

Par ailleurs les BMD devraient adopter une double approche de la mobilisation des capitaux privés, avec des stratégies nettement différenciées suivant le niveau de risque (élevé ou moyen). Il a toujours été illusoire de croire que d'importants capitaux privés aillent vers les petits marchés à haut risque.

Ces marchés resteront du ressort des capitaux publics, et l'expansion du bilan des banques de développement sera cruciale à cet égard. Mais les BMD peuvent mobiliser beaucoup plus de capitaux privés pour le climat dans les pays à revenu intermédiaire dont les émissions sont beaucoup plus élevées que dans les pays en développement.

Les BMD devraient également réunir des capitaux au niveau portefeuille plutôt qu'au niveau projet, et investir beaucoup plus dans les fonds propres d'infrastructure. Étant donné que la plupart des investisseurs institutionnels gèrent de grandes quantités de capitaux avec de petites équipes, ils n'ont généralement pas la capacité d'investir directement dans des projets individuels. Ils ont donc besoin de véhicules ou de fonds pour canaliser leurs investissements.

L'investissement en fonds propres est crucial, car les investisseurs en fonds propres prennent part au développement, à la structuration et à l'organisation de nouveaux projets d'infrastructure, alors que les vendeurs de dette ne s'engagent généralement qu'une fois acquise la certitude qu'un projet est "bancable". Les BMD intensifient leur politique d'atténuation des risques, mais ce n'est pas cela qui permet à un projet de franchir les premières étapes de son développement, ce sont les fonds propres.

Les BMD peuvent mettre en place les structures institutionnelles pour réunir des capitaux privés, néanmoins le bien-fondé de cette stratégie est discutable. La mobilisation de capitaux privés est essentielle, mais les BMD ont également d'autres rôles importants à jouer. Leurs partenaires gouvernementaux seraient probablement réticents à l'idée de redistribuer le pouvoir à de nouveaux actionnaires du secteur privé.

Une meilleure solution consiste à créer un mécanisme mondial de financement de la lutte contre le changement climatique (GCFF, global climate finance facility) ou plusieurs mécanismes régionaux conçus pour mobiliser les capitaux des investisseurs institutionnels. Les BMD seraient des investisseurs minoritaires, les investisseurs privés étant majoritaires.

Les BMD continueraient cependant à jouer un rôle clé en aidant les investisseurs privés à évaluer les risques dans les secteurs et les régions où ils manquent d'expérience, et en fournissant un soutien technique basé sur leur expertise dans de nombreux domaines. Elles pourraient également partager et atténuer les risques des investisseurs privés en acceptant des positions plus risquées dans la structure du capital du GCFF ou au niveau des projets d'investissement de ce dernier.

Dans l'idéal, un GCFF existerait dans le cadre d'une législation financière standard dans un centre financier mondial, offrant ainsi aux investisseurs privés une protection avec laquelle ils sont déjà familiarisés. Pour préserver la cote de crédit AAA des BMD et leur statut de créancier privilégié, le budget du GCFF serait isolé des autres activités.

Les dirigeants de la planète qui ont participé au Sommet de Paris ne peuvent pas se contenter de modifier aux marges les dispositions actuelles, ils doivent prendre les mesures fortes nécessaires pour changer d'échelle dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il est trop tard pour se contenter de mesures incrémentales - elles ont échoué.

© Project Syndicate 1995–2023

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Havard Halland est économiste senior au Centre de développement de l'OCDE. Justin Yifu Lin est doyen de l'Institut des nouvelles économies structurelles de l'Université de Pékin et doyen de l'Institut de coopération et de développement Sud-Sud de l'Université de Pékin. Il a été économiste en chef de la Banque mondiale. Alan Gelb est chercheur senior au Centre pour le développement mondial.

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