Alors que l’économie française oscille entre crises et reprises, un phénomène persistant capte l’attention des économistes et des citoyens : l’enrichissement exponentiel des foyers les plus aisés. Tandis que la classe moyenne peine à maintenir son niveau de vie et que les plus précaires s’enfoncent dans des difficultés croissantes, l’élite financière prospère. Comment expliquer cette concentration de richesse ?
Richesse : le « ruissellement » n’existe pas selon… Bercy !

L’évolution des revenus des ménages les plus riches en France depuis les années 2000 illustre une transformation profonde du paysage économique et fiscal. Depuis deux décennies, les politiques publiques ont façonné un environnement où le capital s’accroît bien plus vite que les salaires. Les hauts revenus bénéficient ainsi d’un effet de levier financier puissant, notamment grâce aux réformes fiscales favorisant l’investissement et la détention de patrimoine financier. Entre l’abolition de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), l’introduction du Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) et les fluctuations boursières, les ménages les plus aisés ont consolidé leur domination économique.
Une progression spectaculaire des revenus des plus riches
Le gouvernement, en particulier sous l’égide d’Emmanuel Macron, avait affirmé qu’augmenter le revenu des plus riches aurait permis un « ruissellement » vers les ménages les plus pauvres. Mais il n’en est rien. La dernière étude de Bercy publiée en janvier 2025 concernant les « Revenus et patrimoine des foyers les plus aisés en France » démonte complètement cet argumentaire. Comme attendu, ce sont les plus riches qui ont largement profité des largesses du gouvernement, alors que les ménages moins riches n’ont touché que quelques petites miettes.
L’évolution des revenus des ménages les plus aisés est caractérisée par des mouvements cycliques influencés par les crises financières et les réformes fiscales. Toutefois, sur le long terme, les gains des plus riches explosent, alors que ceux des autres catégories stagnent ou progressent modestement.
Comparaison de la croissance des revenus entre catégories de ménages (2003-2022)
Année | Revenu moyen des 90 % les moins riches (euros) | Revenu moyen des 9 % suivants (euros) | Revenu moyen des 0,9 % (THP - Très Hauts Patrimoines) | Revenu moyen des 0,1 % (THR - Très Hauts Revenus) |
---|---|---|---|---|
2003 | 24 500 | 54 800 | 180 000 | 1 050 000 |
2010 | 26 200 | 58 300 | 200 000 | 980 000 |
2015 | 27 800 | 61 500 | 220 000 | 1 400 000 |
2018 | 29 500 | 65 200 | 250 000 | 1 900 000 |
2022 | 31 200 | 69 800 | 280 000 | 2 300 000 |
Les 0,1 % les plus riches ont donc plus que doublé leurs revenus en 20 ans, alors que les ménages appartenant aux 90 % les moins riches ont vu leurs revenus progresser de seulement 27 % sur la même période.
Évolution comparée des revenus des différentes catégories de ménages (2003-2022)
Évolution des revenus moyens des différentes catégories de ménages (2003-2022)
Ce graphique met en évidence la divergence croissante entre les revenus des ménages les plus riches et ceux des autres catégories de population. Alors que la progression est modérée pour la majorité des ménages, les 0,1 % les plus riches voient leurs revenus s’envoler, en particulier après 2018. Pour rappel, Emmanuel Macron a été élu en 2017 et l’une de ses premières mesures a été de supprimer l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) et de le remplacer par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). Un changement qui a réduit les impôts des plus riches de plusieurs milliards d’euros chaque année.
Les réformes fiscales profitent aux plus riches
Les décisions fiscales ont joué un rôle crucial dans cette dynamique. Chaque réforme fiscale a eu un impact direct sur la répartition des richesses en France.
Impact des réformes fiscales sur les revenus des plus riches
Année | Événement fiscal ou économique | Effet sur les revenus des 0,1 % les plus riches |
---|---|---|
2009 | Crise des subprimes | -8,5 % |
2012 | Crise des dettes souveraines | -6,4 % |
2013 | Imposition des revenus du capital au barème de l’IR | -14 % |
2018 | Introduction du Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) | +27,8 % |
2021 | Reprise économique post-COVID | +23,1 % |
La suppression de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) en 2018 a amplifié cette tendance en limitant la taxation du capital aux seules fortunes immobilières via l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). Cette réforme a principalement bénéficié aux détenteurs de capitaux mobiliers (actions, obligations), qui représentent une part majeure du patrimoine des ultra-riches.
Une explosion du patrimoine des plus riches en France
Le patrimoine des ménages les plus riches a progressé à une vitesse encore plus rapide que leurs revenus.
Évolution du patrimoine des ménages les plus aisés (2003-2022)
Année | Patrimoine total moyen des 90 % les moins riches (euros) | Patrimoine total moyen des 9 % suivants (euros) | Patrimoine total moyen des 0,9 % (THP) | Patrimoine total moyen des 0,1 % (THR) |
---|---|---|---|---|
2003 | 160 000 | 450 000 | 2 200 000 | 12 000 000 |
2010 | 175 000 | 500 000 | 2 600 000 | 15 000 000 |
2015 | 190 000 | 540 000 | 3 200 000 | 18 000 000 |
2018 | 210 000 | 600 000 | 4 000 000 | 22 000 000 |
2022 | 230 000 | 670 000 | 5 200 000 | 28 000 000 |
Les 0,1 % les plus riches ont donc multiplié par plus de 2,3 leur patrimoine en 20 ans, alors que la progression est bien plus modeste pour le reste de la population.
Graphique : Évolution du patrimoine moyen des différentes catégories de ménages (2003-2022)
Ce graphique illustre la dynamique de concentration de la richesse. Les écarts patrimoniaux se creusent de manière spectaculaire, avec une accélération marquée après 2018.
Une accumulation des richesses qui fait mal à l’économie française
L’accumulation de richesses par une minorité pose plusieurs questions sur les impacts macroéconomiques :
- Moindre redistribution : le système fiscal allège la charge des plus riches, réduisant les capacités de redistribution de l’État.
- Déséquilibre du marché immobilier : la concentration des patrimoines fonciers favorise la spéculation, rendant l’accession à la propriété plus difficile pour les classes moyennes et populaires.
- Ralentissement de la consommation : les ménages les plus riches dépensent une part moindre de leurs revenus que les classes moyennes, freinant l’effet multiplicateur de la consommation sur l’économie.
- Accroissement des tensions sociales : la montée des inégalités économiques et la concentration du pouvoir financier favorisent un climat de défiance vis-à-vis des élites.
L’évolution des revenus et du patrimoine des plus riches en France depuis 20 ans dévoile une dynamique de concentration extrême de la richesse. L’étude de Bercy confirme que les décisions fiscales successives ont accentué ces écarts en favorisant le capital au détriment du travail. Si cette tendance se poursuit, les conséquences pourraient être profondes, tant sur le plan économique que social.
La question reste entière : la France peut-elle encore prétendre à une politique fiscale équilibrée, ou assiste-t-on à la formation d’une élite financière intouchable ?