Anne O. Krueger – Il faut accélérer la restructuration de la dette des pays en difficulté

Anne O. Krueger est professeur d’économie internationale à la faculté de hautes études internationales de l’université Johns Hopkins et membre du Centre pour le développement international de l’université de Stanford. Elle a été économiste en chef de la Banque mondiale et première directrice générale adjointe du FMI.

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.
Par Anne O. Krueger Publié le 2 octobre 2023 à 5h00
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60%Au moins 60% des pays à faible revenu sont surendettés ou risquent de le devenir.

En matière de développement, la croissance exponentielle des flux de capitaux internationaux, essentiellement sous forme de dette, est l'un des grands succès des 50 dernières années. Les prêts étrangers jouent un rôle essentiel pour les pays en développement, mais ils constituent une arme à deux tranchants. Bien utilisés, ils peuvent être très rentables, accélérer la croissance du PIB et améliorer le bien-être des pays emprunteurs. Mais si les dettes s'accumulent et que le service de la dette augmente sans qu'il en soit de même des capacités de remboursement, les conséquences peuvent être graves, voire désastreuses.

Ainsi beaucoup de pays ont dû faire face à une hausse spectaculaire des dépenses publiques lors de la pandémie de COVID-19, du fait de la hausse des dépenses de santé publique et de la baisse des revenus liée à la chute de l'activité économique. Les pays surendettés se sont trouvés au bord de la faillite, et même ceux dont les finances étaient saines ont été confrontés à une hausse dangereuse du service de la dette.

Quand l'endettement est élevé et en augmentation, une crise peut survenir rapidement et s'aggraver tout aussi rapidement. Quelques pays cherchent à réduire leur endettement et font des réformes pour éviter une crise potentielle, mais pour plusieurs d'entre eux, les plus endettés, ces réformes sont irréalisables - tant pour des raisons économiques que politiques. Souvent méfiants, leurs créanciers privés vendent à moindre prix leurs obligations souveraines et refusent de leur accorder de nouveaux crédits. Dans ce genre de situation, quand un pays ne peut pas faire face à ses obligations, il est exclu des marchés financiers. La crise économique qui en découle persiste souvent jusqu'à ce qu'il puisse restructurer sa dette, réformer et restaurer sa crédibilité financière.

Lorsqu'une entreprise privée ne remplit ses obligations, la procédure de faillite détermine la dépréciation de son passif et l'affectation de ses actifs restants. Par contre il n'existe pas de mécanisme juridique universellement reconnu pour la restructuration de la dette souveraine. Ainsi, toute résolution repose sur un accord volontaire entre un Etat débiteur et ses créanciers.

Ces dernières années, alors que des pays à revenu faible ou intermédiaire se sont retrouvés en défaut de paiement, les appels à l'annulation de la dette se sont multipliés. Par exemple le président kenyan William Rutto a récemment proposé d'accorder aux pays africains un délai de grâce de 10 ans pour le versement des intérêts. S'exprimant lors du premier Sommet africain sur le climat à Nairobi, il a suggéré que les pays en développement réorientent les fonds destinés au service de la dette vers les énergies renouvelables.

Toutefois cette proposition et d'autres visant à une annulation de la dette ou à un moratoire sur son service sont profondément inappropriées. La dette de certains pays est structurellement insoutenable. Même si leur dette était soudainement annulée, ils ne disposeraient pas des ressources nécessaires pour financer des initiatives environnementales d'envergure. En outre, en l'absence d'un plan de restructuration et d'un accès à des ressources supplémentaires, leurs importations essentielles à la production et à la consommation seraient fortement réduites, ce qui entraînerait une sous-utilisation de leurs capacités et une stagnation économique.

Les négociations sur la restructuration de la dette sont généralement un processus long, particulier à chaque situation. Dans le passé, le FMI collaborait avec les pays débiteurs pour évaluer les changements de politique intérieure et les ajustements nécessaires de la dette, tandis que les créanciers souverains consultaient les prêteurs privés dans le cadre du Club de Paris pour décider d'une stratégie de restructuration appropriée.

Mais aujourd'hui le contexte est bien plus difficile. Pour parvenir à une restructuration, la décote doit être la même pour tous les créanciers. Dans le cas contraire, certains prêteurs seraient remboursés intégralement tandis que d'autres le seraient seulement partiellement, ce qu'ils n'accepteraient sûrement pas. Mais la Chine, qui est devenue un créancier majeur depuis une vingtaine d'années refuse de rejoindre le Club de Paris. Au lieu d'accepter la même décote que les autres créanciers, elle voudrait être remboursée intégralement, ce qui entraînerait un traitement préférentiel pour elle et exacerberait les difficultés que rencontrent les pays en développement pour servir leur dette. L'absence d'accord retarde les restructurations.

C'est pourquoi même après un accord avec le FMI sur des réformes essentielles, la résolution de la crise de la dette de pays comme le Sri Lanka et la Zambie a été retardé inutilement. Pour éviter de grandes souffrances, la communauté internationale doit établir des procédures destinées à répartir le poids de la restructuration en temps voulu et de manière équitable entre les différents créanciers.

Les difficultés économiques persistantes des pays en développement soulignent le besoin urgent d'un nouveau cadre de restructuration de la dette. Selon une estimation récente de la Banque mondiale, au moins 60% des pays à faible revenu sont surendettés ou risquent de le devenir. Par ailleurs, beaucoup de pays à revenu intermédiaire (comme l'Egypte, la Jordanie, le Liban, le Pakistan et la Tunisie) sont confrontés à de graves problèmes budgétaires ou liés à leur endettement.

Si beaucoup de pays ne peuvent assurer le service de leur dette, les créanciers internationaux seront réticents à financer d'autres pays surendettés, ce qui peut déclancher une crise mondiale. Un tel scénario serait lourd de conséquences pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, mais aussi pour l'économie mondiale. En harmonisant et en accélérant la restructuration des dettes, nous pouvons encore éviter d'aggraver la situation.

© Project Syndicate 1995–2023

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

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